Quand, lors d’une interview, un journaliste lui demande si ça l’effraie de s’attaquer à Google, la commissaire européenne à la concurrence, qui vient d’infliger deux milliards d’euros d’amende au géant de l’Internet californien, répond : « J’ai trois ados à la maison, alors rien ne me fait peur… »

Comme Margrethe Vestager et des millions d’autres mamans d’adolescents, Anne-Catherine, Sonia et Marie n’ont peur de rien ou presque… Ces trois femmes actives, qui habitent l’est du département de la Marne, savent bien que partager le même toit qu’un ado est une source de bonheur incomparable. Elles savent aussi trop bien que c’est un défi au quotidien. 

Techniques de communication

Elles participent depuis le début de l’année aux ateliers « parents d’ados » organisés par la MSA Marne Ardennes Meuse, associée à plusieurs partenaires, comme l’Éducation nationale, la CAF et la mairie de Sainte-Ménehould, dans le cadre du dispositif « mieux vivre ensemble » (lire ci-dessous). C’est une première en Argonne. Les ateliers proposent des techniques de communication pratiques, accessibles et concrètes, pour renforcer un dialogue harmonieux entre générations.

Le but : donner des clefs aux parents pour leur éviter de réagir avec leurs émotions face à des ados qui ont du mal à gérer les leurs. Entre les participantes et les animatrices, bienveillance et non-jugement sont la règle. « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans. » Une définition grinçante mais lucide des ados de 2018 ? Non. Ce regard sans concession sur la jeunesse n’est pas signé par un parent énervé par le comportement de son rejeton qui vient lui réclamer un nouveau smartphone ! Il est attribué à Socrate, le philosophe qui a vécu 400 ans avant notre ère. 

2 400 années et des poussières plus tard, c’est dans le centre de documentation et d’information du collège Jean-Baptiste-Drouet de Sainte-Ménehould, que sont réunies Anne-Catherine, Sonia et Marie, Aline et Martine n’ayant pas pu participer à cette séance.

Celle du 12 mars a pour thème : « La communication n’est pas une lutte de pouvoir ». Elle est animée par Aurore Pierlot, assistante sociale au conseil départemental de la Marne, et Michèle Liegey, la conseillère principale d’éducation (CPE) du collège. « On se présente juste comme des parents qui échangent avec d’autres parents », explique cette dernière, elle-même mère de deux enfants de 22 et 19 ans. Deux mamans qui ont reçu une formation spécifique pour l’occasion. Autour de la table, elles l’admettent toutes : communiquer avec un ado n’est pas toujours une mince affaire.

Les deux animatrices sont heureusement venues avec quelques outils en poche. Le filtre à café est l’un d’eux. Il symbolise le filtre que doivent mettre les parents sur les paroles des ados pour mieux les comprendre, une sorte de décodeur réglé en mode bienveillance.

L’atelier est animé par Aurore Pierlot, assistante sociale au conseil départemental de la Marne, et Michèle Liegey, conseillère principale d’éducation du collège.

Un lieu d’échange

Construites à partir des travaux du pédopsychiatre Haïm Ginott et des avancées des neurosciences, ces réunions offrent un lieu d’échange et de partage d’expériences à des parents parfois un peu déroutés par leurs progénitures. « Le cerveau atteint sa maturité entre 25 et 27 ans. Alors, d’ici là, l’ado se montre maladroit dans de nombreux domaines, notamment dans sa façon de communiquer qui peut paraître agressive », prévient Aurore Pierlot.

C’est avec la même ambition de comprendre davantage leurs réactions que 17 parents argonnais se sont déjà inscrits. Par le biais d’exercices et de jeux, ils découvrent des techniques de communication pour mettre en place un cadre bienveillant à la maison. « Attention ! Nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours, recadre tout de suite Nadine Delouette, travailleuse sociale à la MSA Marne Ardennes Meuse, qui doit animer prochainement un atelier. Pas question d’enjoliver la situation. Bienveillance ne veut pas dire laxisme. »

Être parent, le plus vieux métier du monde, s’apprend sur le tas ou simplement par mimétisme avec ses propres parents. C’est parfois un peu court… « On se dit qu’on ne fera pas comme nos parents mais, au final, on a tendance à répéter beaucoup de choses, erreurs comprises », lance Sonia. Avec trois enfants de 27, 24 et 14 ans, elle a eu l’occasion de se faire la main.

« Je pense que c’est plus compliqué d’être ado aujourd’hui. Il faut être au top tout le temps, à l’école, mais aussi sur les réseaux sociaux. Pas de Facebook, de Snapchat ou de Twitter à notre époque », se souvient Marie, maman de quatre enfants de 21, 19, 10 et 8 ans. Évoquer leurs ados fait replonger ces trois mères de famille dans leurs propres années de collège.
« Ce n’était pas des années faciles. Je suis passée de petite fille à jeune femme presque du jour au lendemain », raconte l’une d’elles.

Être bienveillant

« Tabagisme, drogue, mauvaises fréquentations, sexualité… tous les sujets sont abordés, souvent par le biais de jeux de rôles », poursuit Nadine Delouette. Toute ressemblance avec des personnes adolescentes existantes ou ayant existé n’est pas purement fortuite.

Première situation : vous trouvez une plaquette de pilule dans la chambre de votre fille.
« Ma réaction spontanée serait de me mettre en colère », lance Anne-Catherine, même si la question reste purement théorique, puisqu’elle est maman de deux garçons. Le but des ateliers est d’apprendre à éviter de réagir avec les lunettes rouges, celles des émotions. « On peut aussi s’excuser auprès de son enfant, si l’on s’est trompé, poursuit Nadine Delouette. La présomption d’innocence, ça marche aussi pour les ados ! À l’inverse, il faut être clair sur les règles. Sur ce qui est négociable et sur qui ne l’est pas. »

Deuxième situation : « Ces derniers temps, votre ado ne se lave plus. Quelle est votre réaction ? », interroge la CPE du collège. « Mon grand est passé par là », se souvient Marie. « Moi, c’est plutôt le contraire. Il a plutôt tendance à vider tout le cumulus », renchérit Sonia. Autre cas de figure : votre frigo est systématiquement vidé dès que vous faites les courses. « Chez moi, le plus souvent, ce n’est pas mon fils mais mon mari le coupable », annonce une maman en provoquant un éclat de rire général.

Tiens, justement, les papas… grands absents des ateliers. À tel point que les organisateurs pensent mettre en place des sessions uniquement dédiées aux pères. La raison de leur frilosité ? La peur de se retrouver dans des groupes constitués uniquement de femmes. Tout le monde ne peut pas être aussi investi que Marie, Anne-Catherine ou Sonia.

Et comme la bienveillance a ce pouvoir mystérieux de rapprocher les gens, une dynamique se met en place sur tout le territoire argonnais avec des ateliers parents d’enfants de zéro à six ans et de six à douze ans dans les crèches et dans les écoles. L’Argonne, bientôt capitale de la bienveillance ?

Mieux vivre ensemble

Ce projet est né du constat de l’augmentation de situations difficiles au collège de Sainte-Ménehould au cours de l’année scolaire 2010-2011. « Des cas qui sont allés jusqu’à la déscolarisation d’élèves, dont le fils d’une famille d’exploitants que je suivais à l’époque », se souvient Nadine Delouette, travailleuse sociale à la MSA Marne Ardennes Meuse. Parallèlement, des professeurs et des parents sont les témoins d’un environnement qui se dégrade : classes bruyantes, incivilités à la cantine, bagarres dans le bus et des cas de harcèlement.

Certains adultes et l’équipe de direction de l’établissement observent également des conflits liés à l’utilisation des réseaux sociaux. L’idée de se réunir pour réfléchir à ces questions s’est imposée à tous. La finalité du dispositif est de proposer des actions pour soutenir à la fois les enfants et les jeunes dans leur développement, mais aussi leurs parents et les professionnels qui ont un rôle éducatif ou travaillent avec eux. La diversité des actions – semaine du respect, sensibilisation aux dangers d’Internet et des nouvelles technologies, débats théâtraux, comédie musicale, médiation entre élèves et ateliers de parents, etc. – fait du bassin de vie de Sainte-Ménehould un territoire où, malgré des difficultés réelles, il fait bon vivre.

Photos : © Alexandre Roger/le Bimsa.