Un service de remplacement (SR), un agent de rempla­cement et un agriculteur, tel est le casting indispensable d’une activité de service d’utilité sociale déployée un peu partout en France depuis 1972 pour soulager les agricul­teurs seuls ou installés avec d’autres lorsqu’ils souhaitent pour un motif ou un autre prendre des congés. Et même lorsqu’ils ne l’ont pas voulu, en cas d’accident de travail ou de maladie, ils peuvent être remplacés.

Prévue ou pas, quel que soit le motif d’absence invoqué par le profession­nel agricole et surtout si l’urgence le commande, la conti­nuité de l’activité est assurée par la structure de remplacement. Jouant un rôle de chef d’orchestre et d’opérateur de cette mission, l’association loi 1901 prospère partout où il y a des agriculteurs qui en manifestent le besoin.

Madame Service de remplacement

Dans le sud du département du Nord, Delphine Grimbert incarne ce service depuis 2006, année où elle prend la direction de l’antenne Thiérache-Hainaut (SR TH), située à Landrecies. « J’ai une soixantaine de salariés sur ce secteur, explique-t-elle. Mon collègue des Flandres gère 100 à 120 salariés. Mais lui, il dispose de trois groupe­ments : un service de remplacement, un groupement d’employeurs à vocation sociale et un groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (Geiq). Ici, il y en a deux : un SR adossé à un groupement d’employeurs. »

L’Avesnois : un bocage prisé par les touristes et les vaches

Avec ses deux collègues, elle s’occupe d’organiser les missions des soixante remplaçants. À 70 % en CDI, ils inter­viennent sur tout le sud du département pour apporter un coup de main aux exploitants laitiers, l’activité phare du coin. « Ici vous êtes dans la petite Normandie. L’Avesnois, c’est le bocage, les prairies, les haies. C’est une zone her­bagère, rappelle-t-elle. Vous êtes dans un bassin de lait. Le territoire est atypique ; il est coupé en deux par la métro­pole lilloise. Au-dessus de Lille, vous ne trouvez pas la même agriculture qu’ici. »

Delphine Grimbert connaît par cœur son département. Son métier exige une connais­sance géographique parfaite. Elle l’a acquise dès sa prise de fonction. Son prédécesseur, avant de partir, lui a laissé une petite carte fabriquée en carton qui représente chaque portion sud du département du Nord. Elle s’en est servie longtemps. Aujourd’hui, elle n’en a plus besoin. Chaque fois qu’elle confie à l’un de ses agents une mis­sion, c’est de mémoire qu’elle s’assure que la ferme affec­tée est située dans un périmètre de 20 à 30 kilomètres de son domicile. « Si vous envoyez une personne qui habite très loin pour aller traire des vaches à Valenciennes, ce sera mission impossible pour lui. » C’est le genre de risque qu’elle ne prendra pas pour ses troupes.

Dans un contexte où elle peine à trouver des bras, ce serait une erreur. « Il nous faudrait encore une quin­zaine de personnes. On n’arrive pas à répondre à toutes les demandes faute de personnel, déplore-t-elle, les yeux perdus dans l’horizon. Le besoin est important. C’est un problème. » L’inquiétude perce sous ses constats. Elle le vit comme « un échec ». Sa mission première ne consiste-t-elle pas à répondre à la demande de remplacement for­mulée par les agriculteurs ?

Des emplois non délocalisables

Pour trouver les candidats, elle n’hésite pas à aller les chercher en leur proposant, avec l’aide des acteurs locaux (chambre d’agriculture, conseil général et Pôle emploi), une formation gratuite avant un potentiel recrutement. « Les gens qu’on essaie d’embaucher suivent cette prépa­ration. C’est l’occasion pour eux de découvrir l’agriculture. L’expérience peut susciter des vocations. Actuellement, j’ai un groupe de onze personnes qui a intégré le dispositif. À la fin, quatre ou cinq d’entre eux resteront peut-être. »

Même volonté qui l’anime lorsqu’elle accompagne une jeune recrue qui ne possède pas de moyen de locomo­tion. « Ce jeune homme de 22 ans habite à Fourmies. Il est compétent. Il sait traire. Il a obtenu son permis de conduire ici dans le Nord. Mais il n’a pas d’argent pour s’acheter un véhicule. En Hauts-de-France, on a la possibilité de louer une voiture à un euro par jour. C’est super. Sauf que la mesure est faite pour les métropoles. J’ai appelé la région. Une personne m’a indiqué qu’il fallait se rendre à Lille ou à Amiens pour récupérer un véhicule. Ce n’est pas possible. À Landrecies, il y a un garage. À Fourmies, bourgade de campagne, c’est aussi le cas. Cette action aurait pu être mise en place également pour les gens vivant en zone rurale. Aujourd’hui le jeune travaille. Le matin, il va traire à 15 kilomètres de chez lui. Le soir, à 7. Mais c’est son beau-père qui l’y emmène matin et soir. Grâce à son contrat de 18 mois avec nous, il a pu toquer à la banque et obtenir un petit prêt pour s’acheter une voiture d’occasion. »

De beaux parcours professionnels possibles

Et le jeu en vaut la chandelle, clame-t-elle. « On peut avoir de très beaux parcours en service de remplacement et en vivre correctement. Ce sont des emplois non délocalisables, offrant l’occasion de rencontrer des personnes que l’on ne croiserait nulle part ailleurs, de découvrir une diversité de technologies et une multitude de méthodes de travail. »

La moyenne d’âge des personnes recrutées est de vingt-cinq ans, avec au moins pour condition (minimum) un bac agricole ou avoir effectué des stages en guise d’expérience. La politique de recrutement de la directrice est à l’image de son engagement pour les agriculteurs. « Les candidats plus âgés sont les bienvenus, précise-t-elle. Beaucoup de jeunes passent par le SR pour se faire la main et s’installer ensuite. Mais les recrues plus âgées ont un parcours opposé. Ce sont des chefs d’exploitation qui ont cessé leur activité pour des raisons personnelles. Ils rejoignent nos effectifs pour se reconstruire. Ces profils-là sont très intéressants pour nous [Retrouvez le Témoignage d’un ancien exploitant agricole : « Un tracteur dans le ventre »]. Ils pos­sèdent une sensibilité que les jeunes n’ont pas et dont il faut faire preuve quand on débarque chez un exploitant blessé, accidenté par la vie. Quelle que soit la blessure, psycholo­gique ou physique, ils savent trouver le mot juste et l’attitude qui convient. C’est précieux. »

Le congé de paternité trop compliqué

La confiance est au cœur de la relation de notre trio initial. C’est l’autre cheval de bataille du service de rempla­cement TH et de sa directrice. Tout faire pour rendre pos­sible au pied levé un remplacement et soulager l’agricul­teur est la vocation de son association. Mais quand une avancée sociale dont tout le monde se réjouit fait dérailler la petite machine du remplacement, c’est le branle-bas de combat. Le congé paternité, passé de 11 à 25 jours avec 7 jours obligatoires au moment de la naissance, vire par­fois au cauchemar pour une structure de cette taille, en particulier, lorsqu’il faut remplacer un exploitant installé seul. Comment caler ce remplacement quand on n’a pas de certitude sur le jour de la naissance ?

« La mesure est bien, confirme Delphine Grimert, car les papas ont plus de jours. Mais l’application de cette inno­vation sociale au niveau des services de remplacement est une contrainte nouvelle. » Elle est synonyme de stress pour l’agriculteur. Jérôme Delmarle, éleveur de vaches lai­tières, peut en témoigner, lui qui a eu des sueurs froides durant toute l’attente de l’accouchement de sa femme. Jusqu’à la dernière minute, il a partagé avec la directrice toutes sortes d’angoisses. « Je savais que la responsable faisait tout son possible pour me mettre quelqu’un mais tant que ce n’était pas confirmé, j’avais un petit doute et je me demandais sans cesse comment j’allais faire si ça se déclenchait la nuit. Qui allait venir traire le lendemain ? »

« Nous devions intervenir pour la naissance du bébé puisque M. Delmarle est tout seul, enchaîne Delphine Grimbert. Il n’était pas question qu’il laisse sa femme accoucher sans lui. Sauf que je n’avais pas d’agent de disponible, que je pouvais bloquer dans l’attente de cet événement. » Par chance, la délivrance est venue d’ailleurs. « Heureusement, ma femme a accouché quatre jours après le terme, soupire Jérôme Delmarle, ce qui a permis de sortir de ce dilemme. »