Pas de masque de fer, ni de sabre laser. Pourtant, c’est bien avec ce genre de références en tête (davantage la première que la seconde, d’ailleurs) que les résidents de la Marpa l’Aube d’Or de Montigny-sur-Aube entrent progressivement. Dans cette salle lumineuse, où habituellement l’on déjeune, attend, sourire aux lèvres, Nicolas Regnard, le maître d’armes et de cérémonie qui a déjà tout installé pour la séance.
À chacune des six chaises vides qui accueillent les participants fait face l’adversaire du jour : le chevalier de La Chaise qui a revêtu son masque d’escrime et son surcot d’argent écartelé au premier d’un trèfle et d’une basket d’azur, au deuxième d’un cœur et d’un escrimeur de gueule, au troisième d’un carreau et de deux épées de sable, au quatrième d’un pique et d’un loup de sinople.
Sa sinistre présence ne semble pourtant pas émouvoir Monique qui, sitôt assise, se lance dans sa première joute. Elle n’a pas froid aux yeux car celui qu’elle vient de prendre à parti n’est autre que le maître d’armes lui-même. Après quelques passes d’armes verbales, Monique coupe court à l’échange en lui portant une estocade de la pointe de son sabre en plastique. Le coup a porté mais c’est surtout le regard et le sourire espiègle qu’adresse Lucienne à Nicolas qui touche.
Cette petite mise en bouche avant la mise en touche semble d’ailleurs une mise en train à laquelle aucun des participants, désormais tous réunis, ne semblent vouloir déroger. L’espièglerie n’a pas d’âge. Et nos six mousquetaires (Monique, Bernard, Michel, Janine, Monique et Mireille), chacun à sa façon, nous le démontrent. Mais quand Nicolas déclare d’un air faussement autoritaire le début des hostilités, tout le monde se met au garde à vous pour le salut.
Le jeu, c’est la santé, s’escrimer, c’est la conserver
La séance a débuté depuis quelques minutes et, sans s’en rendre compte, nos seniors ont déjà réalisé plusieurs exercices leur permettant de préserver une certaine autonomie.
En quelques gestes seulement, le salut, qui ponctue chaque début et chaque fin de séance, leur fait travailler la mémoire (se souvenir des trois temps le constituant), la motricité et les articulations (se lever, se rassoir, lever le bras, le baisser). Bien sûr, les gestes ne sont pas toujours très académiques, et se verraient gratifiés de coups de bâton bien sentis dans certaines salles d’armes classiques, mais avec Nicolas c’est l’escrime qui s’adapte aux pratiquants et non l’inverse.
Les mots, comme les gestes, sont aussi adaptés au public concerné.
Quand il leurs demandent de faire l’essuie-glace, six sabres se redressent alors et effectuent le mouvement de va et vient qu’attend le maître d’armes. Les tenants d’une formation dans les règles de l’art en escrime s’étoufferont peut-être en lisant ces lignes, mais force est de constater que le résultat est là. Car le but n’est pas qu’à l’issue de la séance les seniors connaissent le lexique de l’escrime par cœur, mais qu’ils réalisent et entretiennent un mouvement essentiel à leur vie quotidienne : « Quand je leur fait faire l’essuie-glace, non seulement ils apprennent une parade mais surtout ils réalisent exactement le même geste qui leur permet de se coiffer le matin », explique Nicolas Regnard.
Viser des points spécifiques de l’adversaire pour exercer sa précision, toucher des symboles dans un ordre défini pour entretenir la mémoire et travailler l’oculomotricité (la mobilité des yeux à l’intérieur des orbites) ou reproduire le rythme lancé par Nicolas sur son tambourin improvisé pour stimuler l’attention, les exercices d’escrime ont deux avantages : ils permettent de travailler des gestes articulaires du quotidien et de le faire de manière ludique.
Si tu ne viens pas à Nicolas, Nicolas viendra à toi
De l’escrime adaptée. C’est ainsi que Nicolas Regnard présente l’activité dont il est l’initiateur. Cet assistant social de formation, responsable de MSA Services Bourgogne-Franche Comté depuis 2010 et maître d’armes au club d’escrime de Quetigny, près de Dijon, a réussi à faire de sa passion un vecteur de communication au service de son activité professionnelle. Bien qu’il enseigne habituellement l’escrime dans un cadre compétitif, Nicolas s’est intéressé, au fil des années, aux pratiques alternatives qui pouvaient découler de l’escrime.
Ainsi est née l’escrime adaptée et le module « Escrime et vous » des ateliers de prévention proposés par MSA Services Bourgogne-Franche Comté et désormais expérimenté dans les différentes Marpa de Côte d’Or à l’initiative de la MSA Bourgogne.
Ce que l’on cherche ce n’est pas la maîtrise parfaite du geste technique d’escrime, mais la réalisation de mouvements essentiels à la conservation d’une certaine autonomie quotidienne.
Pour l’année 2019, ce module est déjà programmé dans cinq établissements de la région et Nicolas s’est entouré d’éducateurs en activité physique adaptée (APA) qu’il a formés à l’escrime. Quand on lui demande ce qui, d’après lui, crée cet engouement autour de ces ateliers (ce qui n’était pas si évident au départ de l’aventure), il donne sa réponse comme il dégainerait son épée : « Chez les jeunes comme chez les plus vieux, l’escrime c’est les films de cape et d’épée, les mousquetaires, les chevaliers, Fanfan la Tulipe… »
Et, en effet, que l’on ait 6 ou 97 ans, que l’on soit dans l’enfance ou que l’on n’en n’ait plus que des réminiscences, le plaisir de manier l’épée est de même nature, c’est une joie enfantine.
Une joie qui éclaire les yeux de nos six mousquetaires le temps d’un instant lorsque Nicolas, stoppant son chronomètre, annonce : « 26 secondes ! C’est le nouveau record du monde de passage de ballon à coup de sabre ! ».
Une joie qui se mue en déception feinte quand le maître d’armes ajoute « mais il ne sera pas homologué, Jeannette (97 ans, la doyenne du groupe) n’est pas là ! ».