Nous sommes le 3 septembre, il est midi à Orval, commune du Cher, dans la région Centre-Val de Loire. La scène de la salle des fêtes est baignée d’une douce lumière violette. La petite trentaine, toupet blond, chemise noire et pantalon blanc, un jeune homme y joue de vieilles rengaines à l’accordéon devant une piste de danse vide.

« C’est que c’est l’heure du déjeuner, mon bon Monsieur ! »
Quand on est résident d’une Marpa ou d’une résidence autonomie, le moment est sacré. Et le musicien peut bien dérouler le répertoire musical de leur jeunesse, la petite centaine d’octogénaires attablés n’en lâchera pas pour autant sa fourchette.

“Musique et challenge pour l’autonomie”, ce pourquoi ils sont réunis, sont le cadet de leurs soucis. Pour l’instant, si les yeux s’éclairent, c’est à l’approche du prochain plat. Ils scrutent le ballet des accompagnateurs qui s’engouffrent dans les cuisines et en ressortent les bras chargés des victuailles préparées par l’Esat PEP18 de Vierzon. « Revoir, ici, des gens autour d’une table, de surcroît nos aînés, ça fait du bien », confie Clarisse Duluc, l’édile d’Orval qui a mis à disposition la salle. Le régime alimentaire des athlètes est strict : salade d’asperges, poulet rôti, chips et tartelette aux fruits.
« Ça ira bien jusqu’au prochain ! Repas ? Le goûter, c’est un repas ? »

L’échauffement

Sitôt le café expédié, tandis que le personnel encadrant finit de débarrasser les tables, nos octogénaires requinqués favorisent leur digestion au son de l’accordéon. Ça guinche et ça s’échauffe.

Peu à peu, les tables se vident. Les cannes et les déambulateurs s’agitent. Un léger brouhaha commence à s’élever. De longs morceaux de tissus et différents accessoires sortent des sacs. Quelque chose se passe.

Le brouhaha couvre à présent la musique. À travers la salle, différents espaces commencent à se dessiner. Les organisateurs disposent les éléments qui vont permettre à tout ce petit monde de s’affronter. Mais attention, on ne perçoit aucune animosité entre les participants de ce challenge pour l’autonomie. Bien au contraire, joie et bonne humeur se lisent dans bien des regards en ce début d’après-midi.

« Nous faisons un inter Marpa tous les ans, explique Marylène Renaud, responsable de la Marpa Le Porte Mi, à Charenton-sur-Cher. Chaque maison reçoit chacune son tour. D’habitude, c’est sous la forme d’un repas animé par un musicien. Après tout ce que nous avons vécu cette année, nous nous sommes dit que ce serait bien de changer un peu la formule. Nicolas [Bresse, responsable de la Marpa du Val d’Arnon] et moi avons pensé au challenge autonomie. Ça se fait dans d’autres départements mais c’est la première fois ici. »

Dans les starting-blocks

Difficile de croire qu’il y a encore quelques instants, les personnes qui s’agglutinent aux différentes épreuves faisaient bombance. Il faut à présent naviguer entre les files de têtes blanches qui ont hâte d’en découdre.
« Voilà deux, trois mois que les résidents travaillent dessus, indique Marylène Renaud. Ils ont choisi un nom d’équipe, sélectionné leur banderole, l’ont préparée et se sont entraînés aux jeux. Pour eux, ça aussi été un objectif qui permettait de garder de l’autonomie et de ce lien social mis à mal depuis un an et demi. Ils avaient hâte de ressortir. À la Marpa Le Porte Mi, nous les avons emmenés goûter à l’étang de Goule. Mais c’est la première sortie où l’on retrouve d’autres établissements depuis le Covid. »

Cette rencontre concerne en effet trois Marpa (Charenton-du-Cher, Lury-sur-Arnon et Saulzais-le-Potier) et deux résidences autonomies (Orval et Vesdun). « Associer les résidences autonomie aux Marpa, je trouve ça extraordinaire, cet inter-régime est essentiel, explique Cendrine Chéron, présidente de la MSA Beauce Cœur de Loire et administratrice de la fédération nationale des Marpa. C’est ce qui marque la cohésion d’un territoire. Celui du Cher l’est par un esprit de communauté, d’échange et de solidarité. »

Ce que prouve l’histoire de Marylène et Marilène. Confrontées aux mêmes difficultés durant la crise sanitaire, ces deux responsables, l’une d’une Marpa, l’autre d’une résidence autonomie, se sont unies et soutenues. « Pendant le Covid, avec Marilène Martin, responsable de la résidence Sully, nous avons beaucoup travaillé ensemble, nous avions les mêmes objectifs, raconte Marylène Renaud. Au moment d’organiser le challenge, je lui ai naturellement proposé de participer. »

La compétition fait rage

Mais est-ce bien utile de parler du bien-fondé de la démarche quand il suffit de se retourner pour voir ces hommes et ces femmes lever les bras au ciel à la fin de leur prestation, s’applaudir, s’encourager, se lancer des défis ?
Il y a comme un parfum de cour de récré avec des cris de joie et des hourras. Et comme tous les groupes d’enfants, celui-ci a son plaisantin : Gilbert Guigou. Non seulement, il fait le clown mais entraîne aussi ses petits camarades et les accompagnateurs dans ses pitreries ! L’une d’entre elles coûte la victoire à son équipe dans l’épreuve du parcours d’obstacles en relais ; au lieu de jeter le témoin qu’il vient de recevoir sur une cible, Gilbert préfère le faire tenir en équilibre sur sa tête pour amuser la galerie.

Si l’ambiance est à la détente, à l’animation bilboquet ça ne rigole pas : Lucienne enchaîne les réussites.

« Hier, en fin d’après-midi, Lucienne est venue me voir pour me dire qu’elle voulait encore s’entraîner, confie Marylène Renaud. Ils se sont vraiment pris au jeu et ça fait plaisir de les voir comme ça, ils sont contents. »

Gilbert profite que l’animateur ait le dos tourné pour ériger une pyramide de quilles au stand bowling. Il s’est trouvé un compagnon de jeu avec lequel il prépare sa prochaine farce. « Chez nous, les résidents ont choisi chacun un atelier, puis lors des entraînements nous avons déterminé là où ils étaient les meilleurs. À Charenton, les résidents sont venus pour gagner ! », lance Marylène dans un éclat de rire.

Sur le podium

« Les responsables des Marpa et des résidences sont les auteurs de ce projet, la MSA Beauce Cœur de Loire a aidé à coordonner l’action et apporté un soutien financier et logistique, détaille Cendrine Chéron. En juin, nous avons adopté notre plan d’action sanitaire et sociale pour la convention d’objectifs et de gestion (COG) à venir. Nous avons élaboré un budget provisoire qu’on a estimé au plus juste et au plus judicieux. Évidemment, nous consacrons un large volet à tout ce qui concerne le champ de la prévention et de la perte d’autonomie. Ce challenge est l’illustration parfaite de la volonté technique et politique de la caisse d’être présente dans les Marpa, en plus des élus MSA qui le sont déjà, en soutien et pour aider nos aînés à être autonomes. Ils servent également de sentinelles pour alerter sur un projet ou sur ce qui ne va pas. Ce sont des relais et une oreille attentive. »

Une oreille attentive, Gilbert vient d’en trouver une, le capitaine de gendarmerie venu, en toute sympathie, surveiller les trouble-fête. À l’heure du blind test musical précédant la remise des prix et le goûter, notre boute-en-train fait tout ce qu’il peut pour déstabiliser le gardien de la paix imperturbable.

Il ne sera sauvé que par la distribution de barbe à papa dont Gilbert, semble-t-il, est friand. Il ne boude pas non plus son plaisir, comme ses partenaires de jeu, lors de la remise des médailles et trophées en fin d’après-midi avant que tout le monde ne se sépare.


Et quand chacun repart, qui dans sa Marpa, qui dans sa résidence autonomie, aucune tristesse, que des sourires, car ils savent que cette fois-ci, ils ne resteront pas enfermés pendant plusieurs mois.

Photos : © Frédéric Fromentin/Le Bimsa