« J’ai fait l’ouverture, lance Jean-Pierre, très fier. Je suis arrivé à 9 ans. Cinquante ans après, je suis toujours là. » L’homme, qui fait moins que son âge, est passé à peu près par toutes les structures regroupées sur le domaine de Boissor : IME, IM-pro, Esat. « Aujourd’hui, je travaille dans le nettoyage automobile. »

La vie à Boissor ? « Au début, ça ressemblait beaucoup à une ferme. Il y avait des étables à cochons, des canards, des poules et une ânesse qui s’appelait Jonquille. » Jonquilles, justement le nom du foyer pour adultes que Jean-Pierre habite au sein même du domaine. « Aujourd’hui, c’est plus moderne », poursuit celui qui a vu naître ce qui n’était au début qu’une belle et généreuse idée.

IME, ESAT, IM-pro, SAVS et foyer de vie. Le complexe médico-social de Boissor dans le Lot vient de fêter un demi-siècle de mobilisation au service des personnes en situation de handicap. Immersion dans une structure pas comme les autres. Immersion dans une structure pas comme les autres...
On travaille avec le sourire à la caisserie.

L’audace d’André Jallet, l’emblématique et visionnaire directeur de la MSA du Lot et maire de Rocamadour, à l’origine du projet, a payé. Il a su, aux côtés de la MSA, concrétiser, faire grandir, puis pérenniser cette « utopie créative » au bénéfice des personnes en situation de handicap.

Dominique, lui, est arrivé à Boissor en 1971. « Je suis resté un an à l’IM-pro, puis j’ai pratiquement fait l’ouverture de l’imprimerie en 1972. » Le premier atelier créé pour les adultes. « J’ai vécu toute la révolution numérique, en passant de la typographie à l’ancienne à la numérisation », annonce celui qui est devenu un spécialiste de l’impression avant son départ à la retraite en 2016.

IME, ESAT, IM-pro, SAVS et foyer de vie. Le complexe médico-social de Boissor dans le Lot vient de fêter un demi-siècle de mobilisation au service des personnes en situation de handicap. Immersion dans une structure pas comme les autres. Immersion dans une structure pas comme les autres...
L’imprimerie est le premier atelier créé pour les adultes en 1972.

Horticulture, pâtisserie, blanchisserie, caisserie, sérigraphie, signalétique, métallerie, conditionnement, maçonnerie, nettoyage auto et bientôt la vente dans une boutique toute neuve sont quelques-unes des activités proposées ici. Dès Noël, on y trouvera des agrumes, des biscuits, des caisses en bois, du vin et du miel… conçus ou récoltés sur place. Une offre enrichie en produits issus du réseau Solidel, association qui fédère de nombreux établissements de travail protégé et adapté du secteur agricole (www.solidel.fr).


158 adultes en Esat

Après une rupture d’anévrisme, Adrien a dû réinventer sa vie

Que de chemin parcouru en cinquante ans d’existence ! Un anniversaire fêté le 1er juillet, en présence de nombreuses personnalités de la MSA. Boissor gère aujourd’hui six établissements sur vingt hectares. En 1964, Charles de Gaulle est président de la République, lorsque la Mutualité sociale agricole du Lot achète le domaine de Boissor, propriété située à Luzech, à vingt kilomètres de Cahors. Elle y ouvre un établissement pour enfants en 1967. Créée en 1970, l’Amab (association mutualiste agricole de Boissor) gère le complexe médico-social qui accompagne aujourd’hui des personnes en situation de handicap ayant une déficience intellectuelle ou une maladie mentale : vingt jeunes en IME (institut médico-éducatif ) et 158 adultes en Esat (établissement et service d’aide par le travail) : 100 résident en foyers ou en appartements extérieurs, 18 vivent dans une petite unité de vie pour personnes handicapées vieillissantes et 40 à domicile, épaulés par un SAVS (service d’accompagnement à la vie sociale).

Après une rupture d’anévrisme à 21 ans, Adrien, étudiant en comptabilité, a dû réinventer sa vie. Une tentative en blanchisserie. « Pas vraiment mon truc… » L’ancien droitier, aujourd’hui gaucher contraint, s’est découvert une passion pour le dessin. Grâce à Boissor et à une forte envie de s’en sortir, il apprend le métier de graphiste. Cet as de Photoshop vit désormais dans un appartement géré par Boissor mais situé en dehors du domaine.

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Pierre, 49 ans, Quentin, 20 ans, et Claire, 24 ans (ici en compagnie de Vincent, leur moniteur), travaillent en horticulture. Ils préparent une reconnaissance des savoir-faire professionnels (RSFP).

« Nous avons une exigence identique à celle du milieu non protégé. Nos clients attendent la même qualité. La différence, c’est que l’Esat aménage l’activité pour la rendre accessible aux travailleurs handicapés, souligne Mathias Julien, chef de service en charge des secteurs pâtisserie, blanchisserie, nettoyage auto et sous-traitance. Ils bénéficient de trois heures de soutien médico-social et éducatif. Ces heures, prises sur le temps de travail, sont consacrées à la formation, à la consolidation des acquis et à l’apprentissage de l’autonomie. »

« Le travail permet à chaque personne de gagner en confiance, d’accéder à l’indépendance et de s’insérer socialement. Certains travailleurs handicapés pourront ensuite, le cas échéant, accéder au monde du travail ordinaire », poursuit-il, au moment où il croise Claire, 24 ans, Pierre, 49 ans, et Quentin, 20 ans. Tous trois travaillent en horticulture. Ils préparent justement une reconnaissance des savoir-faire professionnels (RSFP). Trois fois deux heures qui vont leur permettre de valider une vingtaine de compétences, allant de la maîtrise de la débroussailleuse à celle de la tondeuse à gazon.

Le but : leur permettre, s’ils en ressentent le besoin, de prouver leurs compétences à l’extérieur. « Trente-trois personnes travaillent aux espaces verts. Elles ont entre 18 et 60 ans. Certaines ont leur permis et sont très autonomes, tandis que l’activité d’autres se limite à de la manutention », expose Jean-Yves Passedat, le responsable du secteur horticulture.

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Didier, 52 ans dont trente-deux à Boissor, est concentré sur la découpe d’une planche avec une scie à commandes numériques. Elle a été livrée à la fin du mois d’août.

Romain, moniteur d’atelier et ébéniste de formation, est employé à la caisserie et ne regrette pas sa venue à Boissor. « J’apprends tous les jours. Nous côtoyons des personnes qui n’ont pas de filtres. Elles nous ramènent aux choses les plus essentielles. Cela permet aussi de relativiser ses petits soucis du quotidien et, au final, de vivre mieux. »

Didier, 52 ans dont trente-deux à Boissor, est concentré sur la découpe d’une planche. « J’aime beaucoup mon atelier. » Visiblement un peu moins la nouvelle scie. Ultra moderne, à commandes numériques, elle est arrivée à la fin du mois d’août. « Elle est vraiment bien. Beaucoup plus rapide mais je l’aime moins que celle d’avant parce que je ne sais pas lire… » Ce qui est le cas de 60 à 70 % des personnes suivies à Boissor. Une signalétique adaptée pour faciliter l’usage de la machine est à l’étude.

« Les amoureux » n’ont pas quitté « leur Boissor »

Priscillia, 27 ans, a trouvé un emploi à la blanchisserie de Boissor mais aussi l’amour. « J’ai rencontré mon copain ici. Il travaille dans le nettoyage des voitures à seulement quelques mètres. On s’est installé ensemble en dehors du domaine. »

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À l’heure de la retraite, Jean, 63 ans, et Josiane, 62 ans, n’ont pas quitté « leur Boissor ». Ils vivent désormais aux Cerisiers, petite unité de vie pour personnes handicapées vieillissantes.

C’est aussi le cas de Jean, 63 ans, et de Josiane, 62 ans. Il travaillait en horticulture. Elle était employée à la blanchisserie. L’heure de la retraite venue, « les amoureux » n’ont pas quitté « leur Boissor ». Et c’est du côté des Cerisiers, petite unité de vie pour personnes handicapées vieillissantes, qu’ils vivent leur amour. « Même si les Cerisiers ne sont pas réservés aux anciens de Boissor, cela a permis de trouver une solution pour les personnes qui prennent leur retraite », indique Mathias Julien.

Il s’agit d’un foyer d’accueil médicalisé dans la logique des Marpa. Des petits appartements coquets avec terrasse et la possibilité de prendre les repas en commun. « Avant, l’alternative consistait en un retour dans les familles, pas toujours possible, ou en maison de retraite, ce qui signifie se retrouver avec des personnes en état de dépendance, ce qu’ils ne sont pas. »

IME, ESAT, IM-pro, SAVS et foyer de vie. Le complexe médico-social de Boissor vient de fêter un demi-siècle de mobilisation au service des personnes en situation de handicap. Immersion dans une structure pas comme les autres. Immersion dans une structure pas comme les autres...
Julie, éducatrice spécialisée, initie les résidents des Cerisiers à la manucure. – Photos : Alexandre Roger/Le Bimsa

« Voir arriver dans leur commune des personnes différentes n’a pas été une chose qui allait de soi, prévient Gérard Alazard, le maire de Luzech où est implanté le domaine de Boissor. Au début, il y a eu des réticences. On voyait débarquer des handicapés. Ça a duré quelques mois… Le domaine est aujourd’hui le plus gros employeur de la communauté de communes et du bassin de vie, avec des niveaux de qualification élevés. Les personnes accompagnées à Boissor s’investissent dans les clubs sportifs de la commune : rugby, tennis… On se côtoie au quotidien et au final on s’apprécie. » Le kilomètre et demi qui sépare Boissor du centre de Luzech n’a jamais paru si court.


« Boissor est une ruche sereine »

Un dessin du fameux corset à seins coniques porté par la chanteuse Madonna à l’apogée de sa gloire internationale orne le mur du bureau de Christophe Caudrillier, le directeur du domaine de Boissor depuis onze ans. Cadeau de Jean-Paul Gaultier, il témoigne de l’une des multiples vies de ce juriste en droit des marques, qui a travaillé aux côtés du maître au début de sa carrière. Un parcours professionnel qui l’a amené à occuper le poste de délégué général de l’association française de lutte contre la sclérose en plaques au siège national, à Blagnac. Quelque temps auparavant, il avait fait un tour du monde à vélo au profit de cette même association. Un directeur au parcours atypique, engagé corps et âme dans le développement de Boissor, et vivant avec sa famille sur le domaine.

« Ici, notre objectif est d’accompagner les personnes dans un épanouissement optimal de leurs capacités, de leurs compétences et de leur bien-être. Boissor est une ruche sereine au service des personnes en situation de handicap. Ça travaille, ça bouge dans tous les sens ! Pour l’immense majorité, ils sont heureux de travailler et d’avoir des activités ici. »

IME, ESAT, IM-pro, SAVS et foyer de vie. Le complexe médico-social de Boissor vient de fêter un demi-siècle de mobilisation au service des personnes en situation de handicap. Immersion dans une structure pas comme les autres. Immersion dans une structure pas comme les autres...
Christophe Caudrillier

Michel Lafage, ancien président de l’Amab

« Je peux partir serein, a expliqué Michel Lafage lors des cérémonies du cinquantième anniversaire de Boissor, l’été dernier. Serein grâce au dynamisme qui entraîne Boissor depuis un demi-siècle, serein grâce à Jean-Louis Bonnet qui me succède au poste de président l’association mutualiste agricole de Boissor et dont je connais les grandes qualités humaines, serein enfin grâce à vous tous qui êtes ici aujourd’hui à Boissor et qui démontrez la vitalité de ce lieu exceptionnel. Nous le disons souvent, à Boissor nous n’accompagnons pas des personnes ordinaires mais nous avons le privilège d’accompagner des personnes extra-ordinaires. »