Nous nous sommes familiarisés avec la résilience des êtres humains, dont l’un des chantres est le neuro­psychiatre français Boris Cyrulnik, puis avec celle des organisations. Maintenant, il va falloir que nous nous accoutumions à celle des territoires.

Pour une fois, le gouvernement entend analyser l’action publique afin d’en tirer des leçons pour plus tard. En juin 2020, une mission indépendante nationale sur l’évaluation de la gestion de crise Covid­-19 et sur l’anticipation des risques pandé­miques est confiée par le président de la République au Pr Didier Pittet, médecin infectiologue et épidémiologiste suisse.

Le rapport d’étape rendu le 13 octobre constate plusieurs points positifs dans la réponse française à la crise : une grande capacité d’adaptation du système hos­pitalier, la création du conseil scientifique et une gestion des conséquences économiques plutôt satisfaisante en comparaison avec ce qui a été proposé dans d’autres pays.

Faiblesses structurelles

Mais il pointe également les dysfonctionnements : la pénurie initiale de masques, la lente montée en charge des tests, l’approche trop fractionnée de la stratégie «tester, tracer, isoler» pour casser les chaînes de trans­mission… et des faiblesses structurelles dans la gou­vernance de la gestion de la crise sanitaire, observées notamment au niveau interministériel, entre le ministère chargé de la Santé et les agences et instances qui l’en­tourent, entre les agences régionales de santé et les pré­fets ! Et Yannick Blanc, dans son exposé dédié au retour d’expérience, d’enfoncer le clou.

Ses propos sont inspirés des travaux menés avec La Fonda et des auditions parle­mentaires dans le cadre de la mission gouvernementale confiée à l’ex-député de la Vienne, Jacques Savatier. « La gestion de la première vague de l’épidémie est marquée par la verticalité impuissante des services de l’État, ou par ce qu’on nomme parfois le jacobinisme des pouvoirs publics. » Soit un système centralisé, bureaucratique, technocratique.

À l’appui, trois exemples : l’affaire de la pénurie des masques évoquée plus haut – sans doute sous l’effet combiné des critiques portées à la gestion de la grippe H1N1 de 2009 et de la priorité donnée au risque terroriste – qui révèle le manque d’anticipation et s’illustre par des messages incohérents ; le pilotage par la norme des organisations administratives, qui inondent sous les injonctions contradictoires des protocoles sanitaires les établissements hospitaliers, médico-sociaux, scolaires, etc. ; les décisions politiques face à l’expertise scientifique et leur lot de « confusions paralysantes », les premières s’abritant derrière la seconde et la seconde critiquant les premières. Trois exemples qui se traduisent par « un État fragilisé dans sa légitimité ».

Solidarité citoyenne

« Une légitimité nouvelle est en train de naître pour les champions de la coopération horizontale et de l’engagement local. »

Yannick blanc

Dans ce tableau de fond émerge une deuxième leçon : la résilience des territoires. Situation paradoxale : au-delà du chiffre de plus d’un million de contraventions dressées par les forces de l’ordre pour non-­respect des mesures de confinement brandi par le gouvernement, l’ancien préfet de Vaucluse et du Val-d’Oise préfère mettre en exergue la solidarité citoyenne spontanée au profit des personnes âgées, des enfants en situation de décrochage scolaire, des sans domicile fixe, des personnels soi­gnants… ; la capacité d’improvisation des élus locaux, des acteurs de la société civile dont les directeurs d’établis­sements (organisation de la chaîne alimentaire, portage de repas, maintien du lien social par le truchement des outils numériques, etc.) ; la mobilisation des ressources locales, et notamment les ressources humaines : l’en­gagement citoyen est un phénomène majeur, au regard entre autres, du nombre de propositions enregistrées sur la plateforme en ligne jeveuxaider.gouv.fr (devenue après covid19.reserve-civique.gouv.fr) ; enfin, la mobilisation du secteur associatif.

Collaborations interterritoriales

La transformation ne s’arrête pas là. Troisième et dernière leçon : la victoire des stratégies coopéra­tives, avec un satisfecit plus marqué aux collaborations interterritoriales.

« Nous allons devoir vivre dans la durée non seulement avec le virus, avec des mesures de précautions sanitaires, mais également avec les conséquences de cette crise, prophétise Yannick Blanc. Il n’y aura pas d’après crise mais une transformation construite face à elle. Une légitimité nouvelle est en train de naître pour les champions de la coopération horizontale et de l’engagement local. »

Avec une étape-­clé, notamment pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire : les contrats de relance et de transition écologique (CRTE). C’est une initiative du gouvernement qui propose un nouveau cadre de contractualisation État-région dans une France décen­tralisée.

Elle rencontre le souhait de l’assemblée des com­munautés de France (AdCF), qui est d’éviter la multiplication des appels à projets nationaux et de mettre en œuvre, au plus près du terrain, des projets de territoires. « Le projet de territoire est élaboré de manière concertée avec les citoyens, les acteurs socio-économiques et l’ensemble des acteurs concernés par les priorités du contrat selon les modalités définies entre les parties, rap­pelle Yannick Blanc. Celles-ci reposent sur l’association des citoyens et des acteurs socio-économiques, au-delà des seuls acteurs institutionnels. »

Ces deux volontés se rejoignent et entrent en résonance directe avec la métho­dologie de développement social territorialisé de la MSA et avec les enseignements tirés de cette première vague de la crise sanitaire qui n’a pas fini de rouler et de venir s’écraser… à nos pieds.

Faire ensemble 2030, les cartes en main

Créée en 1981, La Fonda, reconnue d’utilité publique, se présente comme « le laboratoire d’idées du monde associatif ». Elle édite Faire ensemble 2030, un jeu coopératif fondé sur la résolution de défis en lien avec les 17 objectifs de développement durable (ODD), énoncés par l’organisation des nations unies (ONU) dans son Agenda 2030. Il repose sur une résolution de challenges en équipe. Chaque partie rassemble de six à douze joueurs et est supervisée par un animateur. Les joueurs incarnent chacun un personnage, acteur clé de l’Agenda 2030 : l’État, l’entreprise, l’association, la collectivité territoriale, le centre de recherche, l’individu. En début de partie, trois défis leur sont soumis : un à l’échelle locale, un autre à l’échelle nationale et un dernier à l’échelle internationale. Chaque défi, documenté par des données clés, correspond à la cible d’un des ODD et souligne les interactions entre eux. Les joueurs disposent d’une heure pour construire une solution commune, en coopération. Au cours d’un premier tour d’un jeu, ils sont invités à se positionner comme porteurs de projet.

Ensuite, lors du deuxième tour, ils se positionnent par rapport aux projets proposés et construisent leur coopération. Exemple de défis : «Mettre un terme aux grandes épidémies et pandémies» ; «Garantir une école inclusive et adaptée aux différentes formes de handicap» ; «Développer l’économie circulaire» ; «Renforcer la résilience des pays face aux aléas climatiques et aux catastrophes naturelles» ; «Valoriser et encourager l’engagement des jeunes dans la vie de la cité».

Sur le web. Plus d’infos sur : fonda.asso.fr

Photo : © Franck Beloncle/CCMSA Image