« Bonjour tout le monde. Cette semaine, une nouvelle vidéo où on vous explique avec des collègues et amis éleveurs laitiers pourquoi on a choisi ce métier. » Étienne Fourmont, agriculteur dans la Sarthe, a recours aux réseaux sociaux pour raconter son quotidien. Dans cette vidéo, il donne notamment la parole à Antoine Thibault, éleveur en Normandie : « J’ai l’immense honneur de gérer une ferme, un petit écosystème où se côtoient des cen-taines d’espèces animales et végétales. Tout ça dans un bel équilibre qui me permet de produire du lait et de nourrir 2 000 personnes par an. » Étienne a débuté sur Twitter, est également présent sur Instagram, « un des réseaux les plus utilisés par les jeunes », et anime une chaîne Youtube sur laquelle il publie tous les dimanches des petits films pour expliquer son métier : les animaux, la reproduction, le lait, les machines, la robotique… Sa chaîne regroupe aujourd’hui 62 000 abonnés.
« Les gens parlaient d’agriculture sans la connaître »
Invité à l’une des réunions des rendez-vous de l’agriculture connectée organisée par l’ESA d’Angers, il fait part de son expérience et raconte pourquoi il a choisi cette présence sur les réseaux sociaux : « Les gens parlaient d’agriculture sans la connaître. J’ai commencé à répondre à leurs messages sur Twitter. » En raison du format très court des messages sur ce réseau social, il s’oriente sur Youtube afin de publier des vidéos pour montrer son métier. « On doit faire de la pédagogie, se montrer et incarner l’agriculture. Être face caméra, c’est très important. Le public comprend mieux le message. » Sa chaîne est très suivie par des jeunes de 15 à 25 ans, pour beaucoup étudiants de la sphère agricole, qui ont parfois des interrogations très techniques. « Mais, il y a aussi des questions simples de personnes moins initiées. »
« Ils entendent reprendre en main leur médiatisation »
Louis Rénier, doctorant en sociologie, dresse un portrait de ces professionnels qui interviennent sur les réseaux sociaux et particulièrement sur Youtube. Leur motivation ? « Prendre la parole dans l’espace public, essayer d’établir un dialogue plus direct avec un public non agricole. Il s’agit d’une forme de mobilisation informationnelle de la part d’agriculteurs qui entendent reprendre en main leur médiatisation, en réponse aux critiques sur le métier et sur les pratiques de production circulant sur les réseaux sociaux numériques ou dans les médias traditionnels. Des critiques dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas, qu’ils jugent disqualifiantes à l’égard de leur activité, de leur quotidien, de ce qui fait leur profession au jour le jour. Ils veulent produire eux-mêmes les images qui permettent de décrire ce qu’ils font. » Louis Rénier explique qu’ils montrent leurs pratiques au gré des saisons, en décrivant les opérations de culture, de mécanique et établissent « une relation de proximité, en se rendant presque familiers par une présence connectée au fil des jours ».
Adrien Dinh, directeur marketing et digital du Cniel, expose quant à lui la volonté de l’interprofessionnelle laitière de s’adapter aux nouveaux usages de communication. « Nous avions à cœur de nous relier avec les consommateurs et surtout avec ceux de demain (les 15-35 ans). C’est pourquoi nous avons adapté notre ligne éditoriale, avec un ton volontairement décalé, notamment sur Twitter, pour être crédibles auprès de cette cible. En déconstruisant une image de lobby, pour nous recentrer sur nos produits – qui sont des produits du quotidien – et parler du plaisir, du goût, puis des modes de production et de l’élevage. En tant qu’interprofession, nous sommes très à l’écoute des débats sociétaux et constations une cassure entre les consommateurs et le monde agricole. »
Depuis quelques années, des professionnels s’engagent pour défendre leur conception de l’agriculture. Mais outre cette volonté, ils utilisent également les réseaux sociaux pour échanger sur leurs techniques, tester les nouvelles technologies, proposer des formations, diffuser des savoirs, militer. Différentes orientations présentées par d’autres invités.
« La parole technique n’est plus réservée à des experts »
À l’instar de Baptiste Létocart, cofondateur du réseau social Farmr qui permet aux agriculteurs de se connecter entre eux en fonction de leurs spécificités métier pour échanger de l’information, des conseils ou encore des ressources au sujet de problématiques communes. Ou de Vincent Levavasseur, maraîcher, directeur de Ver de Terre Production et président de Maraîchage sol Vivant Normandie, qui veut promouvoir l’agriculture de conservation appliquée au maraîchage. Anne Berville, animatrice du Ceta 35 (centre d’études techniques agricoles), a expliqué la démarche du groupe Cetageekculteur constitué pour tester et trier divers outils numériques (d’aide à la décision, de gestion du troupeau et d’échanges) afin de transférer les acquis au reste du réseau du Ceta.
« La parole technique n’est plus réservée à des experts », pointe Bertille Thareau, sociologue, responsable de la chaire mutations agricoles à l’ESA, organisatrice de la journée, en soulignant une plus grande diversité sociale des contributeurs. Les débats ont montré un consensus sur l’évolution du rôle des conseillers, des experts des instituts techniques. « Mais ils vont conserver un rôle d’animation de collectif, de coach dans la mise en œuvre des changements sur les exploitations, un rôle de territorialisation et d’adaptation au contexte pédoclimatique singulier de chaque exploitation de toutes les connaissances qui peuvent être puisées sur les réseaux sociaux. Plus qu’une recomposition radicale, ce sont des ajustements qui s’opèrent entre des sphères traditionnelles du conseil, des organisations professionnelles, des médias et ce qui se joue sur les réseaux numériques. »
« Une audience jeune, des porteurs de projets »
À l’issue des échanges, Bertille Thareau est revenue sur la notion d’apprentissage évoquée à plusieurs reprises au cours de la journée. « La question générationnelle s’est invitée dans ces rendez-vous de l’agriculture connectée. Les réseaux sociaux captent une audience jeune, des porteurs de projets – avec de nouveaux agriculteurs ou des entrants dans le métier. Les contenus numériques permettent de mobiliser de jeunes auditeurs, de contribuer à les former ou de compléter leur formation. Ils semblent jouer un rôle déterminant pour l’entrée dans ces activités. Cela doit nous interpeller dans un contexte où la question du renouvellement des générations est un sujet prioritaire à traiter dans les mondes agricoles. »
La rencontre a en outre été éclairée par le regard d’intervenants tels que Patrice Flichy, professeur émérite de sociologie, qui a détaillé les évolutions du travail avec l’arrivée du digital. Anaïs Théviot, maîtresse de conférences à l’université catholique de l’Ouest, s’est intéressée au militantisme partisan en ligne et aux nouvelles manières de s’engager. Baptiste Kotras, sociologue spécialisé dans l’étude des technologies numériques, a centré son propos sur la problématique de la mesure de l’opinion sur les réseaux sociaux.
Les travaux de cette journée sont accessibles en replay sur la chaîne Youtube de l’ESA.
Quelques réseaux sociaux
- Twitter : partage de messages courts limités à 280 caractères. Très utilisé par le monde politique, les médias, les entreprises.
- Youtube : plateforme pour regarder et partager des vidéos en ligne.
- Instagram : photos et vidéos. Très utilisé par les jeunes.
- Facebook : mise en lien avec des amis, partage de centres d’intérêts et inscription à des groupes.
- LinkedIn : mise en relation de professionnels.
- WhatsApp : échange de messages écrits, photos, vidéos.