Retrait de la famille
La transformation du monde agricole se fait par les gens qui font l’agriculture, explique Vanina Forget, l’une des coordinatrices de ce projet. Et si les métiers se diversifient, grâce à l’automatisation (robot de traite et autres outils high-tech) et l’intégration de concepts innovants comme l’agriculture de précision ou connectée, le profil des gens change également. La raison : le bouleversement au sein de la cellule familiale, où longtemps on a puisé ses futurs collaborateurs. Désormais, ce n’est plus le cas : un tiers des installations se fait hors des cadres familiaux. Et 20 % des agriculteurs n’ont pas de parents ayant travaillé dans le secteur (contre 10 % il y a vingt-cinq ans).
Fini donc le temps où l’on devenait agriculteurs de père en fils. Les aidants familiaux passent de 181 700 en 2000 à 44 010 en 2016 (source Agreste, cf. tableau). L’affranchissement des liens familiaux et patrimoniaux touche aussi le couple. Les conjoints, comme les enfants, ne veulent plus faire la même chose et s’orientent vers d’autres métiers. Les conséquences de l’érosion sont multiples. D’abord au niveau du profil de la main-d’œuvre. Les entrées et les trajectoires en agriculture sont de plus en plus variées. Beaucoup s’installent après une expérience professionnelle menée hors agriculture. Ensuite, côté organisation du travail, de nouvelles méthodes apparaissent comme l’externalisation ou la délégation d’activité.
Recours à une main-d’œuvre externalisée
Mais le monde agricole ne subit pas seulement l’érosion de l’aide familiale. Il est aussi confronté au vieillissement de sa population. L’âge moyen des agriculteurs est de 52 ans bien au-dessus de la moyenne des actifs des autres secteurs : 40,5 ans. Tandis que un agriculteur sur trois n’est plus remplacé, la part des 60 ans et plus atteint en 2016 les 17 % contre 10 % en 2010. Dans ce contexte, le recours à une main-d’œuvre externalisée est une nécessité. On assiste au développement du salariat : recrutement en CDI ou CDD, et recours aux saisonniers (en recul). Cependant si l’externalisation résorbe le problème des effectifs, elle en pose d’autres : le système s’appuie sur des travailleurs précaires qui assurent la moitié du volume de travail des salariés, avec souvent des rémunérations faibles.
Délégation d’activité
Les modes d’organisation du travail s’appuyant sur la sous-traitance, le regroupement d’exploitations et les holdings agricoles contribuent également à résoudre la problématique de la main-d’œuvre tout en répondant à d’autres enjeux comme les objectifs de productivité (mutualisation des outils et réduction des charges) dans un contexte de concurrence mondialisée, ou à la simple volonté d’améliorer ses conditions de vie. Certains optent pour cette voie, préférant se concentrer sur une partie du travail (comme l’élevage) et confier le reste des activités, explique Madame Forget. Dans ce contexte, de nouvelles formes d’entreprises de travaux agricole (ETA) ont fait leur apparition : celles tournées vers la délégation intégrale et celles « gestionnaires de patrimoine ». Le métier d’agriculteur devient comparable à celui du chef de la très petite entreprise d’un autre secteur économique. Ce phénomène, les experts d’Actif’Agri l’ont qualifié de « normalisation de l’agriculture ».
Les conditions de travail toujours difficiles
La recherche de la qualité de vie constitue le principal motif qui incite à quitter le secteur. Un grand nombre d’agriculteurs partent avant les 55 ans. Entre autres explications invoquées : les conditions de travail difficiles ou intenses, les revenus trop bas ou instables, les relations familiales et professionnelles et le mal-être lié à la mauvaise image de la profession (agribashing) ou au stress. À noter une surmortalité par suicide qui touche certaines catégories d’agriculteurs. Ce sont les femmes qui partent le plus, fuyant un secteur encore marqué par un grand niveau de pénibilité. Ce n’est pas une surprise si la féminisation recule, en dépit d’un accès au métier facilité. La part des salariées agricoles baisse, tandis que celle des responsables d’exploitation n’a pas dépassé les 27 % depuis une dizaine d’années.
Quant aux jeunes, ils ne sont pas mieux lotis. Comparés à leurs homologues des autres secteurs, ils sont plus précaires (un tiers des salariés sans CDI a moins de 25 ans), moins qualifiés et moins bien rémunérés. S’il y a eu une nette amélioration des conditions de travail par rapport aux années passées dans l’agriculture concède Madame Forget, elle reste insuffisante pour attirer et retenir les jeunes. La solution ? « Il faudrait développer les outils nécessaires permettant de les attirer et de garder les compétences. » Le même effort doit être fourni au niveau de la formation.
Autres points noirs soulevés, les accidents du travail et les maladies professionnelles. L’agriculture est particulièrement touchés par ces problèmes. Entre autres pathologie reconnues, les troubles musculosquelettiques (TMS) et certaines maladies liées aux pesticides. Mais il y a encore des maladies professionnelles qui ne font l’objet d’aucune reconnaissance, car le sujet est tabou. La question de l’impact des produits phytosanitaires sur la santé reste entièrement posée.
Le modèle des exploitations agricoles biologiques
Les exploitations biologiques emploient, en général, davantage de main-d’œuvre à l’hectare que leurs équivalentes en conventionnel. Elles emploient plus en grande culture, viticultures et bovin lait. Deux explications expliquent ce recours accru à la main-d’œuvre : le remplacement d’intrants chimiques par des pratiques intensives en travail, et le développement d’activités de transformation et de commercialisation (en circuits courts). Pour Vanina Forget, « le modèle de la production bio fait partie des voies qui permettent de lever la tension entre recherche de la qualité de travail et de la compétition du prix ». L’étude Actif’Agri suggère de faire de la « qualité sociale » des produits agricoles « un facteur de différenciation ». Une façon d’inviter le monde agricole à prendre modèle sur ce que d’autres industries ont fait, comme le textile après l’effondrement d’usine textile au Bangladesh le 24 avril 2013.
Consulter l’étude : Actif’Agri. Transformations des emplois et des activités en agriculture.