Je vivais comme un échec l’idée de ne pas y arriver seule

« Lorsqu’il s’agit de parler de nos vaches, de leurs maladies ou de nos cultures, il n’y a pas de problème. En revanche, il ne faut jamais dire que l’on est dépassé par le boulot. C’est le piège dans lequel je suis tombée. Je n’ai pas voulu le reconnaître, par fierté, parce que je vivais comme un échec l’idée de ne pas y arriver seule. La visite d’une ergonome et le compte-rendu qui en a découlé ont mis en évidence une charge de travail trop importante et m’ont poussée à embaucher une personne à temps partiel, ce qui a permis de me soulager. » Marie Ramillon, éleveuse de chèvres et de moutons, est l’une des exploitants interrogés pour un documentaire diffusé lors de soirées-débats organisées par la MSA.

Ce film est un point de départ aux échanges avec les agriculteurs. Ils peuvent réagir aux propos tenus par les personnes interviewées, prendre la parole, verbaliser. « Exprimer ce qui est difficile dans le métier, ce que l’on n’arrive pas à faire, ce qu’on voudrait faire, est une façon de lutter contre les risques psychosociaux », constate Josiane Voisin, ergonome. En 2014, elle a mené une étude à la demande de la CCMSA, Bien vivre le métier d’agriculteur, qui présente les enseignements tirés d’une analyse de l’activité de travail réalisée auprès de six exploitants agricoles. Son objectif initial était de comprendre leur activité pour prévenir les risques psychosociaux (RPS).

Mais cela a surtout servi à la MSA, en partenariat avec Trame (association nationale de développement agricole et rural), Inter groupe féminin (réseau d’agricultrices de l’Allier) et Vivéa (fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant) à élaborer son action de prévention dénommée Et si on parlait du travail ?. Utilisée par le réseau de santé-sécurité au travail depuis 2016, la démarche Esopt vise, dans un premier temps, à rassembler sur un territoire donné des exploitants, des salariés mais aussi leur famille pour, à l’aide du film, parler de la réalité de leur travail, son amplitude horaire, ses contraintes sur la vie personnelle et familiale, la solitude… « C’est une valeur forte pour eux, c’est même encore un sujet tabou, explique Josiane Voisin. On parle rarement du travail sur les exploitations agricoles. On parle technique, rendement, on échange avec des conseillers, mais on ne parle pas du travail. Or, il y a des choses qui coincent et les exploitants sont peu accompagnés sur ce registre. »

Un dispositif élargi aux salariés

Des exploitants qui cumulent souvent trois casquettes : chef d’entreprise, cadre et ouvrier. « Tout porte sur la même tête. Si l’exploitant rencontre des problèmes, il risque de ruminer, de se replier sur lui », poursuit l’ergonome. Au départ, le programme leur était adressé. Aujourd’hui, il est élargi aux salariés.

« Il est nécessaire de parler de son travail à tous les niveaux, que l’on soit salarié ou exploitant », comme le souligne Mathias Tourne, conseiller national en prévention des risques professionnels. La démarche Et si on parlait du travail ? ne s’arrête pas à libérer la parole. Les personnes qui ont participé à la réunion-débat se voient proposer une formation intitulée « Cultiver son bien-être au travail ». Son objectif général est de permettre aux exploitants agricoles d’analyser leur activité professionnelle, d’identifier les points forts de leur organisation, les difficultés et leur origine, de rechercher des améliorations possibles et ainsi prévenir les RPS. Mais « il n’y a pas de schéma tout fait puisque chaque entreprise est unique et a des besoins spécifiques », précise Mathias Tourne. Ainsi, plusieurs formes d’accompagnement peuvent être proposées comme les actions de prévention des services de santé-sécurité au travail : étude ergonomique, analyse d’un poste de travail, aide financière…

Esopt en quelques chiffres

Depuis 2016, près de 3 000 actifs agricoles ont participé à une réunion-débat (évaluation réalisée par Planète publique en 2019).

Les exploitants participants prennent conscience du risque et plus précisément de l’importance des liens entre santé et travail : 70 % réfléchissent aux contraintes liées à leur activité ; 55 % régulent leur charge de travail ; 44 % modifient l’organisation de leur temps libre ; 32 % vont jusqu’à modifier leur organisation du travail.

Le 15 février, les administrateurs centraux ont participé à la CCMSA à une réunion thématique sur la démarche Esopt. L’objectif est d’éprouver les bénéfices des ateliers afin de sensibiliser les conseils d’administration des caisses et d’assurer la promotion du dispositif auprès de nouveaux participants.

Photo : © Franck Beloncle/CCMSA Image