« Vous n’êtes bonnes qu’à laver des c… ! » C’est à ce genre de bêtises discourtoises, proférées tant par la gent féminine que masculine, que sont confrontées encore régulièrement les lycéennes de la filière professionnelle services aux personnes et aux territoires (Sapat).

Porter un short ou une jupe : le défi !

« Avec la crise sanitaire, nous ne sommes plus trop dépréciées, constate Justine Honoré, qui se prépare aujourd’hui à devenir aide-soignante. Mais nos tâches sont encore perçues comme subalternes. »

Et quand après la discrimination subie au sein de l’établissement, elles prennent un peu le large, et que la longueur de leur jupe suscite encore les remarques sexistes et les sifflements lourdauds, voire les insultes… Elles ont juste envie de crier au secours ! « On se fait verbalement lyncher quand on porte un short ou une jupe courte. Sans compter les regards… »

inégalité femme homme spectacle

Au lycée agricole Yann-Arthus Bertrand de Radinghem (prononcez « radingan »), dans le Pas-de-Calais, Justine et trois autres jeunes femmes – Lea Forgez, Flavie Loisel et Cléa Mallevaes – décident par conséquent de se pencher sur la condition féminine. Scolarisées en première année de bac pro Sapat, elles se lancent, en 2018, dans un projet baptisé «Haut les femmes !».

L’idée leur est soumise par leurs professeures, Laëtitia Delattre et Flora Peltier. Elle s’inscrit dans un module d’enseignement professionnel qui répond au nom de code « MP6 » : concevoir et réaliser une action destinée aux acteurs et aux usagers d’un territoire rural en favorisant le développement local. La tâche est ambitieuse. Elles sont également accompagnées par Régis Tirlemont, coordinateur et médiateur culturel de l’association À petits pas, sise à Ruisseauville. Cette structure entretient un partenariat de longue date avec le lycée.

Olympe de Gouges et les deux Simone

Photo d’élève © Flavie Evrard

Les élèves commencent par se documenter sur les personnalités qui marquent ou ont marqué l’histoire par leur engagement en faveur des droits des femmes. On y retrouve en bonne place les incontournables : Olympe de Gouges (1748-1793), l’une des pionnières du féminisme français, auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, dans laquelle elle écrit : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune » ; mais aussi Simone de Beauvoir (1908-1986), considérée comme une théoricienne importante du féminisme, avec son ouvrage Le Deuxième Sexe, ou Simone Veil (1927-2017).

En 1974, alors ministre française de la Santé, cette dernière soutient devant une Assemblée nationale qui compte 421 hommes pour neuf femmes, son projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse (dépénalisation de l’avortement).

S’exposer pour mieux dénoncer

Marchant sur les traces de leurs aînées à leur modeste façon – sachant que toute pierre est toujours bonne à apporter à l’édifice de la sensibilisation et du changement des comportements – les lycéennes conçoivent un programme d’animations alléchant autour d’une date clé : la journée internationale des femmes, célébrée le 8 mars.

Une exposition en trois volets, au sein du lycée agricole, s’ouvre par une série de photographies de femmes militantes célèbres, biographies à l’appui. Le parcours se poursuit par un accrochage d’affiches issues du concours international Poster for tomorrow proposé par l’association 4tomorrow, ou «comment interpeller de manière arty sur l’égalité femmes-hommes» ?

Une femme assise entièrement drapée de blanc, comme le voile de la même couleur qui recouvre le canapé situé à côté d’elle (Woman is not an object) ; une femme girafe dont le cou est ceint par un collier en barbelé (Spikes) ; un portrait du Che Guevara grimé en Marylin Monroe version pop art, avec pour slogan : Gender equality now ! (Marylin Guevara)… sont quelques-unes des productions qui font mouche.

Ah si j’étais un homme !

Enfin, les cimaises cèdent la place aux photographies de Flavie Evrard, qui livre des portraits de lycéennes scolarisées au lycée agricole. Le vernissage se déroule le 12 mars 2020, soit quelques jours à peine avant le début du premier confinement. « Ça ne s’est pas passé comme prévu mais dans le bon sens », relate Justine.

Car outre l’exposition et la projection du film Rafiki de Wanuri Kahiu, qui raconte l’aventure amoureuse de deux lycéennes dans une société kenyane conservatrice, le clou de la soirée est le spectacle Haut les femmes !, préparé par les élèves avec le soutien de L’envol, centre d’art et de transformation sociale d’Arras.

« La pièce maîtresse, confie Justine… Très stressante. » Le show nécessite en effet de réussir à contrefaire la tessiture de diverses chanteuses. Pas simple quand il faut interpréter et jongler allègrement entre L’Hymne des femmes, chanson militante féministe créée collectivement à Paris en 1971, Si j’étais un homme de Diane Tell, Notes pour plus tard d’Orelsan ou La Grenade de Clara Luciani !

Sortir du lot

Photo d’élève © Flavie Evrard


Et quand, au-delà de la performance, l’émotion s’en mêle. Car au détour des paroles d’une chanson, Cléa fond en larmes. Un flot suscité, devant les mamans présentes dans la salle, par l’évocation des femmes au foyer qui oublient de se laisser du temps pour mieux se consacrer aux enfants.

« C’est avec cet épisode que le projet a pris tout son sens. Car nous y avions mis tout notre cœur en travaillant dessus pendant un an et demi. Et avec la reconnaissance du jury de l’appel à projets jeunes de la MSA, nous étions fières de parvenir à ′′sortir du lot′′ : ça nous a valorisées !, reconnaît Justine. Nous avons réussi à transmettre des messages sur la condition féminine. Pour ma part, ce projet m’a donné une confiance énorme en moi. »



Depuis, Justine a intégré une formation d’aide-soignante pour exercer en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Et n’en déplaise aux détracteurs, pas que pour « laver des c… ! »