Le 10 avril, à 9 heures tapantes, c’est l’effervescence près des berges tranquilles de Pont-Habert, à Challans, une commune de 22 890 habitants. Quinze adolescents, âgés de 9 à 15 ans, venant des espaces jeunesse des villages de Froidfond et de La Garnache, s’apprêtent à partir à l’aventure en canoë pendant deux jours dans le Marais breton vendéen, une vaste zone humide serpentée de canaux.

Jogging, baskets, casquette vissée sur le crâne, lunettes noires, ils sont parés pour le périple. Mission : atteindre Beauvoir-sur-Mer à coup de pagaies, un village situé à quelques kilomètres de l’océan Atlantique. La météo est au beau fixe. Les températures s’annoncent estivales, de quoi donner le sentiment d’un départ en vacances.
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Mélange d’excitation et de sérieux
L’enthousiasme est palpable même si beaucoup n’ont jamais pratiqué le canoë. Certains trépignent d’impatience, pressés d’embarquer. D’autres, timides, restent circonspects, un peu craintifs, mais contents d’être là. Ils participent au séjour avec un ami ou un proche. Ils attendent les instructions et le départ pour se lâcher. Un petit de 9 ans ne quitte pas son grand frère, protecteur. Près d’eux, impassibles, des jumeaux baladent leurs yeux sur la situation, comme n’en finissant pas de l’analyser.
Les trois seules filles de l’expédition font bande à part. Elles regardent les bateaux alignés et le canal avec un mélange d’excitation et de sérieux. Tilo, 14 ans, l’œil vif, le sourire espiègle, un brin boute-en-train, chantonne déjà : « Pas besoin d’aller à Bora-Bora, en Polynésie française, pour voyager, une randonnée à Challans suffit. » Éclat de rire général, partagé même par les animateurs qui les accompagnent, Amandine et Mathys, tous deux la vingtaine.
Consignes et distribution du matériel
Clément Leroy, éducateur sportif au Canoë kayak Sallertaine et initiateur du projet supervise les derniers préparatifs, aidé de son collègue Titouan Pothier. Pendant qu’il part en voiture déposer les bagages des voyageurs au camping Les Rouches de Saint-Urbain où le groupe fera escale le soir, Titouan dispense les consignes de sécurité, distribue un gilet de sauvetage, une pagaie à chacun et en explique le mode d’emploi.
Le jeune public a droit ensuite à une démonstration grandeur nature dans l’eau, presque un spectacle. « Dans un bateau, on a deux positions, lance Titouan qui tangue en virtuose à bord de son canoë tel un surfeur sur sa planche. On a l’avant qui sert de moteur et impulse la vitesse. Et l’arrière qui donne la direction et permet de tourner. Celui qui en a la charge se nomme le barreur. Pour avancer, on prend l’eau qui est devant soi avec sa pagaie et on l’envoie derrière. Pour freiner, on effectue le mouvement inverse. »

Après ce cours religieusement écouté, le groupe est réparti sur les six canoës. À 10 heures, c’est la mise à l’eau. Clément et Titouan sécurisent l’embarquement. « Pour monter, on s’assoit sur le bord et on met d’abord les pieds, rassure Clément, immobilisant chaque bateau le temps de la montée. Face au pont, il ne faut pas se pencher sur le côté mais s’allonger en avant ou en arrière. On passe le ponton puis on navigue en direction de Sallertaine, à cinq kilomètres d’ici. »
Un apprentissage rapide
Les aventuriers, concentrés, s’élancent en file indienne sur le bras d’eau. Clément ouvre la marche, gardant un œil sur les rameurs. Il corrige les gestes techniques et encourage les plus débrouillards. Titouan reste à l’arrière. La virée démarre en douceur. Chacun prend le temps de tester quelques manœuvres. Les premières minutes se passent à synchroniser les mouvements entre canoéistes, à apprendre à accélérer, à tourner ou à éviter les branches basses.
Certains téméraires ne résistent pas à l’envie au contraire de foncer dessus et récoltent au passage quelques rameaux. D’autres, taquins, heurtent les canoës proches d’eux soulevant cris de protestation et éclats de rire. Les compétiteurs dans l’âme engagent d’emblée la course. Les filles, réunies dans le même canoë, avec Mathys en barreur, donnent le la.
Peu à peu s’installe une ambiance de fête. À l’approche des barques, des aigrettes, des hérons cendrés et même une cigogne blanche s’envolent au loin. Le tintamarre des explorateurs contraste avec le calme des prairies verdoyantes tout autour.

Immersion culturelle et historique
Quelques minutes plus tard, les canoës s’amarrent au bord d’un élargissement du chenal, bordé de roseaux. Clément propose une pause pédagogique autour de l’histoire de Sallertaine, village d’artisans d’art. « Savez-vous qu’autrefois c’était une île ? Jusqu’au XIVe siècle, elle était recouverte par la mer, révèle-t-il. C’était un gros caillou de deux kilomètres qui sortait de l’eau. Tout ce sur quoi vous naviguez est artificiel, construit par la main de l’homme. Le seigneur de La Garnache a rendu cette ville prospère au Moyen Âge. Il a confié à des moines la mission de développer les marais salants et le commerce du sel, l’or blanc de l’époque. » Yeux ronds de tous lorsque l’éducateur dévoile l’origine du mot « salaire » : sel. Le condiment a servi à l’époque de monnaie.
L’histoire du territoire vendéen s’égrène au fil de la tra- versée dans les différents bras du marais, oscillant entre passé et présent. Un autre arrêt est improvisé à la vue d’une cage à ragondins, un piège posé sur le bord d’une rive. Les nuisibles, introduits en France en 1880 pour leur fourrure, pullulent dans la zone.
Sans prédateurs, les rongeurs menacent tout l’écosystème. En creusant des terriers, des galeries et en se gavant des végétaux alentours, ils favorisent les éboulements de la terre argileuse. Entre autres impacts pour les maraîchins, les habitants des marais, notamment les agriculteurs : chaque année leur terre cultivable s’amenuise. L’animal est comestible, indique Clément. Dans les restaurants, il est servi comme du « lièvre des marais ».

Peu après, l’équipe accoste à Sallertaine pour le déjeuner avant de reprendre les pagaies en direction du moulin de Rairé en activité depuis le XVIe siècle et le dernier en France à fonctionner avec le vent. La rencontre avec son meunier plonge les adolescents dans le secret de la transformation des grains de blé en farine par la force des ailes du moulin. Surprise après la visite, ils ont dégusté une délicieuse crêpe préparée avec cette production du jour.
Le soir, cap sur le camping Les Rouches de Saint-Urbain où après l’installation des tentes, une veillée clôt la journée. Les plus intrépides partent pour une balade nocturne histoire d’admirer la lune et les étoiles. Le lendemain, réveil en douceur et départ à 10 h 30. La mise à l’eau se fait cette fois sans l’aide des éducateurs.

Tout le monde a gagné en assurance et en autonomie. C’est visible à la vitesse des embarcations. Elles semblent voler malgré un vent contraire. Les pagayeurs aguerris cavalent, fiers de leur progrès. Par instants, un chant s’élève et ravive l’entrain collectif : « Et on pagaie, on pagaie ! »
Sensibiliser à la santé et au patrimoine
Créé en 2016, le club sportif Canoë kayak Sallertaine propose du sport santé afin de favoriser le bien-être physique et mental de ceux qui le souhaitent. L’association a lancé une école de pagaies à destination des enfants et développe les collaborations avec les écoles, les structures de loisirs, les maisons des jeunes et de culture. Elle est également ouverte aux personnes en situation de handicap et/ou à mobilité réduite. Son attachement au patri- moine et à l’environnement la conduit à initier des collectes de déchets régulièrement, et à sensibiliser les différents acteurs autour de la protection la nature. Contact : 02 51 93 03 40.