« On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans », clame Rimbaud. Et pourtant on y est contraint quand on est fils de paysan et que l’envie de reprendre la ferme familiale, spécialisée dans l’élevage de vaches laitières et dans la production de céréales, vous démange depuis la prime enfance. « On a ça dans le sang », confie Julien Salomon, qui vient d’avoir 18 ans. « Ce n’est pas pour faire comme papa. C’est que je ressens ça depuis que je suis petit. »

Comme dans toutes les passions, mieux vaut éviter de s’y jeter à corps perdu pour ne pas s’y brûler les doigts. Et commencer par étoffer ses compétences et engranger le maximum d’expérience sur le terrain avant d’y aller. Tous ceux qui empruntent cette carrière, le savent par cœur, ils ne vont pas juste exercer un métier. Derrière, ils commettent un choix de vie. Très souvent ad vitam eternam. D’où l’importance de la formation. Sorti il y a peu de l’adolescence, Julien est conscient du chemin à parcourir.

Depuis la rentrée de septembre 2021, il est tout à sa tâche d’acquisition de savoirs et de techniques dans le cadre de son Bac professionnel de conduite et gestion de l’exploitation agricole (Bac Pro CGEA), qu’il prépare au centre de formation d’apprentis (CFA), installé sur le campus agricole de La ­Peyrouse, à Coulounieix-Chamiers. Là se trouve l’antenne Dordogne du Geiq qui l’a recruté en alternance pour passer son diplôme et travailler en apprentissage au sein de deux entreprises agricoles de la ville de Sorges, la capitale de la truffe : la ferme Andrévias et l’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) de la Buche. L’une produit des oies et des noix avec transformation et vente directe. L’autre est spécialisée dans l’élevage de veaux sous la mère.

C’est grâce au long travail de prospection que Jean-Luc Champailler [cf. son témoignage] mène sur le département pour dénicher des exploitations ­susceptibles d’accueillir des apprentis que Julien est aujourd’hui en alternance.

Cela fait partie de la prestation unique en son genre que le Geiq Agri propose à ses recrues. Un package de services répondant à l’ambition de les mener à l’emploi, en proposant à chacun un plan de formation, un parcours d’insertion ad hoc et un encadrement socio-­professionnel personnalisé pour que tous les aspects de la vie soient pris en compte. Julien bénéficie de tous ces atouts. Grâce au partage de mise à disposition proposé par le Geiq, il travaille sur les deux fermes.

17 personnes sont en parcours de formation au niveau de l’antenne Geiq Agri de Dordogne. Sur une année, il y en a une trentaine. C’est Jean-Luc Champailler, directeur adjoint de l’association, qui s’occupe des bureaux basés à Coulounieix-Chamiers.

La formule convient au jeune homme qui la trouve ­enrichissante, lui permettant de toucher à tout et de gagner en polyvalence. Cerise sur le gâteau, elle fait le bonheur des exploitants qui n’ont pas les moyens de prendre un apprenti à temps complet et qui trouvent leur compte dans ce type de contrat made in Geiq agricole, livré clé en main. Ceux-ci n’ont aucune démarche administrative à faire. « À part signer les feuilles d’heures », se réjouit Albin Meynard, l’un des tuteurs de Julien, et producteur d’oies et de noix, soulagé de ne pas avoir à gérer les formalités de recrutement.

Tout au long de son engagement, l’apprenti est accompagné par le Geiq et les tuteurs. Et c’est tout ce dont Julien a besoin après deux déconvenues essuyées en entreprises les deux années précédentes. « Là ce qui me libère, c’est la relation apaisée avec mes maîtres d’apprentissage. Lors de ma première expérience, quand ma responsable me disait de faire quelque chose, elle me criait dessus. Si j’y mettais un peu de temps, elle me demandait d’aller plus vite. Or en se dépêchant, on fait des bêtises. Après c’est un cercle vicieux. Je me faisais crier dessus encore plus. La deuxième expérience, j’ai connu des déboires financiers. »

Julien Salomon retrace son parcours avec pudeur en présence ­d’Albin ­Meynard et de Jean-Luc Champailler. « Tu n’étais pas payé, il faut le dire », le reprend le fermier. Julien ose alors : « Ça me déprimait de travailler et de ne pas être payé. » Cette année du Bac Pro CGEA est la dernière pour l’obten­tion du titre, qui se prépare sur trois ans. Elle est aussi celle de la ­reconstruction : une séquence cruciale puisque pour obtenir son diplôme il va devoir finaliser un dossier amputé de deux années à cause de sa mésaventure. Pour y parvenir, il va se concentrer sur le travail exercé depuis septembre dans les entreprises qui lui mettent le pied à l’étrier aujourd’hui. « Il est reparti de zéro », précise Jean-Luc Champailler.

Le pari de l’insertion

Le rôle du Geiq Agri est de mettre les candidat qu’il recrute, des jeunes qui souhaitent faire de la formation en alternance, des personnes éloignées de l’emploi ou en reconversion professionnelle de 16 à 50 ans, à disposition des entreprises adhérentes. Les démarches sont facilitées pour les apprentis comme pour les entreprises. Les recrues sont accompagnées tout au long de leur contrat, que ce soit dans le choix de l’organisme de formation ou pour monter leur contrat d’apprentissage ou de professionnalisation. L’association s’occupe de toute la partie administrative. Au quotidien, il peut les accompagner sur leurs problématiques diverses comme l’équipement, la mobilité, les frais de déplacement et d’hébergement lors des sessions de formations. Entrer dans ce type de dispositif, c’est l’assurance d’un parcours sécurisé. En cas de rupture de contrat entre l’apprenti et l’entreprise, l’apprenti est aussitôt replacé dans une autre entreprise. En tout cas, une solution lui est apportée. Il n’est pas laissé en roue libre. Et si au terme de son apprentissage, il n’a pas trouvé de contrat de travail, il est suivi jusqu’à ce qu’une piste soit trouvée. Pour tous ceux qui intègrent ce parcours de formation, il n’y a aucun risque pour qu’ils se restent sur le carreau.

Des parcours de formation personnalisés

Le cadre sécurisé apporté par le contrat passé avec le Geiq Agri est en passe de lui faire oublier sa ­douloureuse expérience. « J’ai trouvé le modèle qui me convient en apprentissage. Je me sens bien ici. Avec l’activité d’oie, par exemple, je puise tout plein d’idées pour la suite quand je m’installerai. » Côté enthousiasme, il reprend même du poil de la bête et par la même occasion recouvre sa passion. Une chance qu’elle soit encore intacte. « Il y a aussi un autre objectif dans le contrat, rappelle le responsable du Geiq Dordogne. C’est le fait que Julien retrouve de la confiance en lui parce que ses expériences malheureuses auraient pu l’écœurer définitivement. »

Jean-Luc Champailler :
« Je démarche des entreprises agricoles »

« J’ai de multiples casquettes. Je démarche des entreprises agricoles : je les appelle et je rencontre ceux qui sont intéressés pour prendre un salarié agricole par l’intermédiaire du Geiq afin de leur présenter notre structure plus en détail. Après il faut qu’ils aient une volonté de former les gens vu que nous ne travaillons qu’en contrat d’apprentissage et contrat de qualification. Une fois obtenu leur accord pour recruter quelqu’un, nous publions une offre d’emploi sur le site de Pôle emploi et nous l’envoyons à notre réseau : les missions locales, les chantiers d’insertion, le conseil départemental. Ensuite on reçoit tous les candidats et on établit un point avec eux pour s’assurer qu’ils correspondent au profil recherché par l’entreprise. Si celui-ci correspond, on présente la personne à l’entreprise. Puis si l’exploitant et le demandeur sont d’accord on met en place un stage d’une semaine par une convention d’emploi avec Pôle emploi. Un bilan est fait à la fin. Déjà au bout d’une semaine, l’entreprise sait si la personne est intéressée. Si celle-ci ne pose pas de questions, il n’y aura pas de suite. Et si elle s’est impliquée, c’est positif. On met en place alors le contrat de professionnalisation ou d’apprentissage en ayant bâti aussi un parcours de formation. Les candidats qui viennent au Geiq ont une idée de la formation qu’ils veulent suivre. Au cours de l’entretien avec eux nous voyons ensemble ce qui pourrait manquer. Après le stage, l’exploitant peut aussi porter à notre connaissance des points à développer par exemple la conduite de matériel. Selon ces éléments, on adapte la formation. Au Geiq, les parcours sont toujours personnalisés. On essaie d’adapter au plus juste selon les profils. Les contrats vont de 6 mois à 2 ans. Leur durée est fonction de la durée de la formation. Une fois la convention en place, on s’occupe du suivi socio-professionnel. On va faire des bilans en entreprise pour voir l’évolution de la personne, ce qu’elle sait, ce qu’elle aura à faire dans les mois suivants. Car les tâches varient selon les saisons. On fait aussi des points en centre de formation, pour voir aussi comment ça se passe. Et nous engageons aussi un bilan plus personnel : il s’agit de vérifier que les recrues au moment d’entrer en contrat sont bien couvertes par une mutuelle. Je peux les aider à ouvrir leur espace santé sur le site de la MSA. S’il y a besoin de trouver un logement pour se rapprocher de l’exploitation, on intervient pour trouver des solutions. »

Toujours en lien avec le CFA et les maîtres de stage, Jean-Luc Champailler ne perd pas de vue son apprenti. Il l’accompagne au cours de points réguliers sur sa situation. Il l’aide à reprendre de l’assurance. Bientôt, va s’ouvrir la période des inscriptions pour les études de l’année prochaine. Ce coup d’avance sur le futur, il veut le prendre avec Julien à l’occasion d’un prochain rendez-vous qu’il lui propose. « On reparlera ainsi de vos projets pour après, lui indique-t-il. On essaiera de voir quelles pistes vous pourriez suivre. Cela peut être un BTS ou le BPREA. Plein de choses sont possibles. Il faudra juste poser les différentes hypothèses puis voir. Et nous regarderons ensemble votre rapport. »

Sur la route de l’émancipation

Ce moment où l’on est au carrefour de sa vie, avec une légion de décisions importantes à prendre et où la maturité est encore en phase de rodage afin d’atteindre l’autonomie et la responsabilité qu’imposent l’âge adulte et le travail, est maintenant révolu pour Alexandre, 21 ans, ­Sébastien,  23 ans, et Cyprien, 22 ans. Ce mardi 8 mars, à 9 h 30 tapantes, sur le parvis du parking de l’organisme de formation Apprendre et se former en transport et logistique (Aftral) de Notre-Dame-de-Sanilhac, debout au beau milieu de véhicules poids lourds et de formateurs, ces trois salariés du Geiq agricole, sereins, bien dans leurs baskets, sont à deux doigts de prendre leur envol. Ils sont arrivés à cette étape de leur vie grâce au travail d’orfèvre de Jean-Luc Champailler.

Un CDI attend en septembre Alexandre qui travaillera pour les fermes où il a effectué son alternance. Ses trois ans à se former lui ont permis de décrocher un certificat de spécialisation en entretien et en conduite de machine agricole, un permis poids lourds pour les moins de 21 ans et bientôt celui pour tous véhicules. Il semble fier de son parcours.

Cyprien, lui, sitôt le permis poids lourds en poche, reprendra cet été l’entreprise familiale qui produit de la vache laitière, des asperges, de la pomme de terre et propose de la vente en direct. Son père, 64 ans, prend sa retraite. « Depuis que je suis tout petit je me dis que je reprendrai la ferme. Le rêve va se réaliser », sourit-il, se sentant complètement armé au niveau des compétences et des expériences pour assurer la relève.

Michel Jouhette, agriculteur, ovin bovin et céréales et président du Geiq Agri Limousin Périgord : « L’apprentissage est devenu à la mode ! »

« Moi je le chante depuis plus de quinze ans. Il y a longtemps qu’on aurait dû le faire. Maintenant tout le monde commence à le réaliser mais en France ça va très lentement alors que d’autres pays, comme l’Allemagne et l’Italie, le mettent en place couramment depuis très longtemps jusqu’au niveau ingénieur. Les centres de formation le proposent mais on se rend compte sur le terrain qu’ils n’accompagnent pas leur élève ou leur apprenti. C’est la différence avec le Geiq qui suit ses apprentis et ses salariés jusqu’au bout. Il gère tout : de l’administratif de l’apprentissage, de la santé voire du logement en passant par la facturation à l’employeur. L’entreprise adhérente au Geiq ne s’occupe que de payer sa facture. Cette simplification est un grand avantage. L’autre atout, c’est l’emploi partagé : à savoir le fait de pouvoir mettre à disposition un apprenti dans plusieurs entreprises deux, trois ou quatre. C’est un avantage à la fois pour les exploitants et pour le jeune qui a l’opportunité d’explorer différentes manières de travailler. Franchement à notre l’époque, avec ces contraintes de l’emploi, avec ces pressions économiques, si on ne s’occupe pas des jeunes dans le monde du travail, on n’avancera pas. Tout le monde le constate aujourd’hui : pour avoir les meilleurs salariés, il faut les former en entreprise. Moi je l’observe avec ceux que je reçois en stage : ils ont beau sortir de l’école, ils n’ont aucun sens de la pratique. Il faut les mettre sur le terrain, surtout en agriculture. Dans ce secteur, si vous ne pratiquez pas, ce n’est pas la peine. Et nous, nous leur apportons aussi un cadre de vie : on leur apprend la responsabilité, la confiance qu’ils n’ont pas forcément. Ils sont tous fiers à la fin de leur contrat d’avoir pris des responsabilités. Pour eux, c’est gratifiant et ça les encourage. »

Les conditions de préparation de son permis en font un inconditionnel du Geiq. « L’apprentissage y est de meilleure qualité. Il n’a rien à voir avec ce que j’ai rencontré lorsque j’étais en direct avec un patron. Je suis très bien suivi. À l’école, l’accompagnement se fait plus pour la partie scolaire. Là, il intervient dans l’apprentissage comme au niveau du travail, ce que je n’ai jamais connu ailleurs. Cela fait toute la différence. » Cyprien a pu même compter sur l’aide de ­Jean-Luc Champailler qui lui a trouvé une solution de logement pour le rapprocher du centre de formation Aftral. Il lui a déniché une chambre sur le campus agricole.

Prendre son envol

Sébastien, lui, s’est découvert une passion pour la conduite. Il projette de préparer un nouveau titre de ­transport. La suite, c’est un contrat avec l’Aftral que ­Jean-Luc ­Champailler lui a déjà préparé. « Sébastien, explique le référent, est très sérieux au niveau de la formation. Beaucoup d’entreprises de transport cherchent des profils comme le sien. S’il est recommandé par l’Aftral, derrière il aura du boulot. »

Et c’est ce qui motive le jeune amoureux de la route. « J’envisage de reprendre l’exploitation de mes parents qui font de l’ovin et du maraîchage, concède-t-il. Mais je n’ai pas envie de m’installer tout de suite. Je préfère encore explorer mes projets et je ne suis pas un enfant qui aime travailler avec ses parents. Le métier de routier m’intéresse. J’adore rouler. Faire le rallye Dakar me tenterait bien. En attendant, je vais essayer de m’inscrire au raid automobile 4L Trophy [une course destinée aux jeunes de moins de 28 ans, NDLR]. Je vais avoir bientôt 24 ans. Je n’ai pas de vie de famille, pas de petite copine. Rien ne me retient. Je suis prêt à partir rouler très très loin. »

Photos © Fatima Souab / Le Bimsa