Que la campagne du Maine-et-Loire est belle ! Une beauté naturelle mais aussi un cadre harmonieux patiemment façonné grâce à la sueur des agriculteurs angevins. Qui sont ces architectes du paysage qui font de la France l’un des pays du monde les plus admirés pour la diversité de ses panoramas, de son agriculture et de sa gastronomie ? Qui sont ces hommes et ces femmes qui nous nourrissent ?
9 km à travers champs
Début de réponse le 2 avril. À 8 h 45, par un froid d’hiver et un soleil de printemps, ils sont une cinquantaine de curieux à enfiler leurs godillots pour un parcours de 9 km à travers les champs, en piétinant au passage pas mal de préjugés sur le monde agricole. Au programme : marche et visites d’exploitations, et surtout de belles rencontres d’agriculteurs qui ont leur terre attachée au cœur.
C’est au groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) Pachamama que la petite troupe composée de curieux s’est donné rendez-vous. La ferme a été baptisée du nom de la “mère Terre” dans la culture inca. Les 10 000 km qui séparent cette commune du Machu Picchu, la montagne sacrée du Pérou, ne provoquent aucun choc culturel. La Pachamama, la « Terre mère » en quechua, l’une des langues officielles du pays, est considérée comme la protectrice de tous les êtres vivants, animaux et végétaux, mais également de la technologie. Un nom qui va comme un gant à cette ferme qui allie à la fois respect de la terre et des hommes, mais aussi utilisation de techniques derniers cris.
Les associés Catherine Cesbron, Yanis Irhir, Damien Vivier et la petite dernière Mathilde Godicheau, intégrée le 1er avril, sont des agriculteurs boulangers qui cultivent en bio et transforment sur place, de la graine jusqu’au pain. Âgés de 28 à 48 ans, ils ont en commun d’avoir tous eu une autre vie professionnelle riche, en France ou à l’étranger, notamment en Amérique du Sud. Ces ingénieurs aéronautiques, agronomes ou ergothérapeutes de formation, devenus des paysans adeptes de la ferme ouverte, accueillent ce jour-là un groupe gourmand de réponses parfois très techniques mais aussi de produits authentiques.
« Je suis du coin mais je ne les connaissais pas du tout et je n’aurais jamais pensé qu’il y avait une ferme-boulangerie implantée ici », s’étonne une marcheuse, en engloutissant une tranche de pain aux graines. « Nous sommes attachés à une agriculture respectueuse de l’homme et de l’environnement, informe Yanis Irhir. Nous tenons aussi à pratiquer une activité qui nous permette de vivre décemment. Au-delà du plaisir immense d’être paysan et de tout ce qu’on peut y trouver de gratifiant, notre objectif professionnel est de travailler moins tout en dégageant un revenu décent. » Les quatre associés, qui ont pris la suite de Philippe Thomas, jeune retraité et président du comité local de la MSA, sont en train de réussir leur pari. Ils travaillent 4 jours et demi par semaine depuis cet hiver et s’octroient six semaines de vacances depuis cette année.
Des débats s’improvisent
« Notre modèle est alternatif mais également réplicable, il n’est pas utopique, insiste Yanis Irhir. Nous pratiquons une agriculture hyper technique et moderne. Regarder la transformation et la vente directe comme un modèle hippie pratiqué par des néoruraux qui vivotent, pour finir par se casser la gueule au bout de quelques années serait une erreur. Les agriculteurs conventionnels ont l’impression que l’on ne produit pas quand on ne fait pas de la grande quantité pour inonder les marchés mais nous prouvons qu’il y a de la place pour que ce modèle se développe en faveur du bien-être des agriculteurs. »
Les questions s’enchaînent auprès des hôtes et des débats s’improvisent aussi entre randonneurs. « Je me suis inscrite par curiosité mais aussi pour soutenir nos paysans, explique Marie, ancienne Parisienne, employée de banque à la retraite emmitouflée dans sa doudoune. Ils sont malmenés et accusés de tout et n’importe quoi. Il faut faire plus attention à eux car ils sont indispensables à notre santé. Je suis attentive à ce que je consomme mais il faut arrêter d’opposer pratiques bio et conventionnelle. On voit avec la conjoncture en Ukraine que l’on va aussi avoir besoin d’elle pour faire face et nourrir la planète. »
De discussion en discussion, le programme de la journée s’étoffe, à l’image des échanges entre participants qui parlent de géopolitique en godasses de marche. Il n’est même pas encore dix heures du matin, ça promet.
« On nous explique qu’il va falloir remettre des jachères en culture pour compenser l’absence du blé ukrainien sur les marchés alors qu’il se sème au mois de novembre, que les semences se commandent six mois à l’avance et que les engrais sont indisponibles à cause des pénurie. Donc, pour cette année, c’est foutu », lâche une autre randonneuse.
Nicole est agricultrice à la retraite. « C’est important pour nous de rassurer les gens. Je confirme que nous sommes mal vus, poursuit-elle. Dès qu’on sort le “pulvé”, des gens se permettent de nous prendre en photo. C’est un comportement nouveau, qui pèse sur notre moral. » Une méconnaissance du monde agricole qui se transforme parfois en mise en accusation, voire en agribashing, et qui a poussé les organisateurs de la journée à tenter de réconcilier deux mondes qui s’ignorent parfois.
« Les élus du comité de Doué – Saumur voulaient travailler sur la meilleure façon de faire connaître milieu agricole aux urbains. Pour bien vivre ensemble, il faut se parler, donner l’occasion aux agriculteurs de montrer ce qu’ils font, explique Audrey Guichet, travailleuse sociale à la MSA de Maine-et-Loire, en charge notamment du développement du milieu rural mais aussi de l’accompagnement des élus dans la mise en place d’actions de sensibilisation auprès du monde agricole et du grand public. Devant le succès, nous renouvelons chaque année l’opération depuis cinq ans. Lors des précédentes éditions, les randonneurs ont visité une cave de Saumur, l’école d’équitation du Cadre noir, un spécialiste de balnéothérapie pour chevaux mais aussi des éleveurs de chèvres ou de cochons, des producteurs de truffes, de champignons ou des élevages bovins céréales plus classiques. Le Maine-et-Loire a la chance de posséder une agriculture riche et diversifiée qui facilite l’organisation de nos parcours. »
Après 4 km de marche, le groupe entame sa deuxième visite.
« Quand on est arrivé en 1986, on n’avait pas de maison, pas de terre et pas de client donc les débuts ont été un peu compliqués », se souvient Jean-Luc Forest, fier du chemin parcouru avec sa femme Isabelle. C’est dans un hangar entièrement recouvert de panneaux solaires qu’ils reçoivent le groupe enthousiaste à l’idée de rencontrer ce couple plein d’énergie.
Le rosier Gérard Depardieu made in Maine-et-Loire
Ces producteurs biologiques d’arbres fruitiers, d’ornement et de rosiers sont producteurs exclusifs de l’arbrisseau épineux Gérard Depardieu. Celui-ci sera bientôt rejoint par d’autres stars françaises qui fleuriront dans leurs serres. « Quand on a commencé la culture biologique, on nous disait que c’était une mode et qu’elle passerait comme les autres, se souvient le pépiniériste. Mais nos clients sont fidèles et nous disent qu’ils s’aperçoivent que leur plante qui a été cultivée en bio a plus de résistance aux maladies que la même qui a poussé en conventionnel. »
« Avec la communication des autorités de santé sur le bien manger, la téléréalité sur la cuisine, les gens veulent savoir ce qu’ils mettent dans leur assiette d’autant qu’ils ont retrouvé le chemin de la cuisine lors des différents confinements. Qu’y a-t-il de plus naturel que de consommer un fruit mûri à point, cueilli sur un arbre de son jardin, plutôt que des produits transformés contenant des acidifiants, des colorants, des conservateurs, des sucres cachés et des exhausteurs de goût qui rendent les gens malades ? », interroge Isabelle Forest. Poussés par leur fils Valentin, professeur d’horticulture qui les a rejoints dans l’aventure il y a sept ans, ils expédient dorénavant leurs abricotiers, pêchers, pommiers, poiriers, kakis, figuiers, cassissiers, groseilliers et framboisiers dans tout le pays grâce à leur site Internet.
« Les ventes en ligne ont augmenté de 300 % en quatre ans, se félicite Jean-Luc Forest. Nous sommes désormais le 2e ou 3e plus important site fruitier de France. Notre avantage comparatif est que nous sommes aussi producteurs alors que les autres ne font qu’acheter et revendre des arbres. Au total, 100 % de notre production a poussé sur nos terres du Maine-et-Loire. On a livré cette année 3 200 colis en plein hiver. »
La journée s’est achevée par l’intervention d’un membre de l’association angevine Des arbres pour la vie, née en pleine crise du Covid. Les bénévoles qui l’animent ont déjà planté 3,3 km de haies. Ils organisent des actions collectives de plantation et d’entretien d’arbres, de haies bocagères et de forêts pour maintenir la biodiversité aux abords des champs. Peut‑être une occasion de faire fonctionner ses bras après les 9 km à pied effectués par nos promeneurs du jour ?