Le 14 décembre dernier, les habitants de Mayotte ont vécu un moment digne de la fin du monde. Avec des rafales à plus de 220 km/h, et une pointe record enregistrée à 260 km/h, Chido, classé cyclone tropical de catégorie 4, a tout dévasté sur son passage. Il est considéré comme le phénomène météorologique le plus puissant qu’ait connu Mayotte depuis 90 ans, dépassant Kamisy en 1984. À peine remis de leurs émotions, la tempête Dikeledi provoque le 12 janvier de nombreuses inondations, notamment dans le Sud, moins touché par Chido.
Après Chido, un champ de ruines
Si le nombre de victimes reste encore difficile à évaluer, les dégâts sont très visibles. L’état de calamité naturelle exceptionnelle, nouveau dispositif conçu pour les territoires ultramarins, est déclaré le 18 décembre. L’état de catastrophe naturelle est reconnu pour l’ensemble des 17 communes le lendemain. Touchées de plein fouet, de nombreuses exploitations agricoles indispensables à l’alimentation des quelque 321 000 habitants (chiffre Insee) ont été détruites.
« J’ai perdu presque toutes mes cultures, il ne reste que du manioc. Mes deux poulaillers de 200 et 80 m2 se sont envolés, la plupart des poulets sont morts ou ont disparu. Il n’y a quasiment plus rien, déplore El-Enrif Soulaimana, agriculteur à Ouangani, au centre de l’île. Lorsque je suis allé voir mon exploitation le lendemain du cyclone, j’étais choqué. Puis j’ai rencontré d’autres personnes dans le même cas ; on se soutient comme on peut. On est tous dans le même bateau, même si aujourd’hui c’est très compliqué. »


« On essaie de se relever »
À quelques kilomètres de là, constat identique sur la ferme de Mohamadi Antoine. Installé depuis 2009 à Mangajou, ce producteur de volailles et de fruits et légumes a perdu ses trois poulaillers et la plupart de ses cultures. « C’est un champ de ruines, il n’y a plus d’arbres, plus rien. Il faut tout nettoyer et tout replanter. C’est la nature, on essaie de se relever, mais une puissance comme celle de Chido, même ma grand-mère n’avait jamais vu ça. Psychologiquement, on prend un coup. »
Et lorsque les bâtiments résistent, ce sont les longues coupures d’électricité qui ont de graves conséquences. C’est le cas d’une exploitation qui a perdu 30 000 de ses 80 000 poules pondeuses à cause de la chaleur. Certains animaux qui avaient par ailleurs survécu au cyclone ont été touchés par les inondations provoquées par Dikeledi.
« Même s’ils sont d’une résilience à toute épreuve, ils n’avaient vraiment pas besoin de ça. Après le passage de Dikeledi, certains agriculteurs ont perdu ce qu’ils avaient commencé à replanter. Mais ils me disent : “C’est comme ça, nous sommes en vie, on va se remettre et repartir travailler.” » Yves Quinquis, responsable de la coordination Guyane/Mayotte à la MSA d’Armorique, suit de près la situation. Depuis 2015, la caisse bretonne assure la gestion de la santé, la retraite, les cotisations, la prévention santé, la santé-sécurité au travail et l’action sanitaire et sociale des agriculteurs mahorais affiliés et de leur famille.

Tout est à reconstruire
Face à la situation, la MSA a débloqué mi-janvier un fonds d’urgence de 1 000 euros pour chacun des 1 342 exploitants adhérents. Un soutien qui vient s’ajouter aux suspensions de recouvrements des cotisations et au prolongement des droits et des prestations sociales arrivant à expiration. « C’est la première aide financière que l’on reçoit depuis le cyclone, assure El-Enrif Soulaimana. Ça nous donne déjà une petite lumière d’espoir sur l’avancée des choses. Mais j’attends désormais de voir ce que l’État va proposer car, sans ça, je ne peux pas relancer mon activité. Je me suis installé en 2022 et j’ai beaucoup investi financièrement… j’ai encore des crédits à payer. »
La reconstruction s’annonce longue et complexe. Le 22 janvier, le projet de loi d’urgence adopté en première lecture à l’Assemblée nationale esquisse un premier pas. Mais outre des allègements de cotisations, les agriculteurs attendent de nouvelles mesures concrètes. À 31 ans, El-Enrif Soulaimana est également vice-président des Jeunes agriculteurs (JA) de Mayotte et référent pour la MSA. Il aide à transmettre les informations auprès des adhérents. « Parmi les membres du syndicat, tout le monde est impacté. Je fais aussi partie du groupement d’un abattoir. On a perdu tout le bâtiment et environ 90 % du stock de volailles. C’est toute l’agriculture mahoraise qui est à terre. »

Soutien social et psychologique
L’interdiction d’importer certains types de végétaux, prévue pour protéger les cultures endémiques, a été levée temporairement par le préfet afin de pallier l’urgence. La FNSEA et les JA ont également livré des tronçonneuses pour aider au nettoyage. Mais d’autres problèmes se poseront, comme le manque d’ombre pour abriter les cultures et les risques de vols. En attendant, la MSA d’Armorique poursuit l’étude d’autres dispositifs de soutien.
« Nous nous rendrons sur place en mars, en espérant avoir d’autres nouvelles, annonce Yves Quinquis. Lors de nos visites, nous organisons habituellement des rendez-vous prestations et de la prévention santé. Cette fois, le but sera d’étudier la situation sur place et comment leur apporter de l’aide, de leur proposer un rendez-vous médical et d’aller à la rencontre de nos partenaires et des responsables locaux. Nous envisageons également de travailler avec un(e) psychologue, car certains ont été choqués. Nous avons par exemple recueilli le témoignage d’une agricultrice restée accrochée pendant quatre heures à un arbre. C’est important de leur montrer qu’on ne les oublie pas. »
Et tenter ainsi de redonner toutes ses couleurs au fameux jardin mahorais.
La protection sociale agricole à Mayotte
Suite à la départementalisation, le régime de protection sociale agricole est créé à Mayotte en 2015. Il est géré directement par la MSA d’Armorique. La caisse bretonne s’occupe de la maladie, la vieillesse, des cotisations, de la prévention santé, la santé sécurité au travail et l’action sociale des 1 342 non-salariés agricoles adhérents. Les prestations familiales et les salariés sont, eux, gérés par la caisse de sécurité sociale de Mayotte.
Traditionnellement vue comme une activité secondaire, l’agriculture mahoraise est constituée majoritairement d’exploitations de moins de 40 hectares qui associent plusieurs types de cultures. Pour pouvoir être affilié à la MSA, il faut atteindre le seuil de 2 hectares pondérés, ou équivalent, calculés via des coefficients fixés pour chaque département selon les productions végétales ou animales.
Plus d’infos sur mayotte.msa.fr