Tout commence par une rencontre. Céline Calmont, gendarme à la Maison de la prévention et de la protection des familles (MPPF) des Ardennes, échange avec Marine Soussan-Husson, cheffe du pôle territoire de la MSA Marne Ardennes Meuse. Ensemble, elles partagent la même préoccupation : comment prévenir la violence et le mal-être chez les jeunes ?

Rapidement, la MFR de Lucquy est associée. Pour Nicolas Canu, formateur dans cet établissement et tout nouveau délégué MSA de son secteur, l’enjeu est clair : « Il faut créer des espaces où ils savent qu’ils peuvent parler et être écoutés. » Le projet sera baptisé 3 M pour MSA, MFR et MPPF.

Tous les acteurs de l'action réunis pour une belle plongée au coeur du monde agricole et de ses réalités. Une journée d’échanges, de découvertes et d’apprentissage enrichissante pour tous.
Tous les acteurs de l’action réunis pour une belle plongée au cœur du monde agricole et de ses réalités. Une journée d’échanges, de découvertes et d’apprentissage enrichissante pour tous.

Première étape en début d’année scolaire : la gendarmerie se rend à la MFR auprès des élèves en CAPa Services aux personnes et vente en espace rural. Discrimination, harcèlement, cyberharcèlement, dangers des réseaux sociaux et addictions sont abordés sans détour. Céline Calmont précise : « On ne vient pas pour sanctionner ou faire la morale. On est là pour les sensibiliser, pour leur faire prendre conscience des risques et pour donner des solutions. On leur dit : “Ce qui nous intéresse, c’est que vous soyez protégés, que vous sachiez quoi faire si un jour ça vous arrive ou si un ami est concerné.” »

Depuis sa création en 2020, la MPPF (lire encadré) intervient régulièrement dans les établissements scolaires. « Nous faisons de la prévention, pas de la répression, insiste la gendarme. À force de nous voir, ils comprennent peu à peu que nous sommes là pour les écouter et les aider, et ils osent parler. » Elle se souvient : « Parfois, quand on évoque les violences, certains élèves réagissent physiquement, ils sortent de la classe. Cela arrive souvent pour le harcèlement ou les violences sexuelles. Ils peuvent pleurer, se cacher. On comprend par leur comportement qu’ils sont concernés. Et parfois, c’est la première fois qu’ils arrivent à se confier. »

Le 6 mars, c’est la compagnie Questions d’époque qui installe ses tréteaux à la MFR. Place au théâtre-forum. Les comédiens plongent la salle dans des scènes réalistes et percutantes : photos dénudées échangées sur Snapchat, violences familiales, dépendance au cannabis. Le public, d’abord spectateur, devient acteur. Chaque élève peut monter sur scène et proposer une autre issue. Certains détournent le regard, d’autres pleurent ou témoignent.

À la fin de la séance, plusieurs demandent un entretien individuel avec Céline Calmont. Ces interventions permettent parfois de déceler des situations inquiétantes. « Dans ces cas-là, confie la gendarme, nous les mettons en relation avec notre intervenante sociale, qui fait le lien avec les services sociaux et informe les potentielles victimes sur leurs droits. »

Faire émerger la parole

Une vraie claque pour certains élèves de la MFR qui confirment que les auteurs ont su trouver les mots justes. « La force du théâtre-forum est de faire émerger la parole », assure Florian Sevin, auteur et directeur de la compagnie Questions d’époque. Depuis les années 1990, cette troupe rémoise développe des projets autour du théâtre et de l’art de rue.

« L’objectif n’est pas forcément d’apporter une réponse parfaite, mais plutôt de créer un laboratoire d’expérimentation. Souvent, dans la vie, on regrette de ne pas avoir réagi face à une situation. Ici, les jeunes peuvent s’exercer, prendre un coup d’avance et comprendre les mécanismes des conflits. C’est une façon d’apprendre à mieux se défendre et à aider les autres, dans un cadre sécurisant et bienveillant. »

Initiation à la traite

Le 17 juin, la classe s’est rendue à la Ferme des Domoiselles, située à Dom-le-Mesnil, à équidistance de Charleville-Mézières et Sedan, pour la dernière étape de l’action. Cet élevage familial, créé en 2020 par Azéline et Johan Hamen, fait grandir des chèvres de Lorraine, une race rustique et menacée – il n’en reste plus que 1 500 dans le monde – réputée pour sa bonne génétique laitière et son adaptation au climat ardennais. Depuis peu, des chèvres Alpines, plus productives, ont également rejoint l’exploitation, notamment après un épisode de fièvre catarrhale ovine.

Immersion en salle de traite : les élèves mettent la main à la pâte lors de la traite du matin
Immersion en salle de traite : les élèves mettent la main à la pâte lors de la traite du matin;

Sur place, le couple transforme le lait en fromages frais ou affinés, yaourts et glaces, vendus en circuit court. Depuis 2022, ils ouvrent leurs portes au public, proposant des visites guidées, ateliers de traite, fabrication fromagère, biberonnage des chevreaux et accueil d’écoles et maisons de retraite. Ce jour-là, les élèves de la MFR s’initient à la traite, découvrent la fabrication fromagère, caressent les chèvres. Pour Johan, ancien militaire formé à la médiation animale, « les chèvres sont très sociables, elles apaisent. Ici, on transmet un autre regard sur l’agriculture, en valorisant le respect de l’environnement et des animaux. »

Cameron, 17 ans, dont le père élève oies et canards, apprécie : « On apprend des trucs concrets. » Loriana, 18 ans, se projette déjà : « J’aimerais travailler dans une ferme comme celle-ci où on fait de la vente directe. J’aime le contact avec les animaux. Ils sont souvent plus simples que les êtres humains. » Qui pourrait la contredire ?

Pour Nicolas Canu, cette action incarne pleinement la mission éducative et sociale de la MFR, en lien avec la MSA : « Ces jeunes se posent toujours les mêmes questions que leurs parents à leur âge : est-ce que j’aurai un amoureux ou une amoureuse, un métier, une maison… La vraie différence aujourd’hui, c’est le poids des écrans et la violence qu’ils subissent directement ou constatent autour d’eux. »

Face au succès de cette démarche, tous espèrent la reconduire. Théâtre-forum, ateliers de parole, immersion agricole : des clés pour se comprendre et avancer. Avant de remonter dans le bus, une élève glisse : « Et si l’année prochaine, on allait voir la mer ? » Certains ne l’ont jamais vue.

Prévention et protection des familles

 Céline Calmont, gendarme à la Maison de la prévention et de la protection des familles (MPPF) des Ardennes.
Céline Calmont, gendarme à la Maison de la prévention et de la protection des familles (MPPF) des Ardennes.

Créée en septembre 2020 après le Grenelle des violences conjugales, la Maison de la prévention et de la protection des familles (MPPF) remplit trois missions principales : être un point d’entrée unique pour tous les partenaires du département ; constituer une unité d’appui aux gendarmes dans l’accompagnement des victimes et développer des actions de prévention (violences, harcèlement, usages numériques, addictions) en milieu scolaire et associatif. Ses personnels, spécialement formés, accueillent et écoutent mineurs et victimes vulnérables dans des locaux aménagés, propices à libérer la parole.