D’après Marc Droy, exploitant agricole à Hervilly dans la Somme, Xavier Demorsy était un ouvrier agricole qui connaissait très bien son métier, les règles de sécurité et surtout qui ne négligeait pas ces dernières. Et pourtant, c’est un corps sans vie qu’a découvert son patron dans son champ situé entre Bersancourt et Hyencourt-le-Petit (dans l’Est de la Somme) aux alentours de 10 heures le 14 juin 2017.
Xavier Demorsy, 58 ans, avait commencé son travail dans ce champ de pommes de terre à 4 heures du matin. Il fut stoppé net lorsqu’une vanne d’arrivée d’eau du réseau d’irrigation a explosé, le tuant sur le coup. L’accident est sans aucun doute dû à une surpression.
Se méfier de l’eau qui dort
Les risques liés à la surpression lors de l’installation, de la mise en route, de la maintenance ou de la désinstallation du réseau d’irrigation, Marc Droy les connaît bien et a développé au sein de son exploitation une série de mesures préventives afin de protéger ses salariés. Sur les 220 hectares que compte son exploitation, quatre kilomètres de tuyaux permettent d’irriguer, entre mi-juin et fin août, les 85 hectares qu’il consacre aux pommes de terre et aux légumes.
Avec plusieurs dizaines de campagnes d’irrigation derrière lui, Marc Droy a pu constater qu’actionner la commande de la vanne VBZ d’un réseau de surface d’irrigation était bien loin d’être aussi simple et aussi banal que tourner le robinet de son lavabo. Ce que prouvent également les récits d’accidents plus ou moins graves que partagent entre eux les agriculteurs : « Un collègue de l’Oise, par exemple, travaillait dans son champ quand il a entendu une forte détonation. Lorsqu’il est arrivé à l’enrouleur, un tuyau était parti. Il a été retrouvé à 500 mètres de là, il avait traversé la route. »
Cependant, pour Fabrice Masson, conseiller en prévention agréé et assermenté de la MSA de Picardie, le nombre d’accidents annuel déclarés, et clairement imputés à l’activité d’irrigation, se compte sur les doigts d’une main. Peu nombreux, peu identifiés, ces dangers sont ainsi longtemps restés cachés et les récits d’accidents anecdotiques. Comme bien souvent, malheureusement, il a donc fallu un drame mortel pour que le voile soit levé sur les risques engendrés par cette activité.
Une vigilance de tous les instants
L’un des premiers dangers rencontrés par les personnes en charge d’installer le dispositif n’est pas directement en rapport avec l’eau, même s’il vient du ciel. Les tuyaux en aluminium qui composent le réseau d’irrigation peuvent atteindre jusqu’à neuf mètres de long. Les manipuler verticalement dans un rayon de trois mètres d’une ligne haute tension c’est prendre le risque de voir un arc électrique se former et l’électrocution se produire.
Manipuler les tuyaux à l’horizontale, les salariés de Marc Droy ont cette consigne bien en tête. Mais pour lui, c’est quand arrive l’heure de la mise en route du réseau que vient également le temps de la plus grande vigilance : « Il faut réfléchir à chacun de ses gestes. » La plupart des accidents constatés interviennent en effet au cours de cette étape et sont dus à la surpression. C’est pour cela qu’il nous rappelle qu’il est impératif d’équiper son installation d’un mécanisme de purge et d’en user avant la mise en service de l’équipement afin d’évacuer les éventuels détritus stagnant. Ce qui, pour autant, ne garantit pas le risque zéro.
L’irrigation, c’est comme une cocotte-minute : on ne l’ouvre pas n’importe comment, il faut prendre le temps, ne pas se précipiter.
Ainsi, le principal danger qui menace l’opérateur en charge de la mise en route est surnommé « coup de bélier ». Il porte tristement bien son nom puisqu’il s’agit d’une onde de choc pouvant déclencher d’importantes et puissantes surpressions.
Ces dernières fragilisent le réseau en faisant rompre des crochets ou des soudures mais causent surtout de graves accidents, voire la mort dans le cas de Xavier Demorsy.
Ceux-ci peuvent également survenir après, lors d’une intervention pour resserrer une vis par exemple, comme en témoigne cet agriculteur : « En la resserrant avec une clé à molette, la vis en bronze a éclaté […]. » En intervenant sur le réseau sans stopper l’arrivée d’eau, le moindre resserrage de vis en laiton (dont le filetage peut être fragilisé sous l’effet de la pression) peut conduire à la catastrophe comme l’indique la suite du témoignage de notre agriculteur : « […] Mon salarié m’a sauvé la vie en m’emmenant à l’hôpital tout de suite mais j’ai perdu un œil. »
Ce témoignage met en évidence l’une des mesures qu’il est primordial de mettre en place (si l’effectif et les horaires le permettent) : le travail à deux. Mais comme l’explique Marc Droy, ce n’est pas toujours possible notamment pour des interventions de nuit lors desquelles pourtant les risques peuvent être accrus. Afin de limiter au maximum ces interventions nocturnes, il dispose d’une application lui permettant de démarrer le réseau par téléphone et d’être informé en temps réel de la moindre anomalie. Bien évidemment, tous les salariés de son exploitation ont également accès à cette technologie leur garantissant plus de sécurité.
Tout un secteur concerné
Fort de l’expérience de Marc Droy et de la détermination de Fabrice Masson, le groupe de travail formé par ce dernier a buché dès le mois de janvier 2018 sur le sujet dans le but de disposer d’éléments de communication pour la campagne d’irrigation à venir. La plaquette éditée par la MSA de Picardie et ses partenaires (la Direccte Hauts-de-France, la caisse centrale de MSA, la FRSEA, la chambre d’agriculture Hauts-de-France et le groupe coopératif sucrier Cristal union) pointe ainsi, pour chacune des étapes, les bonnes pratiques à mettre en œuvre tout au long de la vie de l’installation. Si la plupart d’entre elles concernent les gestes à adopter lors des interventions, le volet matériel et équipement ne doit surtout pas être négligé.
Il est recommandé d’en préserver l’intégrité en s’assurant que les parties sensibles (tronçons du réseau où se trouvent les vannes et les tuyaux de raccordement, points de franchissement de ligne) sont protégées des différents engins et des dégradations qu’ils pourraient occasionner.
Mais cela ne peut être véritablement efficace qu’avec un matériel en bon état de fonctionnement dont il est impératif de s’assurer de la compatibilité des éléments de différents modèles et/ou marques.
Et c’est notamment là que le bât blesse puisqu’en ce qui concerne les tuyaux, les vannes ou les raccordements, aucune norme n’existe. Ce qui signifie que pour contourner les brevets, certains fabricants proposent des éléments de taille différente. Le recours à la masse ou au moins à la force n’est pas exclu lorsqu’il s’agit d’assurer la jonction de deux éléments n’ayant pas le même diamètre. La conséquence de ces contraintes mécaniques est qu’elles peuvent engendrer des ruptures, et par conséquent des accidents.
Convaincu que la mise en place de procédures d’intervention, d’un plan de maintenance adapté, de formation des opérateurs aux procédures et aux gestes qui sauvent sont la garantie de restreindre au maximum les accidents que le développement de l’irrigation engendrera inéluctablement, la MSA de Picardie a décidé de mener une véritable campagne de prévention qui passe par la création d’un kit (avec plaquette et diaporama) à destination des exploitants et de leurs salariés, par l’organisation de journées de prévention et d’information (sur le stand de la MSA de Picardie lors de Plaine en Fête début septembre par exemple) mais surtout en diffusant au maximum l’information sur le terrain et en multipliant les rencontres avec les producteurs.
Retrouvez la plaquette d’information et le panneau de consignes à télécharger ici