« Je roule tout le temps. Ça m’occupe et en plus j’adore ça. » Colette, 69 ans et des poussières, affiche fièrement à son compteur 50 ans tout rond de permis sans accroc. Au volant de son monospace, cette ancienne aide à domicile file droit sur les routes sinueuses de Loire-Atlantique. Ce qui rassure Thérèse, sa passagère de dix ans son aînée.

Elle utilise les transports solidaires à la sauce ligérienne depuis cinq ans. Même en roulant en-dessous des 80 km/h réglementaires, les 7 km à l’aller et autant au retour qui séparent Pannecé de Mésanger passent très vite. Conductrice et passagère du jour n’habitent qu’à quelques rues l’une de l’autre dans la même commune de 1 350 âmes. Dans la voiture, les deux femmes discutent des petits ou des gros bobos de la vie, elles se donnent aussi des nouvelles du village. Quitte à faire un bout de chemin ensemble, autant le faire dans la convivialité.

Thérèse n’a jamais passé le permis de conduire. Jusqu’à la maladie puis la disparition de son mari, elle n’en avait jamais vraiment ressenti l’utilité. Mais tout a changé depuis qu’elle se retrouve seule à la campagne et sans moyen de transport adapté à ses besoins et à ses moyens.

« Je ne peux pas demander tout le temps aux enfants. Ils m’aident déjà pour les courses. Depuis quelques temps, mon corps fait des siennes et je collectionne les rendez-vous médicaux. Aujourd’hui, je n’avais tout simplement pas de solution pour aller chez le kiné qui se trouve dans la commune d’à côté », soupire celle qui se déplace à l’aide d’une canne depuis l’été dernier.

Si, comme elle, la plupart des personnes qui bénéficient des mobilités solidaires sont âgées et les utilisent pour se rendre à des rendez-vous médicaux, le système qui repose sur le bénévolat des conducteurs est ouvert à tous. La souplesse et le cadre rassurant de l’association permet d’apporter une réponse à ceux qui n’ont pas de solution alternative ainsi qu’aux plus démunis.

Courses alimentaires, démarches administratives, entretien d’embauche, déplacements au bénéfice de collégiens, de stagiaires, de demandeurs d’emploi, ou encore de jeunes qui pratiquent une activité sportive loin de chez eux, jusqu’à une personne souffrant de narcolepsie l’empêchant de conduire, autant de situations qui démontrent la diversité des besoins en mobilité qui restaient insatisfaits jusque-là.

À destination des plus fragiles

« Qu’on ne s’y trompe pas, explique André Gillet, le président de Pannecé– Teillé – Transport, la mobilité solidaire qu’on a mise en place s’inscrit dans le champ non concurrentiel de la lutte contre l’isolement et le sentiment de solitude. Elle n’a pas vocation à se substituer aux moyens de transport existants ni aux solidarités traditionnelles, comme le taxi, les transports en commun ou la famille par exemple. »

André Gillet, le fondateur de Pannecé – Teillé – Solidarité – Transport. 
Déplacements solidaires : Liberté, égalité, mobilité et ruralité
Vingt-et-une associations de transport solidaire de Loire-Atlantique ont décidé, avec le soutien de la MSA, de se regrouper en union départementale. Le but : être plus fortes ensemble pour apporter des solutions de déplacement en milieu rural à ceux qui en manquent cruellement.
« La maison de service au public, se trouve à 14 km. Ça peut paraître proche mais c’est déjà trop loin pour la plupart des personnes qui n’ont pas de solution de transport », explique André Gillet, le fondateur de Pannecé-Teillé-Solidarité-Transport. – © Alexandre Roger/le Bimsa

L’association, que cet élu MSA a créée en 2009, est la plus ancienne des 21 structures qui composent « l’union départementale 44 d’accompagnement à la solidarité solidaire ». Ensemble, elles couvrent la majeure partie du territoire de la Loire-Atlantique et diffusent les valeurs de solidarité, d’entraide et de bénévolat depuis les frontières du département jusqu’à l’estuaire de la Loire.

Des mots qui parlent à Thérèse car, qui d’autres qu’une bénévole comme Colette aurait pu l’attendre gratuitement et, à sa demande, lui acheter « un pain de deux », une grosse baguette comme on dit dans l’Ouest, avant de la raccompagner bras dessus bras dessous jusque chez elle ? Encore une fois, la connaissance du terrain et des besoins spécifiques de leur canton d’une poignée d’élus a fait la différence en permettant la création d’une réponse sur mesure adaptée à des besoins locaux.

« En tant qu’élus, poursuit André Gillet, on cherchait un moyen de faire venir les anciens aux animations organisées pour eux dans le secteur quand quelqu’un nous a dit : c’est bien ce que vous faites mais ce serait mieux si vous arriviez à trouver une idée pour nous emmener chez le médecin ou faire nos courses quand les enfants travaillent. Bien embarrassé, j’ai répondu : on va voir ce qui peut être fait et c’est là que l’aventure a commencé. Tout d’abord en improvisant des covoiturages mais on a vite été dépassé par l’ampleur des besoins. Il a fallu trouver une solution pérenne et organisée et c’est là, avec l’aide des services sociaux de la MSA de Loire-Atlantique – Vendée, qu’a été lancée la première réunion sur la mise en place d’un transport solidaire sous forme d’association. »

2 435 bénéficiaires

Dix ans plus tard, en 2018, 900  bénévoles ont parcouru 360 792  km, à travers le département, pour 2 435 bénéficiaires et un total de 12 612 missions au sein de 20 associations (21 depuis cette année).

Jean-Marc Peignen, le président de l’association Les Roues d’secours du vignoble : « Notre but est de permettre à tous de conserver une vie sociale normale le plus longtemps possible, quel que soit leur âge ou leurs moyens financiers, de la même façon que s’ils habitaient en ville. »
Jean-Marc Peignen, le président de l’association Les Roues d’secours du vignoble : « Notre but est de permettre à tous de conserver une vie sociale normale le plus longtemps possible, quel que soit leur âge ou leurs moyens financiers, de la même façon que s’ils habitaient en ville. »

La vigne qui défile de chaque côté de la route a pris de belles couleurs vertes en ce printemps frisquet. Le tour de main des vignerons transformera bientôt ces fruits juteux en muscadet, un vin blanc qui fait la richesse et la renommée de la région. Au volant, Catherine, 64 ans, est concentrée sur sa conduite. Cette bénévole pour l’association Les Roues d’secours du vignoble est l’une des centaines de visages de la mobilité solidaire. Elle redonne accès aux déplacements à ses contemporains les plus fragiles dans le secteur Haye-Fouassière, commune située à 20  minutes de Nantes.

« Je covoiture régulièrement avec ma belle-mère depuis qu’elle est veuve. Pour moi, c’est naturel de faire la même chose pour d’autres personnes. » Cette hyperactive, ceinture noire de judo 2e dan, est devenue référente aux Roues d’secours. Son rôle consiste à sélectionner les bénévoles et les bénéficiaires qui remplissent les conditions. « Pour certains, c’est le seul contact de la semaine en dehors de leur aide-ménagère, explique Jean-Marc Peignen, le président de l’association. Notre but est de permettre à tous de conserver une vie sociale normale le plus longtemps possible, quel que soit leur âge ou leurs moyens financiers, de la même façon que s’ils habitaient en ville. »

Aujourd’hui, c’est Christiane, 80 ans, qui a fait appel à l’association. « À cause de ma santé, je ne conduis plus depuis 5 ans. Mes enfants travaillent. On peut les appeler une fois mais la deuxième fois on commence à se sentir coupable, la troisième fois on hésite et la quatrième on renonce complètement parce qu’on n’a pas envie de les embêter, parce qu’ils ont leur vie. »

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Vingt-et-une associations de transport solidaire de Loire-Atlantique ont décidé, avec le soutien de la MSA, de se regrouper en union départementale. Le but : être plus fortes ensemble pour apporter des solutions de déplacement en milieu rural à ceux qui en manquent cruellement.
Catherine, bénévole à l’association Les roues d’secours du vignoble en compagnie de Christiane, 80 ans, bénéficiaire. « À cause de ma santé, je ne conduis plus depuis 5 ans », explique-t-elle.


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Vingt-et-une associations de transport solidaire de Loire-Atlantique ont décidé, avec le soutien de la MSA, de se regrouper en union départementale. Le but : être plus fortes ensemble pour apporter des solutions de déplacement en milieu rural à ceux qui en manquent cruellement.

900 bénévoles ont parcouru 360 762 km en un an.

Pourquoi ça marche si bien ? Parce qu’il y a un réel besoin.

La maison de services au public se trouve à 14 km. Ça peut paraître proche mais c’est déjà trop loin pour la plupart des personnes qui n’ont pas de solution de transport. Le fait d’intégrer une union départementale nous a permis d’acquérir une crédibilité et une visibilité par rapport aux financeurs. L’assurance des véhicules des bénévoles pendant les déplacements était notre principal poste de dépense. Quand on a démarré, on a mis de notre poche pour la payer. Depuis 1 an et demi, elle est prise en charge par le département.

Cette année, la MSA finance deux sessions de formation avec des psychologues, sur la posture de bénévole et sur l’isolement parce qu’on est en première ligne. Le transport solidaire permet aussi de déceler des personnes invisibles des radars traditionnels de la solidarité. Des formations aux premiers secours seront également dispensées par les pompiers.

Mais le plus gros du boulot de président d’association est un travail d’explication. On n’est pas transporteurs, on n’est pas non plus un service public. Il faut bien s’expliquer, j’ai rencontré les représentants des taxis de Loire-Atlantique quand il y a eu besoin. En leur détaillant sur ce qu’on faisait, ils se sont rendu compte qu’on s’occupait uniquement de gens qu’ils n’auraient pas pu prendre en charge.

Déplacements solidaires : Liberté, égalité, mobilité et ruralité
Vingt-et-une associations de transport solidaire de Loire-Atlantique ont décidé, avec le soutien de la MSA, de se regrouper en union départementale. Le but : être plus fortes ensemble pour apporter des solutions de déplacement en milieu rural à ceux qui en manquent cruellement.
André Gillet, le président de Pannecé-Teillé-Solidarité Transport.


Déplacements solidaires : Liberté, égalité, mobilité et ruralité
Vingt-et-une associations de transport solidaire de Loire-Atlantique ont décidé, avec le soutien de la MSA, de se regrouper en union départementale. Le but : être plus fortes ensemble pour apporter des solutions de déplacement en milieu rural à ceux qui en manquent cruellement.
Antoine Chauvin est agent de développement social local au pôle développement social des territoires de la MSA Loire-Atlantique – Vendée.

© Alexandre Roger/le Bimsa

Notre rôle a été d’être à l’écoute de ce que les délégués MSA observent sur leur territoire de vie et ensuite de les accompagner pour essayer d’apporter avec eux une réponse adaptée.

En l’occurrence, des bénévoles se sont mis spontanément en réseau pour accompagner des personnes sans solution de transport pour se rendre à des rendez-vous médicaux, administratifs ou simplement pour aller faire leurs courses dans une dynamique de création de lien social.

Pour beaucoup de bénéficiaires,
faire appel à ce service de solidarité, c’est bien plus qu’un transport, c’est un vrai moment convivial dans leur journée, constitué d’échanges et de discussions proches des visites de courtoisie. On se rend compte que ce type d’actions crée du lien social dans les territoires ruraux, contribue non seulement à lutter contre
l’isolement du bénéficiaire mais également du bénévole.

Cette année, nous allons les accompagner par des formations pour développer leur potentiel de repérage de l’isolement et sur leur posture de bénévole.
Pour qu’ils soient au clair avec eux-mêmes et sur ce qu’ils sont prêts à donner et pour certains, apprendre à dire non quand il le faut pour se protéger.