Jérôme Delmarle, 41 ans, éleveur de vaches laitières, à Petit-Fayt, est un homme heureux ou simplement qui a les pieds sur terre, du haut de son 1 mètre 87. « C’est un très beau métier, répète-t-il. Mais il faut le vouloir. Car tout n’est pas toujours rose. » Sur sa petite exploitation de soixante hectares, il bichonne chaque jour seul ses cinquante vaches : des montbéliardes, des holstein, des flamandes et une vosgienne, une bête rustique de montagne, très robuste qui sait profiter de l’herbe mais qui ne donne pas beaucoup de lait. Qu’importe, quand on aime, on ne compte pas. « J’ai toujours voulu en avoir une. J’aime sa couleur, son aspect. Elle me plaît. » Et maintenant il en a une. La fierté est totale.
La première fois qu’il sollicite le service de remplacement Thiérache-Hainaut (SR TH), c’est lorsqu’il a le genou bloqué après une traite du soir et qu’il atterrit aux urgences tant la douleur était insupportable. Là il apprend qu’il va devoir laisser sa ferme entre les mains de quelqu’un d’autre. « Je vous garde, m’a annoncé le chirurgien, vous voyez l’anesthésiste ce soir et je vous opère demain matin. » Mais l’éleveur met vite des freins à ces ardeurs médicales. « Ben non, lui-a-t-il répondu. Je ne peux pas. Je suis agriculteur. J’ai des vaches à traire. »
Accident de travail
Réaction éberluée du médecin : « Vous êtes la première personne à me faire ça. » Jérôme Delmarle est retourné ensuite à l’exploitation, le temps d’organiser son remplacement. Il fait appel à son voisin, Ludovic Lacoche, un ancien éleveur. « C’est un ami. Il n’habite pas très loin d’ici. Il est venu prendre le relais. C’est de cette façon qu’il a intégré le service de remplacement comme agent. Trois jours après, je suis opéré et immobilisé pendant trois semaines. »
Dès le premier contact, le service de remplacement a tout fait pour lui faciliter la tâche : il s’est occupé de son adhésion et a rédigé un contrat de travail à Ludovic Lacoche pour toute la durée de l’arrêt maladie. Depuis, chaque fois qu’il a besoin d’être aidé, il sollicite le service de remplacement Thiérache-Hainaut, et c’est toujours son ami qui vient l’épauler car il connaît bien la ferme.
La question de la confiance
« Nous les petits exploitants, reconnaît-il, on a du mal à lâcher notre petite ferme. C’est très dur. On laisse tout : la maison, l’exploitation, nos bêtes. On ne laisse pas entrer n’importe qui. Quand on le fait, c’est qu’on a confiance. » Son amitié avec Ludovic a commencé sur les bancs de l’école. Tout s’explique.
Nous les petits exploitants, on a du mal à lâcher notre petite ferme… On ne laisse pas entrer n’importe qui. Quand on le fait, c’est qu’on a confiance. »
Papa de trois enfants, Hugo, deux ans, Lola, sept ans et Louna, deux mois, l’éleveur fait partie de cette génération qui pour rien au monde ne manquerait le moment fort de la naissance et entende profiter du congé de paternité pour fêter l’événement en famille. « On ne le vit qu’une fois. On ne pourra pas revenir en arrière. Le congé de paternité est un droit : il faut le prendre. Sinon ça ne sert à rien d’obtenir des droits. Après, quand on est exploitant, on ne décroche pas à 100 % ; on garde dans un petit coin de la tête les soucis de la ferme car il faut tout de même continuer à la gérer. Le remplaçant ne peut s’occuper de tout à notre place. »
La liberté d’exercer
Jérôme Delmarle est ainsi fait que chez lui tout semble provenir d’un savant jeu d’équilibre entre liberté et contrainte, entre plaisir et difficulté, entre réalisme et responsabilité. « Quand on s’installe dans le monde agricole, ce n’est caché à personne que la traite, c’est deux fois par jour et tous les jours. Quand on reprend une exploitation, on sait à quoi s’attendre. Celui qui considère que cela ne lui convient pas, il ne s’installe pas. On a la liberté de faire comme on veut, tout en gardant la contrainte de devoir le faire tous les jours et deux fois par jour. »
Cette lucidité imprègne sa vision du métier et guide ses pas. « Je veux rester à tailler humaine. Je ne cherche pas à m’agrandir car j’entends faire mon travail correctement plutôt que de ne plus y arriver parce que je me serais agrandi. Et si je m’en sors avec 50 vaches, pourquoi en traire 90 ou 100 ? Pourquoi en avoir autant quand on peut s’en sortir avec moins ? »