Il fait 35 degrés près de la pyramide en bottes de paille. Un homme torse nu porte un harnais de cuir, sous un soleil de plomb. Non loin de là, une petite famille avec poussette profite du stand des glaces tandis qu’un groupe de drag-queens visite une exposition photo.

Nous sommes à Chenevelles, entre Châtellerault et La Roche-Posay, au nord du département de la Vienne. Ce 26 juillet, plusieurs milliers de personnes y arrivent des quatre coins de France pour les Fiertés rurales.

Première pride rurale

Cette pride est la première à avoir été créée dans une commune de moins de 500 habitants. Elle est née en 2021 d’un pari, lors d’un apéro entre le maire de la commune Cyril Cibert et Étienne Deshoulières, ancien habitant de Chenevelles, désormais président de l’association Fiertés rurales.

Ce dernier définit le double objectif de cet événement : d’abord, affirmer qu’on peut habiter en territoire rural tout en affirmant son identité gay, lesbienne ou trans, et faire tomber les stéréotypes en montrant que la population des campagnes est accueillante envers les personnes LGBT.

Des participants aux Fiertés rurales posent devant les bottes de pailles
Des participants aux Fiertés rurales posent devant les bottes de pailles. – © Nicolas François/le Bimsa.

Le matin, l’ambiance est un brin people. Matthieu Ceschin, ancien candidat de l’émission L’Amour est dans le pré, assiste avec émotion au baptême républicain de son fils Ezio, deux mois. Une manière de rendre visible l’homoparentalité et les naissances par gestation pour autrui que certains défendent et cherchent à faire reconnaître légalement. Cette matinée très politique voit défiler sur l’estrade installée face à l’Hôtel de ville des élus de tous bords, écharpe tricolore en bandoulière.

Sandra, la quarantaine, a fait la route depuis Limoges, « heureuse de venir casser les préjugés ». Dominique, 69 ans, du village voisin, soutient la cause : « Récemment, mon fils m’a avoué qu’il savait depuis longtemps qu’il était gay. Il n’avait jamais osé me le dire bien que je sois très ouvert à ce sujet. Alors vous imaginez la difficulté pour ceux dont les parents sont plus fermés… »

En matinée, une conférences donne la paroles aux militants et élus sur les questions liées au droits LGBT photo : Nicolas François
En matinée, une conférence donne la parole aux militants et élus sur les questions liées aux droits LGBT. –
© Nicolas François/lebimsa.

Une vraie fête populaire

Après les discours, la fête. Elle se déroule sur le terrain à l’entrée de la commune : food-trucks et concerts, stand de prévention, expositions, boutiques…

Ici, on affirme haut et fort son identité. Les panneaux pour le défilé sont prêts : « Viens comme tu aimes », « Plus de visibilité pour plus d’humanité » ou encore cette citation d’Oscar Wilde : « Soyez-vous même, les autres sont déjà pris. » Les tracteurs des agriculteurs locaux, dont certains portent les drapeaux d’organisations syndicales (Jeunes agriculteurs, CGT et CFDT), embarquent les participants sur leur remorque. Les enceintes crachent la musique et le cortège de 4 000 personnes fait le tour du village.

En vedette sur un des chars, le maire Cyril Cibert se réjouit : « On est entre une marche des fiertés et un comice agricole. C’est une vraie fête populaire. Je pense même que la majorité des gens ne sont pas LGBT. C’est ce qu’on souhaitait : montrer qu’on est capable ensemble de vivre dans la tolérance. »

Un tracteur en tête du cortège qui fait le tour du village photo : François Silvestre
Un tracteur en tête du cortège qui fait le tour du village. – © François Silvestre

Des campagnes gay-friendly

Au-delà de la convivialité, l’événement permet d’aborder certains sujets. « Ça libère la parole, assure l’édile. Depuis quatre ans, cela a aidé des familles, des adolescents. J’ai même personnellement accompagné un des jeunes du village dans sa transition. »

Longtemps, en milieu rural, le salut pour les personnes LGBT passait par un exil dans les grandes villes, pour trouver davantage d’anonymat et une communauté déjà active. Mais la vie urbaine ne convient pas à tout le monde et le retour dans le village natal redevient alors une option. Aurélie, 41 ans, témoigne de son choix de quitter la région parisienne pour une petite commune proche de Châtellerault, avec sa compagne et ses deux filles. Il y a quatre ans, l’accueil bienveillant des habitants l’a vite rassurée. « Nous n’avons jamais connu de discrimination, assure-t-elle. Nous sommes considérées comme une famille parmi tant d’autres. »

Loin des clichés, le monde rural se veut accueillant. Le député et agriculteur Éric Martineau a vu les campagnes évoluer avec la société. « À une époque, quand je m’étais présenté pour être président de mon groupement de producteurs, je me souviens avoir eu des remarques homophobes. Mais les mentalités ont beaucoup changé. Hormis peut-être pendant l’adolescence, je ne peux pas dire que j’ai souffert de ma différence », explique l’élu qui est également coprésident du groupe d’études « discriminations et LGBT-phobies » à l’Assemblée nationale.

Le maire de Chenevelles, Cyril CIbert, lance les festivités du soir DR
Le maire de Chenevelles, Cyril Cibert, lance les festivités du soir.

L’hostilité anti-LGBT n’est certes pas absente dans le monde rural. « Mais pas plus que dans le reste de la société », répondent la plupart des participants interrogés. Quant aux actes violents, ils semblent plus présents dans les métropoles que dans les villages. Selon les derniers chiffres du service statistique ministériel de la sécurité intérieure, parus en mai 2024, le nombre d’infractions anti-LGBT pour 100 000 habitants est deux fois moins important dans le monde rural que dans les communes de plus de 200 000 habitants.

Cependant, d’après ces mêmes données, le nombre total de crimes et de délits anti-LGBT a augmenté de 13 % en dix ans. Une progression préoccupante et contre laquelle, à Chenevelles, on a décidé de lutter en faisant la fête. Le maire Cyril Cibert assume : « Cette parenthèse un peu bisounours, on en a besoin. » Il sera temps de songer aux mauvaises nouvelles plus tard, peut-être demain matin, quand l’homme au harnais de cuir devra soigner ses coups de soleil.

« Le rural est devenu un espace de protection pour les personnes LGBT »

clement reverse sociologue LGBT rural

Clément Reversé, sociologue au centre Émile Durkheim de l’université de Bordeaux, travaille sur l’ouvrage LGBT en milieu rural à paraître en 2026 aux éditions de l’Aube.

Qu’apportent des événements comme les Fiertés rurales ?
Lorsqu’on s’affiche en tant que personne queer par exemple, c’est un acte social et politique. Les marches des fiertés rurales et de phénomènes de visibilité servent à dire aux gens : « Vous pouvez exister comme vous êtes. » Cela permet de montrer que les campagnes sont des territoires LGBT comme les autres.

Quels sont les défis auxquels peuvent être confrontées les personnes LGBT à la campagne ?
D’abord, il y a l’interconnaissance, le fait que tout le monde se connaisse. Cela rend assez forts les enjeux de divulgation ou non de son homosexualité. On peut aussi évoquer le manque de services de soins, notamment pour les personnes trans qui peuvent avoir besoin d’un parcours médical dans le cadre de leur transition. Il existe aussi de nombreuses violences LGBTphobes. Cependant, on note dans les discours une acceptation plus large.

Des événements tels que « Les queers sont dans le pré » [journée festive et militante dans le Lot], ou encore des associations féministes d’agricultrices illustrent cette évolution. Cela montre que ça va dans le bon sens.

Le phénomène d’exode rural est-il toujours important chez les populations LGBT ?
Aujourd’hui, on est loin de l’idée selon laquelle quand on est, par exemple, un homme homosexuel, il faut partir en ville pour trouver une communauté. Les jeunes ruraux ont tendance à vouloir rester. Ils estiment qu’ils n’ont pas à partir ou à se cacher et que c’est aux mentalités de changer.

Par ailleurs, il y a une crainte de la ville, vue comme dangereuse et violente. Il est intéressant de remarquer que le rural est devenu un espace de protection pour les personnes LGBT, alors que bien souvent on imagine l‘inverse.