Pourquoi la MSA est méconnue des décideurs publics ?

Véronique Hammerer : La MSA pâtit de l’étiquette qui lui colle à la peau d’après laquelle elle ne serait là que pour faire payer les cotisations des agriculteurs. Or ce n’est pas le cas. Heureusement pour nos territoires. Depuis les années 1970 à ­1975, elle mène un travail extraordinaire de lutte contre la désertification rurale, de mutualisation, de coordination, de coopération avec une diversité de partenaires locaux. Elle a inventé le développement social local pour justement endi­guer ce processus de dépeuplement. Sur le plan sanitaire et social, dans leur réflexion et surtout dans leur méthode, les MSA apportent chacune beaucoup sur le terrain.

Alors pourquoi n’est-ce ni visible ni lisible ? Sans doute parce que celles-ci ne savent pas parler de leurs métiers et décrire ce qu’elles font réellement. Cette forme de pudeur se rencontre souvent dans le milieu du travail social. À cette difficulté de parler de soi, s’ajoute un déficit d’évaluation des actions elles-mêmes. C’est ce que je pointe du doigt en premier dans mon rapport flash.

Cette introduction de la mission est disponible sur le site de l’Assemblée nationale

Que faire pour changer la donne ?

Quand on se bat au niveau des instances, comme ce qui s’est passé à l’occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS 2021), au moment de créer la 5e branche autonomie, on se rend compte que la MSA n’est pas perçue comme un partenaire efficient et nécessaire – nous sommes deux députés à faire remonter cela avec Nicolas Turquois. On ne pense pas à la Mutualité sociale agricole parce que c’est une petite caisse, moins importante que la CPAM ou la Carsat alors que sur le terrain, elle est extrêmement efficace en matière de solutions d’accompagnement sur le plan social et sanitaire. Il y a donc un manque de communication et d’évaluation. C’est certain. Au niveau des structures institutionnelles, le regard qu’on a sur ce que les MSA font réellement n’est pas suffisamment approfondi. Certes lorsqu’on les mentionne, tout le monde se montre dithyrambique sur tout ce qu’elles mettent en place. Mais lorsqu’on vote le budget des conventions d’objectifs et de gestion (COG) pour une durée de cinq ans, force est de constater que les MSA sont contraintes de supprimer des postes. Et ces postes sont malheureusement plus retirés au niveau sanitaire et social que dans les autres secteurs. Or là ce n’est pas normal. Notre époque est marquée par une démographie vieillissante très importante impliquant une montée en charge de la question de la dépendance. Le bien vieillir est un enjeu criant, sociétal, vital. La MSA a toute sa place dans ces débats-là : elle doit se positionner comme un acteur incontournable.

« La MSA fait et produit mais elle ne sait pas parler d’elle parce qu’il y a une sorte de pudeur liée aussi à son origine agricole. » 

« On n’a pas compris qu’un des chaînons essentiels dans toutes applications de politiques sanitaires et sociales, c’est la méthode et l’animation des territoires. Et c’est pour ça que je mets la MSA en avant parce qu’ils l’ont compris il y a bien longtemps. Ils ont ce savoir-faire-là. Il faut arrêter de supprimer les postes dans le sanitaire social agricole. Je me bats pour faire comprendre ça. » 

Quel rôle peut jouer la MSA dans la mise en œuvre de la 5e branche, pilotée par la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie ?

La CNSA va s’appuyer sur des partenaires importants comme les régimes de sécurité sociale notamment, la Carsat, la CPAM et la MSA, tous les organismes de retraites, les régimes complémentaires. Au niveau du conseil d’admi­nistration de la CNSA, la MSA ne figure pas dans le collège des représentants de la sécurité sociale. Cette situation n’est pas normale. Elle n’est pas représentée comme un régime de sécurité sociale alors qu’elle en est un. Cela est très signi­ficatif et symptomatique. J’ai demandé, grâce à ma mission, à ce que cela soit rectifié. Et ce sera fait.

Quelle est l’importance de cette modification ? Une reconnaissance ?

Plus que ça : c’est remplir un rôle de décision. Certes, il y a de la reconnaissance mais ce qui prime, c’est que la MSA devienne un acteur incontournable. Ce que je dis là n’est pas de la langue de bois. À un moment donné, la MSA doit pouvoir dire : “Aujourd’hui compte tenu de notre histoire, de ce que nous savons faire, de ce que nous pouvons faire, de ce que nous produisons, en matière d’accompagnement sanitaire et social, nous pouvons affirmer que nous avons des compé­tences et des savoir-faire. C’est tout cela que nous mettons en avant.” Au niveau de la CNSA, siéger au sein du conseil d’administration, dans un collège où l’on participe à la décision des pilotages des grandes politiques en matière de la dépendance et du handicap notamment, c’est l’opportunité pour la MSA d’apporter son expertise dans ces instances et de décider.

Comment se fait-il que ce ne soit pas le cas depuis longtemps déjà ?

Moi-même je ne le savais pas. Je le découvre grâce à ma mission. Tout n’est pas parfait en MSA bien entendu. Je viens de la société civile. Je suis une femme de terrain. Je connais bien les institutions. Ce qu’amène la MSA par rap­port à d’autre, c’est d’abord son guichet unique. C’est-à-dire la possibilité d’aborder des problématiques relatives aux maladies professionnelles ou aux cotisations, par exemple. Plusieurs branches sont représentées : la maladie, la vieil­lesse, les allocations familiales, etc. Tout le monde loue ce fonctionnement et le trouve sympa. Ce n’est pas que c’est “sympa” : c’est nécessaire ! Vous observez qu’aujourd’hui, on met en place des maisons France services pour résoudre en un même lieu les problèmes que nos concitoyens ren­contrent sur plusieurs plans : au niveau des impôts, de la CAF, de Pôle emploi… Cela fait des années que la MSA fait ça.

Autre point important, ce n’est pas parce que vous mettez des millions d’euros dans une politique que les choses vont changer. Sans savoir-faire, c’est-à-dire sans méthodologie sur les territoires, cela ne fonctionnera pas. Les seuls à bien connaître leur environnement local en tant qu’animateurs, à bien connaître tous les partenaires, les enjeux… ce sont les travailleurs sociaux de la MSA parce qu’eux, ils arpentent les territoires depuis très longtemps. Ils ne sont pas derrière un bureau comme le sont la plupart des travail­leurs sociaux. En MSA, ces professionnels sont tous formés à la méthode ou à l’ingénierie de projet. Ils savent comment faire travailler différents acteurs clés. Cette méthodologie du “aller vers” et du développement social local est un chaînon essentiel dans la mise en place des politiques sociales et sanitaires de notre pays.

Des professionnels rodés à l’animation de territoire

Mieux que l’INA, la MSA forme ses travailleurs sociaux au développement social local. C’est sur le terrain qu’ils apprennent à conjuguer à tous les temps la synergie de plusieurs partenaires. « Ce sont de vraies compétences. Être développeur de projet ou animateurs de territoire, c’est un vrai métier. Les MSA produisent des travailleurs sociaux doués de ces compétences-là. Moi j’en fais partie, par exemple. J’ai commencé ma carrière en MSA. C’est là où j’ai découvert un autre travail social. Quand j’ai commencé à faire mes stages en 1992, 1993, on était derrière un bureau ; on attendait que les gens arrivent. Et quand je suis arrivée à la MSA, j’ai découvert un autre métier, la capacité de pouvoir organiser des réunions à l’extérieur ou de marcher avec des aînés ruraux, de prendre un petit bout de pâté et un verre de vin de rouge à 10 h du matin. En même temps, on parle avec le veuf qui vient de perdre sa femme. On parle avec le couple qui vient de perdre un enfant ; on parle avec une personne qui a des problèmes avec sa retraite. On fait du travail social autrement. Et moi, tout ça, je le découvre grâce à la MSA. C’est ce qui fait que j’ai repris mes études à 40 ans et que j’ai obtenu un diplôme sur la démarche participative — très peu développée parce que souvent totalement incomprise — le développement social local et l’ingénierie de projet pour accompagner les collectivités. C’est pour ça qu’à travers cette mission flash, je parle de la méthode. J’insiste sur ça. Et les travailleurs sociaux de la MSA, il y a longtemps qu’ils l’ont compris. » 

Quel est alors le point faible des MSA ?

L’un des points faibles des MSA est en même temps une force : c’est compliqué. Vous avez une politique centrale. Chaque politique est déclinée dans chaque département en fonction d’un conseil d’administration et de sa présidence. Exemple de la programmation des aidants de 2015 ou 2016 qui a permis d’accompagner les personnes qui aident un proche en situation de dépendance, de mettre en place des guides, des espaces… Toute une politique est lancée par la caisse centrale. En fonction du département, elle est décli­née de manière extrêmement diversifiée. Vous allez avoir une approche différente en Alsace, en Gironde ou en Bre­tagne. Chaque caisse s’adapte à un territoire et à une histoire. Telle est la force des MSA. C’est quand il faut évaluer l’impact global de cette politique dans le pays, mesurer ce que cela a produit, qu’il y a un problème. Il n’y a pas d’évaluation globale. Les MSA ne savent pas encore mener cette évaluation. Elles sont en train d’y remédier.

Vers l’accueil familial de demain

Pour Véronique Hammerer, les MSA peuvent évoluer aussi vers la mise en place d’un service d’accueil familial qui serait proposé aux départements dont c’est la compétence. La raison : cette solution est sous-développée en France et le régime agricole, doté de la puissance de son maillage territorial peut lui donner une plus grande ampleur car il est en pointe sur cette question. Un dispositif existe déjà : portant le nom de l’accueil à la ferme, il est expérimenté par la MSA Nord-Pas de Calais. Conçu en partenariat avec le département et les chambres d’agriculture, il permet de maintenir les exploitants en perte d’autonomie dans un environnement proche de leur lieu de vie d’origine. « L’accueil familial, rappelle la députée, est un habitat alternatif domiciliaire dont le coût d’investissement est faible à développer sur les territoires. Je suis très favorable à cette politique parce que l’avenir est là aussi. On a tout un travail à faire pour impulser, promouvoir, accompagner, développer ce métier-là. Il faut d’abord lui assurer un statut juridique correct. La loi va permettre de le faire. Mais ensuite pour pouvoir le développer, les MSA peuvent apporter ce petit plus au département en raison de leur compétence et de leur expertise dans l’animation des territoires. L’idée, c’est que la MSA construise sur le modèle de MSA services, un panier de services autour de l’accueil familial à proposer et à construire avec les départements. »

À lire notre article sur le concept intergénérationnel de la Marpa-Ecole où des primaires et les personnes âgées de 60 ans et plus partager un même quotidien.

La démarche d’évaluation est transversale ?

Oui c’est une démarche que la MSA doit avoir avec l’en­semble des présidents des caisses, les faire travailler sur ces sujets-là en disant comment sur le plan sanitaire et social on peut parler d’une seule voix tout en respectant nos diversi­tés. Et c’est toute la difficulté. Je le conçois. Mais il va falloir vraiment le faire. Il faut que les présidents des caisses ou présidentes comprennent bien que s’ils veulent que dans les départements leurs services ne soient pas déplumés, il va falloir se regrouper et retirer le voile de cette pudeur ou cesser de se dire qu’on a chacun son pré carré. Aujourd’hui la MSA doit vraiment exister et être prise en compte. Il faut qu’elle ait une politique globale de l’évaluation afin de pouvoir dire : “Voilà qui nous sommes, ce que nous savons faire et pourquoi vous ne pouvez pas vous passer de nous.”

Que retenez-vous de votre tour de France des MSA ?

Ce que je retiens, c’est le dynamisme des travailleurs sociaux. Les yeux pétillent encore. Ce sont des personnes engagées, passionnées par leur travail. On ne parle pas beaucoup de ces soldats de l’ombre, de ces petites mains, qu’on ne voit pas parce que chez eux aussi il y a la pudeur des agriculteurs : ils n’aiment pas se montrer. J’ai vraiment envie de mettre en avant ces professionnels, ainsi que les directions autour en charge du management, les secrétaires administratives qui accomplissent un travail de fourmi. Je pense à tous ces salariés qui effectuent un travail extraor­dinaire. Ce n’est pas toujours parfait. Mais l’engagement est là. Le dynamisme est puissant. L’envie est intacte. Quand vous êtes travailleur social et que vous êtes engagé à ce point-là ou que vous montrez une telle envie, vous pouvez être assuré que vos actions atteignent leur objectif. Les tra­vailleurs sociaux de la MSA ont cette envergure. Je pense à eux en premier.

Nous avons des choses très intéressantes, des choses très performantes; là où le bât blesse en MSA, c’est qu’on ne sait pas très bien montrer ce qui marche, ce qui fonctionne. Il y a un vrai problème d’évaluation mais ils sont en train de rectifier le tir.