Première cause d’accidents du travail mortels
Au-delà des mesures Covid désormais de rigueur, il est bon de rappeler les risques qu’on prend aux commandes d’une machine agricole1 et quels moyens il est possible de mettre en œuvre pour les limiter. Si la MSA et ses services de santé-sécurité au travail s’y intéressent tout particulièrement, c’est bien parce que ces monstres d’acier représentent une part importante des accidents du travail, en nombre et en gravité. Écrasement, happement, renversement… « C’est la première cause d’accidents du travail mortels, pour les salariés et les non-salariés agricoles, plus particulièrement chez ces derniers, confirme Benoit Moreau, en charge du risque machines, lors de sa présentation pour Terre-net.fr. Ces équipements sont impliqués dans environ un accident mortel tous les huit jours et un accident grave toutes les sept heures. »
Les jeunes sont les plus touchés : chez les salariés, un quart des accidents impliquant un tracteur ou un appareil mobile concerne les moins de 25 ans. Dans un cas sur dix, la personne vient d’être embauchée depuis moins d’un mois, et dans 40 % des cas elle l’a été dans l’année. « C’est très important car ça montre bien qu’il faut mettre la priorité sur les jeunes et la formation. »
Alors quels sont les premiers réflexes à avoir avant de les confier à quelqu’un ? « Tout d’abord, s’assurer que la personne est capable de l’utiliser et qu’elle a éventuellement déjà été formée, précise le conseiller. Utiliser un engin agricole est un acte professionnel réservé à ceux qui ont reçu une formation adéquate. Celle-ci peut être dispensée par l’employeur, en expliquant le fonctionnement, l’entretien, la conduite à tenir en cas de panne ou de dysfonctionnements. Il faut également rappeler que le code du travail interdit l’utilisation de certaines machines aux mineurs, avec tout de même une possibilité de dérogation temporaire pour les besoins d’une formation professionnelle, après déclaration préalable auprès de l’inspection du travail. »
Pour un certain nombre d’équipements reconnus dangereux2, une autorisation de conduite est nécessaire. Elle comprend un examen d’aptitude réalisé par le médecin du travail, un contrôle des connaissances (interne ou externe, comme le certificat d’aptitude à la conduite en sécurité), ainsi que la maîtrise des lieux d’utilisation et des conditions de travail.
Prendre en compte les autres usagers
Une fois ces pratiques mises en place, comment cela se passe sur la route ? Avertissement primordial : face aux engins agricoles, les autres usagers sont particulièrement vulnérables. Un point confirmé par les statistiques de l’observatoire national de la sécurité routière : entre 2013 et 2017, 984 accidents corporels sont enregistrés avec un tracteur agricole, entraînant 201 décès, dont 44 dans le tracteur. « Mais les conducteurs du tracteur sont eux-mêmes vulnérables puisque parmi les 44 victimes, 42 sont décédées dans un accident sans tiers. »
Alors comment améliorer la cohabitation et limiter les accidents ? Si le respect du code de la route est entre les mains du conducteur, c’est bien évidemment à l’employeur de fournir un véhicule homologué en bon état, de s’assurer qu’il est bien entretenu, correctement éclairé, signalé… C’est une responsabilité de l’ensemble de la chaîne.
Code de la route
Depuis 2015, un permis B suffit pour conduire un tracteur homologué à moins de 40 km/h, que l’on soit agriculteur ou non. Au-delà, il faut un permis poids lourd. Particularité en agriculture, il existe une dérogation autorisant la conduite d’engins agricoles sans permis sous deux conditions : que le matériel soit rattaché à une exploitation agricole, une Cuma ou une entreprise de travaux agricoles, et qu’il soit utilisé à des fins agricoles. « Attention, dispense de permis ne veut pas dire dispense de formation, d’autant plus qu’ils vont de plus en plus vite, sont de plus en plus volumineux et lourds », alerte le préventeur. Le code précise également que cette utilisation agricole est possible dès l’âge de 16 ans dès lors que l’ensemble fait moins de 2,50 mètres de large.
Sur la route, attention à la surcharge et la vitesse ! La masse maximale de chaque véhicule est indiquée sur la carte grise. Quant à la vitesse, « il est crucial d’y faire attention. Nous avons encore eu des drames les deux derniers étés. C’est à la fois celle du code de la route et celle adaptée à ses compétences, à la visibilité, au trafic, au chargement et à la largeur des voies. Lors d’un convoi, le véhicule le plus lent donne la limite maximale. Beaucoup sont d’ailleurs encore limités à 25 km/h en France, notamment les remorques. »
Lorsque l’on roule tard le soir pendant les moissons, mais aussi en hiver, il est très important d’être visible grâce aux gyrophares, feux et clignotants propres et en bon état… Il faut s’assurer qu’aucun équipement ne masque l’un de ces éléments. Obligatoires, les panneaux et bandes rétroréfléchissantes matérialisent les dépassements de gabarit lorsque la largeur du convoi dépasse 2,55 mètres.
Sur le tracteur, la ceinture reste encore trop peu utilisée. Si le slogan « Sans la ceinture, vous risquez d’aller dans le mur » est vrai sur la route, il l’est également au champ. « Il faut que ça devienne un réflexe comme en voiture. Il suffit d’une petite manœuvre un peu rapide avec une charge levée pour entraîner un renversement latéral. » Le renversement de tracteur est en effet une cause majeure d’accidents mortels chez les exploitants. Et nombreux sont ceux qui ne sont pas équipés de structure de protection, tout aussi indispensable en cas de choc.
Outre l’arceau de sécurité et le port de la ceinture, il est recommandé d’avoir un véhicule large avec la charge la plus basse et la moins excentrée possible. Concernant les basculements avec des engins de levage, liés à cinq accidents graves en 2020, la plupart sont causés par une méconnaissance ou un non-respect de la capacité maximale. Il faut bien lire en détail les abaques, des graphiques qui permettent de visualiser les masses et hauteurs maximum du chargement et ne pas oublier de circuler sur la route en mode deux roues directrices.
Prudence aux champs
Revenons aux champs : chaque année, les accidents plus ou moins graves à la ferme ou dans les parcelles sont récurrents. Premiers d’entre eux : les chutes, notamment lors de la descente du tracteur ou d’une intervention en hauteur. Plusieurs engins de levage de personnes permettent d’assurer cette dernière en sécurité, telles que des nacelles ou plateformes élévatrices mobiles, que l’on retrouve parfois dans les Cuma. Pour la montée et descente de véhicules, il faut bien faire face au marchepied en maintenant trois points de contact. Autres types de chutes fréquentes contre lesquelles une structure de protection aide à se prémunir : les chutes de balles de fourrage. En période de fenaison ou après les moissons, on constate également des accidents de personnes qui essaient de sangler ou de rattraper des sangles qui sont mal passées par-dessus les bottes. Des systèmes intégrés sur les plateaux existent pour s’en protéger au moyen de barres rigides ou de sangles de maintien plus souples.
« Durant la récolte, un salarié ou un client peuvent également essayer de monter dans la moissonneuse batteuse en mouvement, par exemple. Il faut interdire l’accès à toute personne et replier l’échelle afin d’éviter toute tentative. » Prudence également lors d’intervention sur une machine qui n’est pas immobilisée ou correctement calée, d’autant que les systèmes d’automatismes sont de plus en plus fréquents. « Certaines ont des cycles de travail automatisés. On peut notamment se retrouver à intervenir, lors d’un bourrage, sur une presse enrubanneuse, et lorsque l’on repousse la botte coincée, le capteur le détecte et redémarre son cycle. On peut alors être happé ou écrasé. » Règles de base : verrouiller le frein de parking et s’assurer qu’il n’y a pas d’énergie résiduelle dans le mécanisme. « Tout arrêter pour empêcher que ça redémarre, comme on le fait en électricité, et prendre la clé avec soi. »
Depuis quelques années, de nouveaux risques liés aux systèmes de guidage apparaissent. « Cet outil permet de moins se concentrer sur la trajectoire et plus sur l’outil et la bonne réalisation du travail. Mais cette baisse de concentration, éventuellement cumulée avec une distraction comme le smartphone, peut entraîner des collisions avec des obstacles dans la parcelle tels que des poteaux électriques. L’autre conséquence, c’est qu’un certain nombre d’utilisateurs descendent du véhicule en marche, guidé automatiquement, pour aller contrôler le semoir par exemple. Sur les tracteurs récents, des dispositifs de contrôle de présence existent permettant de limiter ces comportements. »
Le risque électrique omniprésent
Amorcer ou toucher une ligne électrique aérienne fait partie des risques majeurs, d’autant plus que le gabarit des machines augmente contrairement aux lignes, qui restent autour de six mètres de hauteur. Le repérage des parcelles est primordial, tout comme connaître le voltage et les distances de sécurité associées, la hauteur exacte des outils utilisés, et faire rehausser les lignes par le gestionnaire si elles sont trop basses. Indispensable, le détecteur de lignes électriques a fait ses preuves. Il est également recommandé de ne pas stocker de fumier ni de paille sous une ligne, pour éviter toute manipulation dans cette zone dangereuse.
« Si malgré toutes ces précautions, on accroche une ligne, il est vital de ne pas bouger s’il n’y a pas de début d’incendie, d’appeler les pompiers et d’attendre de savoir si le courant a été coupé. De même, si on travaille à plusieurs, il faut absolument faire comprendre aux autres de ne pas s’approcher. Tous les accidents répertoriés sont des personnes qui ont été électrisées au moment de toucher le sol en descendant du tracteur, ou qui sont venues porter secours, en touchant l’engin. »
Les équipements de protection individuelle viennent s’ajouter à toute cette batterie de mesures de prévention : tenue couvrante et ajustée, contre les projections sur le corps mais aussi pour éviter d’être happé lors d’une intervention sur une machine et se protéger du soleil, gants, masque anti-poussière et lunettes pour le soufflage, chaussures de sécurité, crème solaire…
Enfin, il ne faut pas oublier sa propre santé. « Pendant les moissons, les cadences sont effrénées. Néanmoins, il faut veiller à respecter les rythmes chronobiologiques. Personne n’est un surhomme. Nous avons besoin de dormir et les études montrent que quand nous sommes vraiment en déficit de sommeil, c’est un peu comme si on était alcoolisé. L’hygiène de vie, bien manger, bien s’hydrater, tout ça a son importance aussi », conclut Benoit Moreau. Pour un été sans accident… et en toute saison.