« Tu te réveilles le matin en te demandant ce qui va encore te tomber sur la tête. » Lumbago, appels de la banque, voisins qui se plaignent, accident de travail, événements climatiques… Les sujets de préoccupation ne manquent pas pour les professionnels du monde agricole. Adèle, Félix et les autres personnages de la pièce Le stress est dans le pré s’y frottent afin de trouver des solutions.

Acteurs et agriculteurs sur les planches

Plus de 90 personnes sont venues les voir et réfléchir avec eux, ce 31 mars, à Beaumetz-lès-Loges, dans le Pas-de-Calais, à l’invitation de la MSA Nord-Pas de Calais. Mis en scène par la compagnie Entrées de jeu, ce débat théâtral retrace en effet, avec humour, le quotidien d’un couple d’agriculteurs confronté à toutes sortes de situations stressantes dans douze saynètes, correspondant à chaque mois de l’année. Et à tout autant d’aléas liés au métier : de la météo aux tâches administratives en passant par la difficulté de partir en vacances, la transmission et la solitude…

Créée en 2011 par la MSA Côtes Normandes, la pièce, écrite à partir de témoignages, a repris sa tournée depuis janvier 2022 avec trois représentations dans le Nord et deux dans le Pas-de-Calais. « Ce qui est un peu inquiétant, c’est que ça ne vieillit pas. Onze ans après, on y est toujours, regrette Sophie Morin, responsable de la cellule de prévention des situations de fragilité de la MSA Nord-Pas de Calais. Mais j’ai été très agréablement surprise à chaque fois des réactions du public. »

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Jean-Michel, agriculteur à la retraite, monte sur les tréteaux dans le rôle du fils d’Adèle et Félix, avec un humour implacable. – Photos : © Marie Molinario/le Bimsa

Après vingt-cinq minutes de spectacle, Isabelle Péry, comédienne et formatrice d’Entrée de jeu, cheffe d’orchestre du soir, interroge la salle : « Comment éviter de se retrouver comme Adèle et Félix ? » La deuxième partie de la soirée peut commencer : les spectateurs réagissent, puis rejouent des scènes de leur choix en proposant leurs idées. C’est Aude, fille d’agriculteurs, qui se lance la première sur le délicat sujet des tracasseries de l’administration. Dans le rôle d’Adèle, elle va remettre Félix et sa phobie administrativo-sexiste sur le droit chemin. Dans la salle, Gilles réagit après sa performance : « Moi je suis tout seul sur l’exploitation, ma femme n’a jamais touché à un papier de sa vie. » Qu’à cela ne tienne ! Gilles est invité à monter sur les planches pour jouer Marco, le meilleur ami de Félix, qui lui donne des conseils pour s’organiser, s’y mettre dès le matin par exemple. « La mécanique attendra un peu », réplique-t-il à son ami qui trouve une nouvelle excuse.

Des sentinelles formées à la détection du mal-être

Si comme Gilles, Aude a su trouver les mots, c’est peut-être parce qu’elle est une sentinelle. Elle fait partie de ce réseau de bénévoles, formés par la MSA, qui participe à la détection des situations de fragilités sur leur territoire. Tout comme Étienne Laude, agriculteur à Sailly-Lez-Cambrai et administrateur à la MSA Nord-Pas de Calais depuis 2010, venu témoigner : « Chacun d’entre vous est déjà une sentinelle, à partir du moment où vous vous intéressez aux autres. Ce qui vous manque simplement, c’est une petite formation pour éviter les dérives, savoir exactement ce que vous devez faire et comment réagir. Une sentinelle, c’est une personne qui va pouvoir repérer une situation et alerter. Il y a des signes : un changement de comportement, des bêtes moins bien soignées, les champs moins entretenus… Ce qui est compliqué, c’est de vouloir aller trop loin. On ne peut pas imposer une aide à quelqu’un. »

« Être formé ne donne pas un super pouvoir »

Dépositaires d’une information parfois grave, ces vigies peuvent orienter la personne en difficulté vers l’équipe de prévention de la MSA, la plateforme téléphonique Agri’écoute ou encore le numéro national 3114. « J’ai personnellement vécu le suicide de l’un de mes meilleurs amis début 2021, continue l’élu MSA. Cet acte a été un gros coup dur, et a laissé un sentiment de culpabilité. À ce moment-là, j’ai appelé la cellule fragilités de la MSA, qui m’a aidé à déculpabiliser. On ne peut pas sauver tout le monde, et on ne peut pas être une bonne sentinelle si on ne se sent pas bien. »

Sophie Morin, de son côté, souligne : « C’est un sujet dont on parle beaucoup en ce moment, et ceux qui ne le connaissent pas peuvent avoir l’image d’une obligation de résultats. Or une sentinelle n’a aucun impératif, ni de moyen, ni de résultat. Certains nous disent : “Je ne préfère pas car si je n’y arrive pas, ça va être trop dur”. Nous appuyons bien sûr le fait qu’il n’y a aucune culpabilité à avoir. Pendant leur formation, la notion de prendre soin de soi est très importante. Celle-ci est donnée par des psychiatres, les Dr Grandgenèvre et Notredame du CHU de Lille, qui ont été mandatés d’ailleurs par le gouvernement pour en créer une au niveau national. Il faut être vigilant sur sa propre santé physique et mentale, car être formé ne donne pas un super pouvoir. On peut être absorbé par des choses lourdes à porter. »

Un réseau qui grandit

Deux fois par an, la caisse organise également des réunions collectives d’accompagnement afin de faire le point. Entre eux, ils échangent sur leurs connaissances, leur vécu, partagent des astuces, des façons de faire. « Ça permet de débriefer et de prendre du recul, ajoute la responsable.Une sentinelle seule n’en n’est pas une. »

À Beaumetz-lès-Loges, Jean-Paul s’est lancé pour rejouer une scène s’attaquant à une question majeure : la transmission. « On a tort de ne pas assez positiver. On a quand même un super métier ; il y a toujours des solutions, il faut donner envie », conclut-il.

Dès la fin du spectacle, huit personnes se montrent tout de suite intéressées par le réseau sentinelles, d’autres prennent le temps d’y réfléchir et contactent la cellule quelques jours plus tard. « C’est une action à tiroirs, précise Sophie Morin. Si nous recrutons de nouvelles personnes, c’est bien. Mais l’idée de base reste une sensibilisation sur la question du mal-être. »

La MSA Nord-Pas de Calais a formé 35 sentinelles sur son territoire, dont son président Dominique Vermeulen, et dispose déjà d’un bon réservoir de candidats. De nombreux organismes professionnels sont notamment en demande de stage collectif pour leurs conseillers agricoles. « Donner un peu de soleil en s’appuyant sur les autres. » C’est sur cette maxime que se termine une soirée tournée vers la solidarité.

cellule de prévention des situations de fragilités MSA Nord Pas de Calais

La cellule de prévention des situations de fragilités

Les cellules de prévention pluridisciplinaires sont déployées dans les MSA suite au plan national de lutte contre le suicide de 2011. En 2020, la MSA Nord-Pas de Calais franchit un grand pas en avant en ouvrant la sienne à toutes les situations de fragilité, devançant la demande du gouvernement dans le cadre du plan mal-être initié en 2021.

Elle cible 3 axes principaux : le suicide, les situations de fragilité (de l’accident au coup dur, en passant par les crises sanitaires, aviaires, climatique et toute épreuve déstabilisante sur le plan familial ou financier) ainsi que l’accès aux droits et aux soins.

« Lorsqu’un cas nous est signalé, on s’en saisit immédiatement, explique Sophie Morin. Une concertation est tenue à un ou deux jours près mobilisant le front office, l’action sociale, la santé-sécurité au travail, le contrôle médical et dentaire si besoin, les inspecteurs, les services contentieux, juridiques, recouvrement, cotisations, santé… tous les professionnels de la MSA qui pourraient être amenés à intervenir sur le dossier afin de le prendre en charge de façon coordonnée et globale. On évite ainsi les doublons ou les oublis. On peut aussi contacter nos partenaires Et cela donne une meilleure lisibilité à la personne ou la famille. »

Contact : cellulefragilites.blf@msa59-62.msa.fr, 03 21 24 72 68.