Le café Veyssac a baissé le rideau il y a une éternité. Le Commayras n’existe plus que dans les souvenirs des anciens. Une soirée foot entre amis au Ballon rond ? Un plaisir partagé qui date d’une époque où Jean-Pierre Papin régalait encore les Bleus de ses « papinades ». Les patrons des bistrots d’Aguessac ont remisé leurs tire-bouchons et tiré leur révérence les uns après les autres. Le dernier a définitivement débranché sa pompe à bière il y a trois ans. La faute à qui ? À l’époque ? À Netflix ? Plus certainement au viaduc de Millau qui a détourné une partie du trafic routier et des automobilistes assoiffés, et mis fin en 2003 aux traditionnels bouchons qui bloquaient chaque été les rues de la commune traversée par la route nationale 9.
La réponse est peut-être à chercher aussi du côté de l’arrivée de nouveaux lotissements, peuplés d’habitants attirés par le prix du m2 ultra compétitif et des impôts locaux à l’avenant qui transforment peu à peu la commune en village-dortoir au profit de sa grande sœur Millau à dix minutes seulement en voiture. Ces jeunes couples se passeraient du vivre-ensemble qui se construit patiemment, au fil des rencontres entre voisins mais aussi accoudés aux comptoirs des cafés des villages de France.
« La nouvelle population est dynamique. Elle s’investit dans les conseils municipaux et ses enfants font vivre nos écoles », tempère tout de suite Jean-Pierre, une figure de la région. L’ancien biologiste hospitalier mais aussi docteur en histoire médiévale, attablé au bistrot associatif avec une poignée d’habitants de la commune, met une petite claque salutaire aux clichés sur les néo-ruraux. Il évite ainsi à tous de sombrer dans les poncifs sur les citadins plus intéressés par la grande ville où ils travaillent que par la vie de leur commune d’adoption.
L’établissement où les débats font rage dans la bonne humeur s’appelle : « Lo plan Vengut », le bienvenu en occitan. On les prend au mot. Nous nous accoudons au comptoir. Et nous commandons un expresso bien serré.
Ce mardi 2 septembre, les arômes de café, la bonne humeur et les accents chantants flottent dans l’air de l’ancien presbytère où le bistrot associatif a trouvé refuge. Un mélange réussi entre le profane et le sacré qui fait que le seul café de la commune jouxte dorénavant l’église. À l’intérieur, ils viennent de partout mais ils sont tous d’Aguessac.
Nagassol, le nom en occitan des habitants de la commune
Impossible de manquer Mohamed, ancien international de rugby marocain, une star de l’ovalie et la carrure qui va avec. Il apprécie le rythme de vie à la mode Nagassol, le nom en occitan des habitants de la commune. « Quand je jouais, j’étais le seul noir de tout le rugby mondial, même en Afrique du Sud il n’y en avait pas. Alors partout où je passais les gens se souvenaient de moi. Je suis venu ici pour faire un match… » C’était en 1972. Il est d’abord resté une année puis toute une vie.
Autour d’eux : il y a Alain et Michel, Julien, Jean-Marc, Maurice, André, Chantal, Delphine, Pierre, Joël (le président), Marc, Hélène et les autres, d’anciens profs, cadres, ouvriers ou agriculteurs ou encore Antoinette, une ancienne éleveuse de moutons et de vaches. Ils font pour la plupart partie de l’association des aînés ruraux. Tranquillement installés, ils refont le monde comme dans n’importe quel débit de boissons peuplé d’habitués.
L’idée de ce café est née d’un vrai manque au sein d’un village qui, pourtant, en plus d’un panorama à couper le souffle, a tout pour lui : deux écoles (une privée et une publique), une maison de santé toute neuve, un coiffeur, une supérette, des commerces, un camping au bord du Tarn, un restaurant et même un tatoueur. Il manquait simplement un lieu pour se retrouver et recréer un cœur de village. « Notre déclic remonte à quelque temps : des dames qui venaient de loin étaient arrivées trop tôt pour un enterrement, se souvient Pierre, le trésorier de l’association. Elles cherchaient un café pour attendre l’heure de la cérémonie. On a dû leur répondre : “Désolé mais le dernier est fermé depuis longtemps”. » Ce professeur de mathématiques est né à Aguessac en 1952. Il a débuté sa carrière en Lozère, a enseigné en Côte d’Ivoire, au Gabon et en Nouvelle Calédonie. Ce tour du monde l’a presque naturellement ramené dans la commune qui l’a vu naître. Une vie en forme de cercle parfait.
« Et en prime le café est bon »
« Vous rêvez de voyages lointains. Le meilleur n’est pas celui qui t’amène à l’horizon mais celui qui te ramène à la maison », lance Michel, le poète gastronome de la bande. Il est aussi brocanteur dans le civil. Le jardin du café associatif est devenu la deuxième maison de cet ancien cuisinier dans la marine qui a vu du pays. Il y prépare des repas gargantuesques où on déguste pêle-mêle des tripous, des farçous, du bleu des causses, du gâteau à la broche et le fameux rebarbe, un fromage à réserver aux plus téméraires.
« Ici, je retrouve mes amis. Je passe de bons moments et les occasions de sortir les tables de bistrot dans le jardin sont nombreuses », assure-t-il en prenant le soleil à témoin.
« La fermeture du dernier bistrot du village a créé un manque car les habitants éprouvaient le besoin de disposer d’un lieu de rencontre et d’échange et de retrouver l’ambiance d’un café de village ainsi qu’un endroit qui permettrait aussi la diffusion des rencontres sportives télévisées…, poursuit Pierre. Pour nous, son existence est aussi un argument important vis-à-vis de la municipalité pour conserver l’ancien presbytère dans le patrimoine communal et redonner vie à ce bâtiment qui accueille déjà la bibliothèque associative et divers clubs du village. »
Anne Pailhas, la maire, arrive au même moment. « Je suis simplement là pour boire un café mais je peux vous dire que je suis une cliente régulière. C’est un lieu de rencontre indispensable pour tout le village et en prime le café est bon », lançant au passage un coup de chapeau aux membres de l’association qui tiennent le bar à tour de rôle selon un planning laissé à la bonne volonté de chacun. « On est ravis. Ils sont autonomes, actifs et innovants. » Dans la salle quelqu’un la coupe et lance à haute voix : « … et les barmen sont sexy. » « Pour ça, il faut tomber le bon matin », réplique l’édile en provoquant l’hilarité générale.
Quand Josette, une Ardennaise de 74 ans, débarque – au sens propre – au café associatif avec son panier et son air décidé, elle n’habite la commune que depuis dix jours. Cette ancienne infirmière libérale vient de traverser la France pour s’installer à Aguessac. « Ça ressemble à un coup de folie mais mûri pendant seize ans, période pendant laquelle je me suis occupée de ma mère qui est morte à la fin de l’année dernière à 102 ans. Pendant ce temps-là, je vieillissais aussi et je repoussais mes rêves de m’installer dans le sud. Aujourd’hui je suis sur un petit nuage, j’espère que je ne vais pas déchanter. Depuis mon arrivée ici, à 800 km de Rethel, j’ai l’impression de vraiment commencer ma retraite. Des voisins m’ont parlé de ce café et de l’association alors je suis venue jeter un œil. » Son récit provoque dans l’assemblée un mélange d’étonnement et de fierté d’avoir été choisis.
« Certains anciens du village rechignent à nous rejoindre au club et affirment que lorsqu’on y rentre on prend un coup de vieux. C’est plutôt le contraire », sourit Pierre. Ceux-là n’ont pas dû consulter la liste des activités proposées par l’association, longue comme le menu d’un repas aveyronnais : représentations théâtrales, concerts, vide-greniers, carnavals, randonnées, quines (loto), opérations de nettoyage des bords du Tarn, après-midis goûter mensuels, marché de Noël, chorale, loisirs créatifs, fabrication de masques et livraison de courses pendant le confinement, un pique-nique géant annuel, sans oublier les expositions régulières qui habillent les cimaises du bistrot. Les deux dernières avaient pour thème l’arrivée du rail à Aguessac entre 1870 et 1880, et l’autre était consacrée à un homme hors du commun, le très craint Félix Carlac, garde champêtre et crieur public jusque dans les années 1960. La terreur des enfants du village dont la plupart des membres du club se souviennent avec un petit pincement au cœur.
Le palmarès complet
Pour tout savoir sur ce concours organisé en partenariat avec la MSA, c’est ici.