La Hideuse. Ne vous fiez pas au nom du cours d’eau qui traverse cette vallée ardennaise verdoyante, car il le porte très mal. L’endroit, qui possède une plage magnifique, mérite le détour à condition toutefois d’aimer la nature, le calme, les loyers à petits prix et surtout de vouloir aller à la rencontre d’habitants accueillants, ouverts et chaleureux, très loin des clichés sur les Ardennais que l’on dit parfois un peu bourrus.
« Plus de vaches que de bonhommes ! »
« Dans ce coin du département, il y a plus de vaches que de bonhommes ! » Ces paroles, prononcées par un maire de l’une des 22 communes qui composent le territoire de la charte avec les familles du bassin de vie de Buzancy, décrivent bien la réalité de ce petit bout de France, coincé entre la frontière belge et le département de la Meuse.
Loin des grands flux de circulation et des villes, cet espace à la ruralité affirmée n’est traversé par aucune route nationale et ne dispose d’aucune gare. Avec seulement 14,1 habitants au km2, il forme l’avant-poste septentrional de la diagonale du vide chère aux géographes du XIXe siècle, mais qui est toujours une réalité au XXIe. Cette large bande du territoire français qui s’étend de la frontière belge au département des Landes a une densité de population beaucoup plus faible que le reste du pays. Il ne faut pas se cacher pudiquement derrière Woinic, le sanglier emblème des Ardennes : c’est aussi pour ses faiblesses en termes d’emplois, de difficultés de déplacement du quotidien, d’accès aux soins, à la formation, à la culture et au sport que l’ancien canton de Buzancy a été sélectionné par la MSA Marne Ardennes Meuse.
« La charte territoriale avec les familles, signée le 25 avril 2019 entre la MSA et la communauté de communes de l’Argonne Ardennaise, est avant tout une démarche collaborative et participative avec l’ensemble des habitants d’un territoire, confie Gina Laplace, agent de développement social local à la MSA Marne Ardennes Meuse. En leur donnant la parole pour imaginer, créer et donner vie à leurs idées, elle a pour but de répondre concrètement à leurs besoins. On cherche à les mettre en mouvement. On leur demande : « C’est quoi le malaise dans vos vies ? » Et ensuite on trouve ensemble les moyens d’améliorer les choses, une façon d’essayer de tirer le meilleur du collectif. » L’avis de chacun des 2 269 habitants de ce territoire, sans limite d’âge, répartis dans 22 communes, a compté dans ce lent et patient travail de terrain mené en binôme avec Romane Quil, coordinatrice santé et familles à la communauté de communes de l’Argonne Ardennaise.
L’équipe vient de rendre son diagnostic. Il donne des pistes solides pour améliorer les conditions de vie de la population. « Ce dispositif permet aux habitants de se sentir impliqués. Il apporte une émulation qui nous permettra peut-être d’enrayer notre déclin démographique car, pour nous, un habitant de perdu c’est grave… Avec cette charte, il y a une dynamique de territoire qui s’installe pour longtemps », insiste le Dr Léopold Désiré Nanji, vice-président de la communauté de communes de l’Argonne Ardennaise en charge des services à la population, et maire de Buzancy, commune de 360 habitants au cœur de la démarche.
Un renouveau également symbolisé par la future maison de santé pluriprofessionnelle, installée juste en face de son bureau à la mairie, dont la construction va bon train et qui verra le jour au printemps. Celui qui était jusqu’à présent l’unique médecin du secteur sera rejoint par un jeune confrère généraliste, ainsi que par deux infirmières, une sage-femme, une diététicienne et une orthophoniste, en plus des kinésithérapeutes, de la pharmacie et de l’association ADMR que compte déjà le village. Le bâtiment sera également équipé d’un logement pour recevoir un interne en médecine.
« On a une frange de la population qui souffre. Les gens ont besoin de cet amour, de cet intérêt qu’on leur porte. En s’adressant directement à eux, l’idée de cette charte n’est pas de créer de nouveaux besoins mais les conditions pour que les personnes puissent réussir à s’exprimer et apprendre à chercher ou créer les opportunités pour eux-mêmes et leurs enfants. C’est cette mobilisation qui fait qu’elle est d’ores et déjà une réussite. »»
Dr Léopold Désiré Nanji, maire de Busancy.
Entre août 2019 et mars 2020, Gina Laplace et Romane Quil ont parcouru le territoire en long et en large à la rencontre des acteurs locaux et des habitants. « Ici peut-être plus qu’ailleurs, les étiquettes comptent peu. Nous sommes sur un territoire pauvre où il est illusoire de penser qu’on peut entreprendre les choses seul, mais heureusement les gens savent travailler ensemble sans esprit de concurrence », s’accordent les deux visages de la charte sur le terrain. Durant cette période, elles ont pu s’entretenir avec 21 maires, les représentants de 28 structures du secteur (l’ensemble des institutions, associations, commerces, professionnels de santé…) et des familles lors de différentes manifestations locales.
« Nous avons commencé à distribuer nos questionnaires de manière informelle dans la rue ou lors d’événements comme le forum des associations. Ces contacts directs permettent d’apprécier la réalité du terrain. Les gens nous reconnaissent dans la rue et nous interpellent en disant : ″Vous êtes les dames de la charte, j’ai des choses à vous dire…″ Ce qui prend le plus de temps, c’est d’obtenir cette confiance. » En février et mars, le centre social de Vouziers, FJEPCS La Passerelle, a donné un sérieux coup de main en diffusant un questionnaire pour contribuer à recueillir la parole des habitants du territoire. Cette association a la particularité de posséder un outil plébiscité par les familles demeurant dans les villages les plus éloignés comme Buzancy : une camionnette, aménagée comme un food-truck, qui rend le centre social mobile sur le territoire.
Le centre social de Vouziers et son bus itinérant
« À plus dans l’bus » sillonne les routes de l’Argonne Ardennaise depuis 2018. Notre collaboration avec le FJEPCS La Passerelle et sa déclinaison itinérante nous a permis de renforcer le diagnostic de la charte, même si nous avons été malheureusement contraints d’annuler différents rendez-vous du fait de la crise sanitaire. »
Bien décidée à poursuivre le travail entamé, l’équipe a dû inventer de nouvelles formes d’échanges pour collecter la précieuse parole des habitants. « Nous avons trouvé des solutions alternatives pour recueillir les attentes de la population, garder contact avec tous et provoquer de nouvelles rencontres. Nous avons créé une page Facebook : 22 vla la charte, sur laquelle nous avons pu diffuser nos questionnaires, ainsi qu’une newsletter pour informer chacun de l’avancée du diagnostic. On a créé de nombreux événements virtuels pour la faire vivre au fil du temps, avec notamment des jeux concours permettant de gagner des cadeaux dans les commerces locaux. »
Le but était de ne surtout pas rompre ce lien tissé au fil des mois passés sur le terrain. « Nous demandons aux gens de prendre un peu de temps pour répondre à quelques questions qui concernent leur quotidien et ça fonctionne, assure Romane Quil. Le dernier questionnaire, sur une thématique santé, a rassemblé plus de 54 participants répartis dans 14 communes. »
© Alain Lantreibecq © Alain Lantreibecq © Alain Lantreibecq
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— le bimsa (@lebimsa) February 5, 2021