« Le rythme actuel des installations ne permettra pas de compenser les cessations d’activités massives prévues dans les années à venir. Un quart des exploitations pourraient disparaître en cinq ans. » Voté à la quasi-unanimité, l’avis du conseil économique social et environnemental (Cese) s’ouvre sur ce constat inquiétant : 200 000 agriculteurs vont partir à la retraite d’ici 2026, et les deux tiers d’entre eux ne pensent pas pouvoir transmettre.


Une question dont le conseil s’est saisi en mai 2019 et qui, avec la crise, est revenue sur le devant de la scène. Pour Bertrand Coly, membre du groupe des organisations étudiantes et mouvements de jeunesse au Cese, « cette période a permis de redécouvrir les enjeux économiques et sociaux de l’agriculture ainsi que la nécessité de mieux rémunérer ses métiers. L’agriculture est également au cœur des enjeux environnementaux, ce qui nécessite plus de paysans sur les territoires. Il est urgent d’arrêter l’hémorragie ! » Un cri du cœur partagé par tous les protagonistes.

Le texte fait un état des lieux des conditions et des différents dispositifs visant à favoriser l’installation et la transmission ainsi que des freins à leur développement. Une réflexion basée notamment sur de nombreux entretiens et auditions d’une grande diversité d’acteurs – sociologues, collectivités territoriales, chambres d’agriculture, syndicats et fédérations interprofessionnelles, sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), coopératives, organismes de formation, institut de l’élevage, MSA… ainsi que plusieurs associations comme Terre de liens, le réseau national des espaces-test agricoles (Reneta) ou la fédération des associations pour le développement de l’emploi agricole et rural (Fadear).

Une journée citoyenne a également été organisée le 22 octobre au palais d’Iéna à Paris avec une vingtaine de porteurs de projets et cédants. « Celle-ci a été particulièrement intéressante pour se rendre compte des réalités vécues par ceux directement concernés. Ils ont dégagé un certain nombre de pistes dans lesquelles nous sommes venus piocher. »

13 925 nouveaux installés en 2018, dont 31% de plus de 40 ans. 20 000 cessations d’activité environ par an. 50 000 ha de terres agricoles disparaissent chaque année depuis 2015.

Porter une politique ambitieuse à l’échelle territoriale

Le Cese présente ainsi 19 préconisations pour améliorer la situation, dont deux font l’objet d’un dissensus. Des propositions concrètes réparties en quatre grands thèmes. En premier lieu, les conseillers appellent à la mobilisation et la coordination de tous les acteurs concernés, agricoles ou non, et particulièrement des collectivités territoriales. Objectif : porter une politique ambitieuse à l’échelle territoriale qui soit lisible pour les porteurs de projet.
« Ce qui nous a peut-être le plus marqués c’est la complexité des dispositifs due au nombre d’intervenants et à la concurrence qui peut exister parfois entre eux. C’est un frein aujourd’hui pour les porteurs de projets. L’idée serait de mieux les articuler pour qu’ils s’y retrouvent. »

Il est proposé notamment la création de déclinaisons départementales des comités régionaux installation transmission (Crit) pour un accompagnement plus ciblé et une médiation entre cédants et repreneurs. Financés et présidés par l’État et les régions, les Crit définissent entre autres les objectifs des stratégies régionales, déclinent les aides à l’installation et coordonnent les points d’accueil installation transmission (PAIT) et les centres d’élaboration du plan de professionnalisation personnalisé (CEPPP). Le Groupe environnement nature du Cese a souhaité inscrire dans l’avis son insatisfaction de la gestion actuelle de l’aide à l’installation, estimant qu’elle n’intègre pas assez la diversité des acteurs  de l’accompagnement. La FNSEA quant à elle a décriée par la suite cette recommandation, craignant au contraire une complexification.

L’enjeu majeur de cet avis porte sur l’accompagnement des transmissions. Il avance l’idée de systématiser des rencontres très en amont, cinq ans avant le départ à la retraite, pour sensibiliser les cédants, ainsi que de déployer des outils financiers pour inciter à la transmission : la revalorisation des retraites agricoles, un premier pas franchi ; la mise en place d’une indemnité viagère de départ pour transmission (qui pourrait être financée par la PAC), la suppression du bénéfice des aides de cette dernière à 70 ans ou dès lors que les conditions sont remplies pour une retraite à taux plein ; ou encore l’inscription systématique sur le répertoire départ installation (RDI). « Cette question, contrairement à l’installation, n’a pas été assez prise en compte par les politiques publiques ces dernières années. Le système est peu pensé pour les accompagner, que ce soit sur les aspects économiques et financiers, mais aussi psychosociaux. Devoir changer de logement, quitter sa ferme, passer la main… Ce n’est pas facile. Aujourd’hui, c’est plus simple voire même obligé pour certains de penser d’abord au prix de vente. Il faut que transmettre devienne plus simple et plus attractif. »

Nouveaux contextes, nouveaux profils

« Les personnes non issues du milieu agricole représentent aujourd’hui près de deux tiers des porteurs de projet. »

L’installation quant à elle, historiquement très encadrée, dispose de nombreux outils tels un parcours de formations et d’informations, détaillant par exemple les démarches et astuces pouvant assurer la bonne viabilité économique de son projet, et de multiples aides liées à l’accès à la terre et aux soutiens financiers. « Mais ils peinent à s’adapter aux nouveaux contextes et profils. Les personnes non issues du milieu agricole représentent aujourd’hui près de deux tiers des porteurs de projet qui se renseignent aux points accueil installation. Mais ils s’intègrent moins bien dans les dispositifs et se trouvent davantage en difficulté face aux institutions. Seul un tiers des dotations jeunes agriculteurs (DJA) leur sont attribuées. Les attentes évoluent aussi, telle la conciliation entre vie personnelle et professionnelle. Les femmes peinent à aller au bout de leur projet alors qu’elles sont 30 % parmi les nouveaux installés. Il y a également un manque d’articulation entre les nombreuses structures d’accompagnement. »

Pour y remédier, le Cese recommande de mieux accompagner et former les porteurs en amont de leur installation, de généraliser les espaces tests, de doubler le volet nouvel installé du premier pilier de la PAC, avec une attribution forfaitaire et non en fonction de la surface de la ferme. Il propose également d’ouvrir la DJA jusqu’à 50 ans. Ce dernier point n’est pas partagé par tous. Le groupe de l’agriculture du Cese (dont est membre Anne Gautier, présidente de la MSA de Maine-et-Loire et vice-présidente de la CCMSA) estime que les jeunes doivent bénéficier d’un soutien prioritaire afin notamment de conserver le financement européen. Les JA proposent plutôt la mise en place d’un autre dispositif adapté à ces nouveaux installés.

De nombreuses actions existantes sont citées en exemple, comme l’association Terre de liens qui achète des terres pour les louer. « De nouveaux acteurs investissent le champ de l’agriculture, dont les collectivités locales. C’est le cas de parcs naturels régionaux et de départements, de plus en plus proactifs, qui intègrent des actions en faveur de l’installation dans un projet alimentaire de territoire. Je pense notamment à l’agglomération du Havre, qui accueille des espaces tests en maraîchage, ou encore le parc national du Perche, qui y travaille depuis une dizaine d’années. Et ça marche. »

Certains regrettent que le texte ne mentionne pas assez l’attractivité du métier. « Cette question reste encore à travailler mais on le voit avec le nombre de personnes qui se présentent aux points accueil installation, c’est un métier qui attire malgré tout. Il faut ensuite pouvoir les accompagner jusqu’au bout. Dans le maraîchage, par exemple, c’est à noter, les installations ont doublé ces dernières années. »

Le dernier thème, et pas des moindres : la nécessité d’adopter une grande loi foncière, comme celle portée par le député de Meurthe-et-Moselle, Dominique Potier, qui partage et protège la terre afin d’en stopper l’artificialisation. « Le prix du foncier agricole a doublé en vingt ans et les terres fertiles disponibles sont rares et souvent artificialisées. Il faut poser le principe de “zéro artificialisation nette”. Cela passe par aussi une taxation plus dissuasive des plus-values liées au changement de destination des sols. C’est un point structurant si on veut changer la donne. »

Photo : © Franck Beloncle/CCMSA Image

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