Kirikou, le personnage du film d’animation éponyme, n’est pas grand mais il est vaillant. De même, il n’est pas obligatoire d’appartenir à une grande organisation non gouvernementale pour s’inscrire dans une démarche solidaire à l’international : exemple avec Chloé, Coline, Jade, Louise et Sarah. Il y a quatre ans, ces cinq jeunes femmes du mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC) cherchent à œuvrer en ce sens.

Elles font une rencontre décisive — c’est souvent comme ça que ça commence — en croisant le chemin d’un certain Benjamin Jayr, dit « Benj », au festival des solidarités de Bourg-en-Bresse. Avec son asso fondée en l’an 2000, Il était une fois une rencontre (tiens tiens !), il consacre son existence à soutenir la population du village de Kabadio, au Sénégal : maraîchage, rénovation de la maternité, construction pour la coopérative des femmes, création d’une école de football, etc.

En 2016, naît le projet Permakabadio : sur le terrain d’accueil de l’asso appelé Bindoula (« place de la rencontre » en mandingue, tiens tiens !), des stages de permaculture tropicale sont programmés pour lutter contre l’exode rural. Chaque place ouverte aux étrangers finance celle d’un jeune du village. Telle une jeune pousse de Bindoula, le projet des cinq Bressanes prend forme : l’idée est d’utiliser une des ressources locales abondantes de Kabadio, en l’occurrence la mangue.

L’aventure a permis aux jeunes femmes du MRJC de faire le plein de souvenirs inoubliables.

Elles souhaitent apprendre aux Sénégalaises à confectionner de la confiture et à la commercialiser pour générer un revenu. Elles prennent le nom de Permafolles. Et c’est vrai qu’il faut avoir un grain de folie pour proposer un mets qui ne ravit pas encore les papilles des autochtones comme celles de nos contrées. Pour éviter que l’entreprise ne tombe en déconfiture, les jeunes femmes solidaires partent à la cueillette des mécénats et des subventions.

Parmi ces dernières figurent celles reçues par la MSA Ain-Rhône et la CCMSA au titre de l’appel à projets jeunes (APJ) 2019-2020 — prêchons un peu pour notre paroisse car la mangue peut s’avérer religieuse. C’est Nathalie Boyer, chargée d’études au sein de la caisse locale, qui les aide à rédiger le dossier de candidature. Mais la collecte des fonds ne s’arrête pas là. Tout est bon (et pas que dans le cochon) : vente de soupes, brocante, tenue d’un snack libanais, etc.

Tant et si bien que les Permafolles finissent par s’envoler pour Banjul, en Gambie, à quelques encablures de Kabadio, le 9 juillet 2019, pour trois semaines. Non sans avoir pris le soin de remplir leurs bagages du matos nécessaire à la fabrication de la confiture.

Sur place, à Bindoula, les gamelles s’activent. Les Françaises présentent le projet au chef du village. Pas de palabres : d’emblée, quatre jeunes Sénégalaises, la vingtaine — Mariama 1 et 2, Fatou et Aïssatou — prennent part à l’aventure culinaire. « Pour répondre au principe du ′′faire avec′′ et non ′′à la place de′′ », explique Louise.

Une première cueillette de mangues plus tard, plusieurs recettes sont testées : mangues-citrons, mangue-basilic, mangue-coco, mangue-beurre (sic)… Avec une dose de sucre deux fois moindre pour s’adapter aux palais indigènes. Mais là, pas de pot : à la dégustation, il apparaît que la confiture a fermenté ! Hé oui, car le taux de sucre joue un rôle de conservateur dans les marmelades.

Des souvenirs et des senteurs

Après avoir ajusté la recette, la folle brigade, armée de crêpes et de confitures, se rend en expédition au village pour faire découvrir gratuitement sa production. Oyez, oyez ! Que nenni ! Nul besoin de battre le rappel : les jeunes femmes sont aussitôt encerclées par une nuée de marmots qui engloutit les douceurs avec des yeux énamourés comme les miens devant un roudoudou.

À Dakar, le petit-déjeuner est le repas le plus consommé.


« C’est là que nous avons fait la différence entre l’humanitaire et la solidarité », lâche Louise. Quelques jours après, sur le marché de Kabadio, entre les étals de poissons et de légumes, les Permafolles parviennent à vendre une quinzaine de pots. « Nous avons revu nos ambitions : ne pas chercher à commercialiser à grande échelle mais aux Européens de passage, dans un premier temps, puis étendre le marché aux villageois. »

Avant de repartir, les filles du MRJC rédigent un guide pédagogique facile à lire et à comprendre, agrémenté de dessins et de mots simples, pour que les Sénégalaises puissent continuer à confectionner de la confiture en respectant notamment les consignes d’hygiène et de stérilisation préconisées.





De retour en France, elles rapportent en souvenir, pour les jeunes du territoire, une exposition photos qui tournent dans différents endroits : festival des solidarités, bibliothèque de Viriat, dans l’Ain, fabrique du monde rural du Revermont (tiers lieu), etc. Elle donne à voir mais pas que. Elle mise également sur les autres sens : du café Touba à l’arôme poivré, du jus de bissap, à buvoter ; des tissus, à caresser ; des épices et jusqu’aux senteurs de poisson séché du port de Kafountine, à snifer !

Louise Prevel, Permafolle de l’Afrique

« Pour ma part, c’était mon premier voyage en dehors de l’Europe et mon premier vol en avion. C’était un gros choc culturel mais c’était ce que je recherchais. Sur place, j’ai été frappée par la misère, que je n’imaginais pas possible à ce point. C’est très différent d’entendre parler de la misère et de la vivre au quotidien. Nous avons beaucoup de chance d’être nés en France ! J’ai eu des demandes en mariage plusieurs fois, le Blanc est synonyme de porte de sortie pour quitter cette misère quotidienne. Nous avons pu constater que le passé colonialiste est encore très ancré dans les esprits. À l’occasion d’un match de l’équipe de foot locale, nous sommes conviées à serrer la main de tous les joueurs, c’est assez bizarre d’être reçu en président de la République. On nous appelle les toubabs, qui veut dire « Blancs ». Ce n’est pas du racisme mais juste une description physique. Pendant trois semaines nous avons visité également les environs de Kabadio à la découverte des villages, de la nature et de la culture mandingue. C’est Kalifa Souané, dit Papis, le co-créateur de Bindoula, qui nous sert de guide. Nous avons fait beaucoup de rencontres avec des discussions enrichissantes. Nous recevons encore, de temps à autre, des notifications et messages de villageois de Kabadio sur les réseaux sociaux. Ce sont des retours positifs. »

Photos : © Permafous