Pas de confinement pour la mission et le député au travail dès le 10 mars pour comprendre le mal-être des agriculteurs et proposer des solutions de prévention au suicide. C’est chez lui, dans le village d’Engayrac, de 145 habitants, qu’Olivier Damaisin a continué ses consultations par visioconférence. Il a dialogué avec la quasi-totalité des professionnels qui gravitent autour des agriculteurs et recueilli leurs témoignages sur ces sujets. Vétérinaires, banquiers, experts comptables, institutions comme les chambres d’agriculture et la MSA, organisations syndicales ainsi qu’associations ont tous été entendus. À mi-parcours d’une enquête de six mois, dont les conclusions sont attendues pour septembre prochain, ce passionné de la France rurale revient sur les enseignements tirés lors de ses auditions.
Quels sont vos objectifs ?
Olivier Damaisin : La lettre de mission porte sur le mal-être des agriculteurs et le suicide. On espère proposer des modifications dans la prise en charge et le repérage des personnes en situation de détresse. On a quelques pistes. Frédéric Poisson, membre du ministère de l’Agriculture, m’épaule. On fait des auditions pour arriver à déceler les lacunes qu’il peut y avoir. Car les structures d’aide existent. Pour l’instant, on n’arrive pas à mettre en lien les gens par rapport à ces dispositifs ou les gens ne sont pas au courant. C’est l’inconvénient. Je l’ai moi-même constaté.
C’est-à-dire ?
Au tout début de ma mission, tout juste après la parution d’articles dans la presse et sur les réseaux sociaux, un agriculteur du département de La Manche en pleine déprime me téléphone et m’annonce qu’il va mettre fin à ses jours dans la nuit de jeudi à vendredi. Il me contacte un mardi soir. Il me parle de ses difficultés. Il doit payer les charges. Il n’arrive pas à faire face à un tas d’échéances… La situation est insupportable. Sur le moment, je m’interroge : soit il bluffe, soit il va le faire. Par précaution, je contacte Jean-François Fruttero, mon président MSA au niveau Lot-et-Garonne Dordogne qui me met en contact avec son confrère de la Manche. Et nous réglons la situation. L’agriculteur a été pris en charge. L’homme vivait isolé. Il avait vraiment besoin d’aide.
C’est un début sur les chapeaux de roues ?
Ma mission a démarré avec cet événement. L’issue a été positive pour cet homme. Mais mon objectif, c’est que tout le monde puisse trouver des solutions et y recourir car elles existent. Simplement il faut les connaître. Je discutais la semaine dernière avec des comptables qui se sentent eux aussi impuissants. Ils ont une connaissance précise de la situation financière. Ils mesurent les difficultés des personnes. Ils ont monté entre eux des structures pour essayer d’interpeller les chambres d’agriculture, les acteurs du secteur afin de déployer une réponse rapide en cas de grande détresse. Parce qu’il ne faut pas arriver trop tard. Il faut agir vite. J’ai même posé la question à une comptable que j’auditionnais : lui est-il déjà arrivé dans son expérience professionnelle d’être en train de donner des résultats à un exploitant et de sentir que ce dernier est au plus mal au point de craindre qu’il commette une bêtise dans les jours qui suivent. Elle m’a répondu qu’elle a vécu la situation l’année passée. Un soir, à 20 h, elle reçoit le coup de fil d’une personne à qui elle avait remis son bilan d’activité dans la journée. Par chance, elle a alerté à temps le père de cette personne. Même fenêtre d’observation chez les vétérinaires. Ils savent si quelqu’un se porte bien rien qu’en voyant son troupeau. Si le bétail est mal soigné c’est que ça va mal.
L’agribashing : une méconnaissance de l’agriculture
L’ignorance est à l’origine de l’agribashing selon Olivier Damaisin. « J’ai un agriculteur, raconte-t-il, un voisin qui s’est fait agresser verbalement parce qu’il était en train de traiter… Vous savez ce qu’il était en train de faire ? Il avait un semoir à l’arrière. La personne ne connaissant rien, voyant l’agriculteur avec un engin derrière son tracteur, s’est imaginée qu’il s’agissait d’un traitement. En fait, le paysan était en train de semer. Voilà aussi un problème : dans la tête de certains, un agriculteur dans un champ est un pollueur. »
Il n’hésite pas à battre en brèche les opinions toutes faites. Exemple avec ceux qui critiquent sans savoir l’usage du glyphosate : « Combien en met-on sur un terrain d’un hectare ? On m’a répondu 100 litres. La réalité, explique-t-il, c’est que cela dépasse à peine le litre. »
La solution ? « Les Français doivent redevenir lucides sur le fait qu’un agriculteur qui met un produit chimique, un traitement, dans son champ, il le fait parce que sa culture et son système de culture le nécessitent. Il n’a pas le choix. Après vous avez tous les produits bio, c’est une autre pratique. Je n’oppose pas les deux. Il nous faut les deux. Mais quand je vois la polémique qui monte par rapport à l’utilisation du cuivre, là je dis attention parce que les agriculteurs bio vont être les prochains à être montrés du doigt puisqu’ils utilisent du cuivre. »
Comment expliquer cette souffrance ?
Les causes du mal-être sont nombreuses. Vous avez la personne qui se suicide parce qu’elle a un problème financier. Ou celle qui a des soucis familiaux, ce que tout le monde peut vivre. Sauf que les agriculteurs, ils ont souvent tout à la fois. Par ailleurs, le mal-être peut-être lié au voisinage ou à l’isolement, c’est-à-dire à la solitude. J’habite dans une ancienne ferme. Ma belle famille qui vit juste à côté possède une ferme. Il y a 5 à 6 maisons sur quelques hectares. Or il n’y a plus qu’un seul agriculteur. Avant il y en avait cinq. Et le phénomène est national. Avant les gens travaillaient ensemble. On se donnait un coup de main. Tout ça n’existe plus. Les gens ne voient plus grand monde et ils ont beaucoup de travail. Il y a des structures, comme les Cuma [coopérative d’utilisation de matériel agricole] qui louent du matériel en commun. C’est un vrai moment de partage. L’agriculteur achète du matériel avec le voisin ; ils travaillent main dans la main. Là il y a encore des liens. Mais celui qui a son propre matériel ne voit personne. Parmi cette population, il y a les retraités qui se sentent inutiles. Après avoir trimé toute leur vie sans compter, travaillant entre 12 à 15 heures par jour, ils se retrouvent à tourner en rond. Ils le supportent mal. En plus ils n’ont qu’une petite retraite. Donc financièrement, c’est difficile.
Pourquoi a-t-on une si mauvaise image de nos paysans ?
Ce qui est nouveau, c’est qu’on a perdu le lien avec la campagne. Ceux qui l’ont quittée pour s’installer à la ville ne savent plus ce que c’est. Quand ils reviennent y vivre, ils réclament les avantages de la ville et la fin des inconvénients de la campagne. Ils veulent une crèche, une école à proximité, un centre de loisirs, et pas de nuisances. Ils ne vont pas tolérer le gars qui moissonne le soir à 22 h. Cela fait de la poussière. Et c’est par là aussi que le mal-être et l’agribashing ont commencé. Les gens s’installent à la campagne et ne savent même plus qu’il faut une vache pour faire du lait. Pour faire des œufs, il faut une poule. Ces notions basiques, beaucoup les ont perdues ou ne les ont pas acquises. Les agriculteurs doivent s’ouvrir encore plus à la population. Il faut que les citadins viennent à la campagne voir ce qu’il s’y passe. Le Covid a servi aussi à ça. Les Français ont pris conscience que s’ils veulent manger, il faut des agriculteurs.
Les Français d’après le Covid-19 vont aimer encore plus leur agriculture ?
Je l’espère. C’est à nous les politiques, les pouvoirs publics en général de le rappeler, de dire aux gens : vous étiez bien contents pendant le confinement que les agriculteurs continuent à travailler et à vous nourrir. Donc respectez aussi leur travail. Respectez-les. Dans le Lot-et-Garonne, les paysans ouvrent leur exploitation et les gens viennent voir leur façon de travailler ; ils discutent avec eux… Je pense qu’il va falloir imposer dans le système scolaire, en classe primaire, une journée à la campagne. Tous les élèves doivent au moins une fois dans leur vie découvrir une ferme. Ils verront l’origine du lait, celle des œufs. Ce type d’échange est très important pour que les Français reprennent confiance en leurs agriculteurs et qu’ils ne les considèrent pas comme des empoisonneurs parce ce n’est pas vrai.
Un bilan aujourd’hui ?
Il existe des choses. Des systèmes, des structures, des associations qui travaillent là-dessus. Mais on a un problème de coordination et de communication entre tous. C’est le premier bilan que je peux faire.