« Vous avez parcouru 2 kilomètres en 6 minutes. » À 80 ans passés, autant dire que la performance, même à bicyclette, est de taille. Pourtant, ce n’est pas Jeannie Longo que nous sommes venus rencontrer lors de notre visite à la Marpa La Correzana, à Objat. Non, ce sont les habitants ordinaires d’une résidence autonomie. Habituellement, ici, les moyens de locomotion usités sont davantage le déambulateur, les charentaises, la canne ou le fauteuil roulant. C’est d’ailleurs dans cet équipage qu’ils défilent dans la salle commune en ce début d’après-midi de février.

Tout est prêt. Dès leur arrivée, ils peuvent constater que le point ravitaillement n’a pas été oublié. Jus, thé, café, cakes, fruits, gâteaux et eau ont été stratégiquement placés dans la première salle comme une promesse de réconfort. Pourtant, ce n’est pas autour des tables que se rassemblent nos résidents. Chacun s’empresse, à la mesure de sa mobilité, d’occuper les sièges disposés au plus près de l’étrange engin. Le vélo cognitif.

La tête …

« Quand on parlait vélo, ça les freinait au début. Puis, quand ils ont vu la machine, ils étaient enthousiastes », confie Myriam Szymanski, la responsable de la Marpa. D’autant plus que le vélo, à Objat, on connaît. Entre 1931 et 1969, l’usine de cycles des frères Simon, Royal-Fabric, tournait à plein. De là à dire qu’avec le vélo cognitif, la boucle est bouclée, il n’y a qu’un coup de pédalier que les résidents n’hésitent pas à donner depuis maintenant plus d’un an. 

L’expérimentation, lancée par le conseil départemental de la Corrèze, a débuté en 2017.

L’expérimentation, lancée par le conseil départemental, a débuté en 2017. Trois de ces vélos cognitifs, créés en 2013 par la société Rev’Lim, basée à Limoges, ont tout d’abord été déployés dans des établissements répartis sur les trois gros bassins de la Corrèze. 

Preuve du succès : en 2019, trois nouveaux financements ont été débloqués afin d’équiper des établissements, dont la Marpa d’Objat. Et à 10 500 euros l’unité, ce n’est pas un petit investissement puisque désormais ce sont huit vélos qu’a financé le conseil départemental.

« Ça fait travailler la tête et les jambes ! »

L’enthousiasme des résidents suffit à comprendre que désormais, pour eux, pédaler, c’est s’amuser. Ce sont eux, les grands bénéficiaires du projet. Difficile pour l’animatrice de la Marpa, formée par Rev’Lim, de ne pas faire de déçu lorsqu’elle désigne celui ou celle qui va prendre place sur la machine.

Il amuse la galerie, le Jeannot. Au point que ses fans ne voient pas le temps filer.

Ce coup-ci, c’est Gérald. À peine aidé, il rejoint, l’œil déterminé, le vélo cognitif. Une fois installé sur le fauteuil adapté, il laisse l’animatrice lui fixer les pieds sur le pédalier, le mettre à bonne distance, programmer l’écran… et c’est parti ! Gérald en oublierait presque d’associer les deux parties des mots qui apparaissent sur la tablette tactile géante.

En effet, l’appareil offre toute une série d’activités cognitives à réaliser sur l’écran pendant qu’on pédale. Reconstitution de blason (forme, couleur, position), association de syllabes formant un mot lié à une thématique (outils, sports, ustensiles de cuisine…).

« Gérald, il parle pas, il pédale ! et vite ! », lance une résidente. En six minutes, il a parcouru 2,5 kilomètres, pas prononcé une seule parole et reconstitué treize mots.

C’est Jeannot, le boute-en-train, qui s’installe à présent : « Faut pédaler ? Ce n’est pas moderne ! Maintenant c’est la mobylette ! » Il amuse la galerie, le Jeannot. Au point que ses fans ne voient pas le temps filer.

– « Il est quatre heures et quart ?
 Le temps passe, hein ! » 

… et les jambes

Un tel investissement se doit-il d’être rentable ? Il est évident que l’appareil est un outil attractif permettant à la Marpa d’Objat d’innover et d’avoir un produit d’appel pour faire venir les personnes extérieures. D’autant plus que le vélo cognitif reçu début 2020 restera sur place puisqu’il appartient désormais à la Marpa. Ce qui lui permet d’ores et déjà de proposer une séance un mardi tous les quinze jours au tarif de quatre euros la demi-journée avec une collation pour les visiteurs extérieurs. 

Myriam Szymanski souhaiterait « développer l’accueil à la journée. Il est important de dédramatiser l’image des Marpa. La logique d’habitat inclusif n’est pas évidente et pourtant, ça marche. L’exemple du vélo cognitif est à mettre en lumière. » Nous sommes dans le domaine de l’humain et non du financier pur et dur, le retour sur investissement ne se fait pas principalement en monnaie sonnante et trébuchante. 

Du catch au vélo cognitif 

C’est maintenant au tour de Roland de monter sur le ring, pardon le vélo ! Le ring, Roland l’a pourtant bien souvent foulé. Dans les années 1960-70, « quand [son] nom était à l’affiche de l’Elysée Montmartre, de Wimbledon ou du Royal Albert Hall, la salle était pleine en quelques heures », rappelait, il y a quelques années au Parisien, son ancien adversaire mais néanmoins ami Gilbert Wehrle. 

C’est qu’avant de devenir un adepte du vélo cognitif, Roland a été champion du monde de lutte, en 1964, et est devenu ensuite une star du catch. 

Avant de devenir un adepte du vélo cognitif, Roland a été champion du monde de lutte, en 1964, et est devenu ensuite une star du catch.

Autant dire que la performance de notre dernier client est attendue ! Une clémentine à la main, Roland s’avance vers l’objet du défi. L’animatrice le stoppe dans son élan.  

– « Je vais garder la clémentine le temps de l’exercice, Roland. » 
– « Vous me la rendrez après, hein ? »
– « Oh… si vous faites bien l’exercice, oui ! »

Lancée avec un sourire complice, cette dernière phrase pique l’esprit de compétition de notre catcheur, qui s’installe sur la machine. La rencontre du jour l’oppose à des coccinelles. Pour remporter la partie, il lui en faut capturer vingt le plus rapidement possible. Sans oublier de pédaler. Pour notre champion du monde, ce ne sera presque qu’une formalité. Avant de rejoindre la table des festivités, il n’oublie pas de réclamer son trophée, sa clémentine :
« Je l’ai méritée, non ? »

Photos : © Frédéric Fromentin/Le Bimsa