La musique adoucit les mœurs. Encore plus quand elle chatouille les oreilles et le corps de personnes qui n’ont plus vingt ans depuis longtemps. Le 9 décembre, à 16 heures, à l’Ehpad de la Barre de Saint-Jean-de-Bournay, dans l’Isère, elle est aussi la cerise sur le gâteau. Les résidents ne s’attendaient pas à un concert, avec guitare, accordéon et interprétation de quelques grands tubes de la chanson française.
Les élèves de Vallon-Bonnevaux leur ont concocté cette surprise qui clôt l’aventure du projet intergénérationnel, mené avec certains depuis mai dernier, et qui a abouti à la rédaction et à la production de plusieurs livrets autobiographiques. Avec leur professeure, Florence Gréco, également musicienne, ils ont chanté pour remercier les aînés.
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Pac résidents : retrouver des souvenirs perdus
Actualisation du Pac résidents à deux voix
Le Peps Eurêka à l’ère du Web 2.0
Des retrouvailles ardemment attendues
Quelques minutes auparavant, dans le salon de l’Ehpad aménagé en salle de spectacle, les papis et mamies sont arrivés au compte-gouttes, une lenteur imposée par le corps qui n’est plus alerte. Certains marchent aidés par une infirmière. D’autres se débrouillent encore seuls.
Ils prennent tous place pour ce grand rendez-vous de remise des livrets par les lycéens eux-mêmes. Une joie semble mettre tout le monde en ébullition. C’est peut-être Noël avant l’heure. Une collation, visible sur une table, est aussi prévue dans les réjouissances.
Albert, 74 ans, est en fauteuil roulant comme Rose, 86 ans. Tous deux ont « raconté leur vie ». Ils se tiennent fin prêts pour recevoir leur petit cadeau, le fruit de leur échange avec les adolescents. Sur les visages des unes et des autres, les rides sont légion comme des histoires restées secrètes. Les yeux sereins, ils fixent de temps à autre la scène encore vide. À 15 heures, lorsque les élèves et leurs enseignantes pénètrent dans la salle, tous affublés du masque Covid de rigueur, tout le monde est déjà là depuis longtemps, bien calé dans son siège.
Avant de donner de la voix et même de danser, les lycéens ont remis, éperdus de reconnaissance un exemplaire de ces précieux récits à tous ceux qui ont accepté de confier leur histoire pendant plusieurs mois : Janine, 90 ans, Albert, Françoise, 80 ans, Viviane, 65 ans, Rose, Joséphine, 83 ans, Anabel, 84 ans et Roger, 92 ans. Les anciens sont ravis de recevoir chacun en cadeau sa vie immortalisée dans un joli livre.
Itinéraires de santé
Cette association de prévention et d’éducation en santé en direction des seniors résidant en Alpes du Nord a été à l’origine de ce rendez-vous festif en Isère, précédé du projet intergénérationnel entre les résidents de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes de la barre et les lycéens. Valérie Morel Petitjean, coordinatrice en prévention santé, a conçu le projet intergénérationnel qui repose sur le recueil de souvenirs et ce partage qui se traduit par une rencontre festive de tous les protagonistes.
Sa collègue également coordinatrice, Béatrice Reinwalt l’a mis en musique, accompagnant le groupe scolaire et les enseignants dans cette aventure. Dirigé par Elsa Bonfils, Itinéraire de santé Alpes du Nord est un service créé par la MSA Alpes du Nord qui intervient dans les départements de l’Isère, la Savoie et la Haute-Savoie.
Un siècle d’histoire
Chaque récit contient le témoignage recueilli au fil des rencontres avec les étudiants et des photos d’enfance ou d’adulte prises à des moments charnières de leur vie comme le mariage ou les voyages. Une plongée dans presque un siècle d’histoire, celle qui s’écrit avec un grand H, même si elle emprunte le visage de ces héros du quotidien.
Certains ont connu, enfants, la Seconde Guerre mondiale, l’Occupation. Beaucoup ont été malmenés par la vie. Ils ont affronté la perte d’une mère, d’un père, parfois des deux à la fois. Ils ont combattu la pauvreté. Au final, peu ont choisi leur vie. Albert a mis de côté son enfance ; il a arrêté l’école à 12 ans.
À la mort de son père, agriculteur, il a aidé sur l’exploitation. Il aimait le rugby et rêvait de devenir charcutier. Il y renoncera pour se consacrer au travail agricole qui « ne le permettait pas. J’ai suivi la vocation de ma famille et j’ai repris la ferme qui appartient maintenant à mon fils ».
Un enseignement pour le présent
Ce type de trajectoire est un enseignement pour les lycéens, à en croire leur professeure de français, Séverine Wargnier, présente à l’événement aux côtés de deux autres collègues, enseignantes en économie sociale et familiale : « Cela les a interpellés et questionnés sur une époque où on ne choisissait pas son métier, où souvent c’étaient les parents qui prenaient en main l’avenir des jeunes. C’est là l’un des intérêts de ce projet intergénérationnel. Aujourd’hui, nous jouissons de la liberté de choisir alors que nos grands-parents ou nos arrières grands-parents ne l’ont pas eue. Cette réalité aide à prendre conscience de la chance que nous avons de pouvoir construire librement notre voie professionnelle et finalement notre parcours de vie. »
Des liens forts se sont noués entre les personnes âgées et les lycéens.
Le bonheur de danser
Aux premières notes de la guitare, les bouches se sont mises à chanter : Elle court, elle court, la maladie d’amour, Pour un flirt avec toi, Ah, le petit vin blanc… Certains n’ont pas eu l’audace ou l’énergie d’y mettre le son. Ils ont remué les lèvres simplement, fredonnant à peine. D’autres n’ont pas boudé leur plaisir pour entonner à voix haute le refrain. Les morceaux joués ont été choisis par les adolescents. Un succès total.
Les yeux des aînés se sont illuminés à chaque nouveau morceau, comme des retrouvailles avec son chanteur ou sa chanteuse préférés, perdus de vue depuis bien des années. Le concert a redonné des couleurs aux joues pâles. Pendant que certains balançaient la tête, remuaient les pieds, bougeaient lentement les épaules, un peu fatigués mais heureux d’être là, de plus audacieux, comme Joseph, se sont levés, quasi montés sur un ressort, pour aller se déhancher au rythme de l’air si connu des Amants de Saint-Jean, immortalisé en 1942 par Lucienne Delyle.
Au passage, l’homme fougueux prend dans ses bras une partenaire pomponnée pour l’occasion qu’il entraîne sur la piste, toute frissonnante du bonheur de danser. Pendant quelques minutes, grâce aux lycéens et aux enseignants, c’était bal musette dans l’Ehpad, comme quand « on perdait la tête, serré par des bras audacieux ». Un moment hors du temps.
Opération transmission
Valérie Morel Petit Jean, coordinatrice en prévention santé à l’association Itinéraire de santé Rhône-Alpes, est l’une des artisanes du projet récit de vie.
Pourquoi des récits de vie ?
« Les sujets historiques peuvent intéresser les jeunes. Quand ils voient un papi ou une mamie, ils ne s’imaginent pas du tout qu’ils aient pu avoir une telle vie. La valeur est là, dans la transmission, la découverte de la vie de ces anciens. Cela leur remet en perspective certains points de l’histoire. »
Est-ce bon pour les anciens d’évoquer leur passé ?
« Cela leur fait du bien de s’exprimer et qu’on soit à l’écoute de ce qui leur est arrivé et de ce qui les a marqués. C’est une mise en valeur de leur vie et d’eux-mêmes. »
Bilan de cette rencontre intergénérationnelle ?
« On est hyper satisfaits. On ne pouvait pas espérer mieux. Tout le monde a joué le jeu. Les jeunes étaient très impliqués. Les anciens étaient ravis d’avoir pu parler de leur vie aux jeunes et cela met de l’animation. C’était un beau projet. »