« Travailler la vigne dans la vallée de la Marne pour un vin aussi prestigieux est un vrai privilège », se réjouit Corinne Dehec. À la façon de la craie qui surgit partout sur le sol champenois, chez cette Grauviotte, l’amour du métier affleure dans chaque phrase. « Même si, lorsqu’on dit que l’on travaille dans le Champagne, les gens nous croient à tort riches », plaisante-t-elle. Riche d’un métier passionnant, ça c’est certain. Voir des femmes à la tête de grandes maisons va de soi depuis presque toujours en Champagne. La célèbre veuve Clicquot, Louise Pommery ou Élisabeth Bollinger ont marqué l’histoire de l’appellation.
Du côté des ouvriers viticoles, il aura fallu quelques siècles de plus pour changer les mentalités… Au fil du temps, les métiers de tractoristes (ou chauffeurs de tracteur agricole), cheffes d’exploitation, œnologues ou employées viticoles, s’accordent de plus en plus au féminin. « Sur une trentaine d’élèves, nous n’étions que quatre filles pendant mon apprentissage. Aujourd’hui, on arrive quasiment à la parité chez la jeune génération », explique la salariée tâcheronne du Champagne Remue-Gaspard, une maison familiale installée à Grauves. La quinquagénaire a tâté du sécateur au lycée viticole d’Avize, la Mecque de la formation à la viticulture champenoise, dès ses 17 ans. « Trente-trois ans plus tard, je suis toujours dans la même maison. Odile, ma première patronne a transmis l’exploitation à sa fille Sophie qui a repris les rênes dans la continuité. »
Élue déléguée MSA pendant la crise du Covid
Quand nous débarquons, mardi 17 mai, Corinne est en train d’étiqueter du blanc de blanc qui partira égayer les soirées de clients parisiens avec Victorine, la petite dernière de la famille. Si aujourd’hui elle se retrouve dans une maison 100 % féminine, ce n’est pas par choix mais parce qu’ici comme ailleurs dans le monde agricole, la profession a du mal à recruter.
« Homme ou femme, peu importe, pourvu qu’il ou elle soit courageux. Une qualité qui semble se faire rare ces derniers temps… », lâche-t-elle en évoquant les nombreux essais sans lendemain de salariés qui n’ont pas compris que le bonheur professionnel pouvait se construire dans les rangées de vignes. « Mon père, ma mère, mon frère ont travaillé ou travaillent dans le champagne. » C’est simple, dans la famille Dehec, enfant, nul besoin d’annoncer ce qu’on fera quand on sera grand, tant les discussions autour de la table du repas tournent autour des bulles comme toute l’économie de sa commune.
« J’ai été élue déléguée MSA pendant le Covid. Cela n’a pas facilité pour faire connaissance avec mes nouveaux collègues mais cela ne nous a pas empêchés de mettre sur pied des opérations d’envergure comme les paniers solidaires, se félicite-t-elle. Nous avons distribué des produits agricoles à des familles et personnes isolées. Les gens étaient ravis. C’est notre rôle d’élus MSA que d’être là pour ceux qui ont moins. Surtout que pendant le confinement, j’ai bien senti que j’étais privilégiée car je pouvais aller respirer dans mes vignes alors que la plupart des gens étaient enfermés dans leurs appartements. »
Ébourgeonnage, relevage, palissage, taille… Corinne maîtrise parfaitement toutes les étapes du travail du raisin tout comme celui de la cave. « Un métier que l’on apprend plus avec l’expérience qu’à l’école », soutient-elle. Mais peu importe car sur son siège de taille, elle est une salariée épanouie.
« Je travaille sans chef sur le dos, en contemplant les oiseaux voler et les lièvres et lapins se courser, au milieu de paysages magnifiques qui changent de couleurs au fil des saisons. Je mets ma radio, Champagne FM, RFM ou Nostalgie car, suivant les parcelles, on ne capte pas toutes les stations et mon esprit vagabonde. » Elle pense à ses nouvelles créations artistiques : animaux en pneus recyclés ou décoration d’intérieur. C’est l’autre passion de la Marnaise qui scrute avec intérêt depuis sa parcelle l’œuvre de land art, qui utilise comme matériau la nature, installée sur les hauteurs de la commune. C’est l’une des œuvres d’art rural proposées au public par Vign’Art, un festival qui propose un parcours artistique à faire à pied, à vélo ou en voiture sur la célèbre route touristique du champagne. L’installation qui se trouve à Grauves a pour nom Dévoiler. Des portes en tissu qui dansent avec le vent et ouvrent un horizon infini à l’imaginaire de Corinne, la reine des coteaux marnais.