Au cœur des marais salants, une rencontre étonnante a eu lieu le 12 mars à Guérande. Le navigateur et skipper professionnel Armel Tripon est venu partager son expérience avec les paludiers de la commune littorale, qui s’est enrichie grâce à la production de sel, et leur proposer des clés pour commencer la saison de récolte plus sereinement.

Récolte du sel : une période intense

Les paludiers, ce sont les producteurs de sel du nord de la Loire (dans le sud de la Loire, on les appelle les sauniers). Chaque été, durant trois mois, ils vivent une période intense aussi bien physiquement que mentalement, et sont particulièrement sollicités et exposés à des risques professionnels.

De prime abord rien à voir, donc, avec Armel Tripon qui a gagné la Route du Rhum en 2018, a participé au dernier Vendée Globe et qui a passé la majorité de sa vie professionnelle sur l’eau. Et pourtant, leur quotidien est plus proche qu’on ne le pense : impact du travail sur les rythmes du sommeil, sur l’alimentation, le stress, la difficile conciliation entre vie de famille et professionnelle, confrontation permanente avec les éléments extérieurs, l’exposition au soleil, la solitude… un panel de problématiques leur sont communes.

La MSA a souhaité confronter ces expériences. « Il est possible de réduire ces risques grâce à une préparation adaptée en amont », assurent Élisabeth Deshayes et Marie-Anne Robin, conseillères en prévention des risques professionnels. Alors quel est le secret du navigateur pour affronter au mieux les périodes de travail intense ?

Mental d’acier

Pour se préparer aux courses et y participer dans les meilleures conditions, Armel Tripon a établi des routines et s’impose une hygiène de vie stricte. En mer, on n’a pas le droit à l’erreur. Le cerveau toujours en veille, le métier de skipper est intransigeant. « Au fur et à mesure, j’ai compris qu’on prend rarement les bonnes décisions quand on se laisse dépasser par les émotions et la fatigue. Il faut apprendre à faire face à l’imprévu et se dissocier des événements », note-t-il. S’ajoutent à ces contraintes la pression des sponsors, la peur de se blesser, etc.

Le navigateur de 48 ans a compris que le mental est aussi important que le physique et a trouvé la parade : la préparation ! Pour prendre du recul, il pratique donc beaucoup de yoga, des exercices de respiration, de la méditation pour se préparer aux courses et prendre soin de son sommeil. « Le sommeil est primordial pour tenir pendant une période intense de travail. Il faut garder sa lucidité pour bien réfléchir et prendre de bonnes décisions », rappelle le sportif. Lorsqu’il n’est pas en mer, il emmagasine le plus d’heures de repos possible.

« Avant la course, je remplis mes batteries. » Une fois celle-ci commencée, plus question de dormir 8 heures d’affilée, le sommeil est fractionné, et les skippers privilégient les siestes pour se requinquer. Un rythme de vie au travail qui parle à la vingtaine de paludiers présents ce jour-là. Ils n’ont pas hésité à demander l’avis du navigateur sur certaines situations qu’ils vivent au quotidien.

« Quand on a des vents d’Est, on sait qu’on va prendre forcément du retard sur la récolte. Ça nous stresse, on y pense toute la nuit, le cerveau tourne sans relâche. Comment réussir à mettre ça de côté ? », s’enquiert l’un d’eux. Pour Armel Tripon, on ne peut aller contre ce sur quoi nous n’avons pas de contrôle : « Il faut réfléchir en se disant, comment faire le mieux possible? Personnellement, je me prépare en dormant plus, il faut anticiper pour être en forme quand ces vents arriveront ».

producteurs de sel en Loire-Atlantique, 15 en Vendée

C’est quoi un paludier ?

Un paludier est un producteur de sel. Ce métier, issu d’une tradition vieille de plus de 2 000 ans, emprunte des techniques ancestrales et des outils qui n’ont peu ou pas changé. Ces techniques sont exemptes de mécanisation et d’apport de produits chimiques, permettant à la fois de produire un sel de qualité et de préserver un site exceptionnel. Le corps des producteurs de sel est fortement sollicité. Leurs articulations et leurs muscles sont mobilisés dans la durée, ce qui entraîne des tensions au niveau du dos, du poignet, de l’épaule et du coude.

D’autres questions fusent. Les paludiers, qui se calent sur un rythme pendant les récoltes, se demandent comment le navigateur fait pour reprendre le cours de sa vie après une course. « Comme vous, après une saison intense de 2 ou 3 mois, tout s’arrête d’un coup. Les choses peuvent paraître fades, mais il faut accepter que ça arrive et tout relâcher. L’être humain n’aime pas l’imprévu, il faut donc planifier les choses au maximum et accepter le fait qu’on ne peut pas tout anticiper. »

Préparation physique et alimentation

L’alimentation et l’hydratation sont des alliées importantes durant ces périodes. Tout comme les paludiers qui travaillent sous le soleil toute la journée, les skippers font face à la déshydratation. Le conseil est donc de boire très régulièrement. « Toutes les demi-heures, je me force à boire deux gorgées d’eau, même si je n’ai pas soif. » Une habitude à prendre qui est primordiale.

Il conseille de manger sainement et équilibré et pas trop gras le soir pour améliorer son sommeil. Armel Tripon a aussi arrêté le sucre pour renforcer sa stabilité morale. « Le sucre donne un coup de fouet sur le coup, puis provoque une redescente. On passe d’un état d’euphorie à un état émotionnel très bas… Ce sont des moments où l’on est plus fragile. »

Pour éviter les blessures, le navigateur conseille le yoga qui permet d’améliorer sa souplesse, de limiter ses déséquilibres musculaires et prévenir les inflammations… « En soulageant les raideurs et les tensions, le yoga est un excellent remède pour prévenir les blessures », souligne-t-il, ajoutant son dernier grain de sel salutaire dans la routine quotidienne de ce public amoureux de son métier.

3 questions à Armel Tripon, skipper professionnel

Comment conciliez-vous votre travail et votre vie de famille ?

Beaucoup de métiers ont des horaires compliquées. Ce sont des habitudes à prendre. Pour moi, le rythme est plus soutenu à certaines périodes comme le printemps, l’automne ou le début de l’hiver, mais le reste du temps, je suis plus présent. Je ne pars pas plus de deux mois en général. Mais quand je reviens, je reviens vraiment.

Est-ce que le fait de vieillir vous fait peur pour votre activité ?

On peut avoir peur de se dire qu’on change physiquement. Surtout que les bateaux sur lesquels j’ai envie de naviguer sont gros et assez physiques. Mais je pense que ce sont surtout le mental et la motivation qui permettent d’aller de l’avant. J’ai parfois eu de grosses périodes de doutes, notamment sur ma place en tant que compétiteur. Cependant, les réponses sont venues d’elles-mêmes, et j’ai continué à exercer ce métier-passion.

Quels sont vos projets pour le futur ?

Je prépare la construction d’un bateau de course, un Imoca, à partir de matériaux recyclés et de rebus de l’industrie aéronautique. Il sera mis à l’eau en septembre 2024 et portera les couleurs et les messages de l’association Les P’tits Doudous.