C’est avec la même prose qu’utilise Philippe Delerm pour évoquer sa première gorgée de bière que Haroon Rahimi relate sa rencontre avec le vin en 2015. Une rencontre clandestine, en Afghanistan où il est né. « Ma première tasse de vin, je l’ai puisée dans un seau en plastique en cachette dans un atelier de peintre. » C’est une révélation. « Ça m’a fait beaucoup réfléchir car j’ai vraiment ressenti des sensations incroyables qui m’ont ouvert l’esprit de façon assez artistique. »
Le goût du vin
Passionné de poésie et de littérature, la France lui tend les bras. Il arrive à Paris en mars 2016. Six mois plus tard, tandis qu’il passe un CAP hôtellerie/restauration, une épreuve d’accord mets/vin va changer sa vie. Au cours de ses recherches, il tombe sur la description d’un vin rouge à base de grenache noir. « C’est comme si j’avais déjà vécu ce moment. Mon expérience en Afghanistan m’est tout de suite remontée en mémoire. Les mots qui me sont venus en 2015, je les retrouvais écrits noir sur blanc. L’auteur parlait de robe rubis, il y avait de la poésie, de l’amour. C’est à ce moment-là que je me suis dit que j’allais devenir vigneron. »
En route pour le vin d’Alsace
En 2018, son diplôme en poche, son idylle avec le grenache noir l’amène dans le sud de la France où il est apprenti au Château de l’Ou, dans les Pyrénées-Orientales. Deux ans plus tard, c’est son intérêt pour la biodynamie et les vins nature qui guide ses pas en Alsace. Il y fait ses classes sur le domaine de Laurent Bannwarth, dirigé par son fils Stéphane, adepte de la biodynamie et de la plus vieille méthode de vinification connue, en qvevri (jarre géorgienne). « C’était très expérimental, je travaillais avec l’association Vignes Vivantes qui valorise les cépages oubliés. » Son amour du terroir, son éthique et son exigence lui valent alors la confiance et la reconnaissance de son mentor qui le laisse produire, en 2022, ses deux premières cuvées.
La location de 0,25 are de cépages Gewurztraminer de 75 ans la même année lui permet de réaliser son premier millésime et de créer son domaine, Harjane (universel en farsi), à Niedermorschwihr, près de Colmar. « Mon patron m’a fait confiance, il m’a permis de me lancer sur le marché. J’achetais 80 % des raisins chez lui. C’est comme si j’étais son fils. » Un fils prodige qui prend définitivement son envol en 2024 lorsqu’il loue 1,5 hectare de vignes (après trois ans d’attente) sur les coteaux d’Ammerschwihr et de Niedermorschwihr. C’est sa première vendange en tant que récoltant. Et il n’est pas question de tomber dans la facilité.
L’humain avant tout
Le travail du sol s’effectue avec un cheval de trait et selon les principes de la biodynamie. Il presse à la main dans un pressoir de près de 100 ans qu’il a retapé. La vinification est réalisée en jarres et la mise en bouteilles sans machine, par gravité. « C’est grâce à la qualité de mes raisins et à l’usage de mes contenants que j’en suis arrivé là. Les jarres donnent de la fraîcheur, surtout le grès qui conserve le fruit et apporte de la précision. » Le résultat ? Des blancs très fruités et des rouges légers aux tanins soyeux.
Mis sous les feux des projecteurs en raison de son parcours, Haroon a désormais deux aspirations : « Je veux inspirer la nouvelle génération. Il faut croire en elle, lui donner du courage. C’est là-dessus que je veux ramener la lumière, pas sur moi. » La seconde est de s’effacer derrière ses vins, ses meilleurs ambassadeurs, car comme le dit son adage préféré : « Pour vivre heureux, vivons caché. »
Dates clés
- 2016 : Arrivée en France en tant que réfugié afghan
- 2020 : Installation en Alsace
- 2023 : Première cuvée et création de son domaine