Avec l’autorisation de l’expérimentation d’équipements d’abattage mobile en 2019, les éleveurs tentent de renouer avec une partie du métier perdue depuis les années 1950 et l’obligation de passer par les abattoirs. Certains groupements d’agriculteurs reprennent même des petits abattoirs de proximité, contraints de fermer faute de rentabilité. Une double activité qui pose des questions sur l’organisation du travail et l’impact sur la santé mentale.

Impact psychologique

Sociologues et cliniciens du travail, Jocelyne Porcher, Sébastien Mouret (Inrae), Antoine Duarte et Patricio Nusshold (IPDT, université de Toulouse Jean-Jaurès) ont enquêté en duo entre 2021 et 2022 auprès de deux abattoirs paysans coopératifs du sud de la France. Une dizaine d’éleveurs volontaires impliqués dans l’activité de leur abattoir ont participé.

Jocelyne Porcher zootechnicienne sociologue

« Ne pas occulter la réalité,
pour ne pas tomber dans la routine »

« Premier constat : ils ont réussi à tenir l’articulation entre leur métier et le travail d’abattoir. Nous avons regardé comment, explique Jocelyne Porcher. Ils ont notamment adopté une position réflexive, c’est-à-dire qu’ils font attention à se rappeler de ce qu’ils sont en train de faire. Il s’agit de ne pas occulter la réalité, car le risque est d’être dans la routine, d’accélérer, ne plus se rappeler que ce sont des animaux… et finalement, petit à petit, de privilégier l’intérêt économique plutôt que la valeur de respect envers les animaux et envers soi-même. Pour cela, ils se sont fixé une limite : ils ne font qu’une seule matinée par semaine. Ils disposent également d’un collectif très soudé. »

Manque de formation

Exercer ce travail, pénible par nature et qui n’est pas leur métier de base, est pour eux indispensable ; l’enjeu économique est important. Cela a l’avantage de leur permettre de maîtriser le circuit de commercialisation et de vendre eux-mêmes leurs produits dans des magasins de producteurs. « Ce travail de A à Z est très satisfaisant pour eux », confirme la directrice de recherche. Cependant, les éleveurs attendent du soutien en termes de formation. « Cela nous a surpris de voir qu’ils apprenaient certains gestes par leurs collègues éleveurs. Il serait intéressant de mettre en place des formations avec des vrais professionnels de l’abattage, notamment pour le travail de boucherie. »

Concernant leur santé psychologique, l’élevage joue un rôle très important : « Quand ils quittent cette matinée de travail difficile, ils retrouvent leur élevage, leurs animaux, la vie. Dans cette forme d’élevage-abattage, je pense qu’il y a un travail de soutien, de prévention à faire pour garder ce rapport à soi et au travail vivant et ainsi éviter de passer de l’autre côté. Ça aide à réfléchir aussi aux conditions de travail des salariés en abattoir. Comment faire pour qu’eux aussi retrouvent la vie après leur journée de travail et préservent leur santé mentale ? Au-delà, je pense qu’il faudrait complètement réinventer les structures et l’espace de travail des abattoirs, en relation avec le travail, l’environnement et l’animal. »