« Quand la MSA m’a proposé les paniers à la fin de l’année dernière, j’ai tout de suite accepté. Ils me dépannent vraiment. » Annie Vasseur, 53 ans, actuellement relogée dans un mobil-home, a été expulsée de son logement à la suite d’impayés. « J’ai vécu des moments difficiles mais comme je travaille, je n’ai droit à rien. Je remonte doucement la pente. »
Cette habitante de Péronne dans la Somme est l’une des 178 bénéficiaires des paniers solidaires dans ce département du nord de la Picardie. Elle est employée dans un couvoir qui produit des poussins pour les éleveurs de poules. « Mon travail consiste à séparer les femelles des mâles puis à les vacciner. » Un métier aux gestes répétitifs qui a marqué son corps au fil des années. « Mes épaules me font souffrir. Je me suis déjà fait opérer deux fois mais ça ne s’arrange pas. Je n’arrive plus à produire mes 2 000 poussins à l’heure. Il faudrait envisager un poste adapté mais je sais qu’il n’y en a pas au couvoir… »
100 % local
C’est la première fois de sa vie qu’Annie bénéficie d’une aide alimentaire. Les paniers solidaires sont arrivés comme une bouffée d’air frais dans son budget alimentation. Elle qui fait toujours attention quand elle fait ses courses, quitte à rogner sur les extras. « J’apprécie le contenu des paniers : courgettes, carottes, choux… mais aussi le miel et les fruits. Ils m’ont aussi permis de découvrir des légumes oubliés comme les blettes. Heureusement, des recettes sont glissées à l’intérieur pour nous aider à les cuisiner. » Mais, ce que préfère Annie, ce sont les yaourts. « Ils ont un goût incroyable. Quand je n’aurai plus droit aux paniers – accordés pour six mois au maximum – j’irai les chercher directement chez le producteur, un agriculteur installé à quelques kilomètres de chez moi. Je n’avais aucune idée qu’il se trouvait là. » Même chose pour les pâtes, les œufs et le beurre, ou encore la farine, tous garantis 100 % local.
Prévenir la précarité
« Les paniers solidaires sont destinés avant tout aux travailleurs modestes, l’un des publics les plus touchés par la crise », souligne Mathieu Daquin, chargé de développement local, le monsieur «Paniers solidaires» à la MSA de Picardie. Ils ciblent des personnes qui se trouvent juste au-dessus des seuils et qui risquent de passer en dessous. Les bénéficiaires des minimas sociaux ont été écartés volontairement en partant du principe que c’est une population qui a déjà accès à de l’aide par le biais des banques alimentaires, de la Croix-Rouge ou des Restos du cœur.
L’objectif est de prévenir les situations de précarité en visant ceux qui ne sont jamais aidés ou que rarement. Ce sont par exemple des actifs, ayant de faibles ressources et qui, du fait d’une perte de revenus significative ou d’un changement de situation familiale, subissent une période d’insécurité financière plus ou moins durable. Des personnes qui n’ont pas l’habitude de bénéficier d’aides sociales et qui ne se trouvent pas forcément dans les radars des travailleurs sociaux. Le repérage de ce public spécifique est réalisé par la MSA, la caisse d’allocations familiales (CAF), le conseil départemental, mais aussi au travers de partenariats avec les centres communaux d’action sociale (CCAS), les chantiers d’insertion, le tissu associatif de chaque territoire, Pôle Emploi ou encore les missions locales… « Même si les profils sont divers, à Péronne il s’agit surtout de personnes âgées entre 30 et 40 ans. Des gens qui ont subi des changements, des accidents de la vie ou des gros impacts professionnels liés au Covid, comme par exemple des personnes qui travaillent dans la restauration et qui subissent une perte d’emploi ou du chômage », explique Séverine Brouet, référente famille au centre social de la ville.
« La mobilisation est générale. Mais ce mouvement de solidarité n’est pas à sens unique, insiste Mathieu Daquin. En mettant en lien des producteurs locaux, qui ont perdu des débouchés parce que les restaurants et les cantines collectives ont fermé au plus fort de la crise du Covid-19, et des familles qui ont besoin, on crée un cercle vertueux et de belles rencontres. »
Manger sain et de saison
Les steaks hachés, les côtes de porc et les saucisses d’Arnaud Leclercq sont venus agrémenter les paniers des bénéficiaires du canton de Rozoy-sur-Serre. L’éleveur de 58 ans produit du bœuf charolais et du cochon sur paille aux portes de la Thiérache. « C’était important pour nous de participer à un effort local. Tous les producteurs en circuit court du canton ont été sollicités et ont répondu présent et ça c’est génial, se réjouit l’agriculteur installé avec sa femme et son fils. Il est également le délégué MSA de son canton. En retour, on a eu une reconnaissance de la qualité de notre production, des messages bienveillants de personnes étonnées de se rendre compte qu’on produit de la viande avec un goût incroyable dans le respect de l’animal et de l’éleveur à deux pas de chez eux. Faire travailler les agriculteurs locaux et que la valeur ajoutée reste sur le terroir est la force de projet. On fait en même temps une bonne action en aidant des personnes qui ne le sont jamais. »
Comme Arnaud Leclercq, plus d’une cinquantaine de producteurs sont mobilisés dans les dix points de distribution de la Somme et huit dans l’Aisne. Ils ont été sélectionnés en fonction de leur proximité afin de faciliter l’approvisionnement et la logistique, mais aussi pour nouer des liens dans la durée entre producteurs et consommateurs. L’opération Paniers solidaires, menée à l’initiative de la MSA sur tout le territoire national, est née à la suite du premier confinement qui a mis en lumière l’importance et la qualité des circuits courts dans tout le pays.
« Les habitants des territoires ruraux ont une méconnaissance des richesses et de la diversité agricole de leur territoire, constate Mathieu Daquin. Autour des paniers, il y a un vrai travail sur l’éducation au bien manger et sur la saisonnalité. Au début, certaines familles nous ont demandé si on pouvait ajouter des oranges dans le panier, se souvient-il, sourire aux lèvres. Il a fallu leur expliquer que les orangeraies ne couraient pas les champs en Picardie et qu’ils ne trouveraient pas non plus de tomates au mois de janvier. » À chaque distribution, à Péronne, les bénéficiaires des paniers sont accueillis par le sourire du personnel du centre social et par une bonne odeur de cuisine. Ils peuvent découvrir et goûter une recette concoctée avec les légumes du jour. Ils ont pu pour l’instant s’essayer au carrot cake tout chaud, aux frites de potimarron croustillantes, au gratin de butternut à la crème ou à la pizza aux courgettes aux saveurs picardo-napolitaines. L’atmosphère est chaleureuse et l’ambiance gourmande, mais il s’agit aussi de faire tomber quelques inhibitions et des aprioris tenaces sur la façon de cuisiner les légumes.
« Je contrôle mes dépenses en permanence »
« Les gens ont une idée fausse du tarif des productions agricoles en circuit court, souligne Séverine Brouet. Ils pensent que c’est forcément plus cher, plus compliqué à cuisiner, que les enfants ne vont pas aimer. Ils se trompent. Beaucoup de familles étaient surprises de la quantité et ne se rendaient pas forcément compte que 25 euros de produits locaux représente un volume de denrées très conséquent. Entendre des phrases comme : “Je peux enfin retrouver des légumes” ou “Je ne pouvais plus me le permettre car je contrôle mes dépenses en permanence”, démontre qu’on a visé juste ». « On a vraiment ce sentiment, qu’il faudra confirmer par une étude d’impact, que beaucoup de gens se sont remis à cuisiner des produits frais. Ils n’avaient pas ou plus ces réflexes », confirme Mathieu Daquin.
L’idée de s’appuyer sur les structures d’animation de la vie sociale, comme les centres sociaux et les espaces de vie sociale, pour associer à une distribution de paniers un accompagnement des familles et favoriser un changement des habitudes alimentaires, a été l’autre bonne idée du projet. Elles ont permis d’organiser des actions collectives de type atelier cuisine, partage de recettes et visites d’exploitations, même si le contexte a parfois rendu leur concrétisation sur le terrain difficile au gré des changements de protocoles sanitaires. « Il ne faut pas le cacher, l’aide alimentaire représente un poids psychologique pour certaines personnes qui peuvent se sentir stigmatisées. Cela touche à la dignité et a pu constituer un frein pour certains. C’est pour cela que les paniers ne sont pas gratuits même s’il s’agit d’un montant symbolique », explique Mathieu Daquin qui a été éducateur de rue dans une vie professionnelle antérieure.
5 € de participation par famille
La participation de 5 euros des familles est laissée dans les structures relais. La ville de Péronne a choisi de transformer cette somme en adhésion au centre social de la commune. « C’est une occasion pour nous de leur faire connaître la structure et de leur démontrer qu’il se passe plein de choses à deux pas de chez eux, s’enthousiasme Séverine Brouet. C’est ce que nous faisons avec les sorties familles. Avant d’emmener les gens à Paris, on essaie déjà de leur faire découvrir la richesse du patrimoine local. On se rend compte qu’ils ne le connaissent pas. On peut faire le parallèle avec les agriculteurs qui travaillent dans l’anonymat à côté de chez eux. C’est un peu moins le cas aujourd’hui grâce aux paniers solidaires. »