Après la diffusion du film réalisé localement avec des agriculteurs ayant une expérience réussie ou non en Gaec, le public n’hésite pas à prendre la parole pour témoigner de son expérience.

« Garder mon Gaec en bonne santé », une belle ambition mais aussi un défi pour tous les agriculteurs ou futurs paysans tentés par l’aventure de l’exploitation en commun. C’était le thème d’une journée d’information et d’échanges, organisée récemment à Houtaud, dans le Doubs, par la MSA de Franche-Comté et les Jeunes agriculteurs. Alors, un long fleuve tranquille la vie en Gaec ?

« Quand on rencontre quelqu’un au bal le samedi soir, court-on se marier le dimanche matin ?, questionne Fabienne Viprey, de Cerfrance, un cabinet de conseil en expertise comptable, spécialiste de ce genre de montage juridique. Non, il faut prendre le temps d’apprendre à se connaître. Pourtant, certains jeunes se mettent en Gaec [groupement agricole d’exploitation en commun] dans l’urgence, lorsqu’une opportunité se présente ou simplement parce que des quotas se libèrent. »

En plus de mettre en garde contre les coups de foudre à la sauce Gaec, la journée d’information et d’échanges a été ponctuée par l’intervention de François-Régis Lenoir, agriculteur et psychologue, spécialiste des risques psychosociaux dans le monde paysan (lire ci-contre). Et aussi par la diffusion d’un film aux témoignages forts, signé Jean-Pierre Gurtner, enseignant au lycée Lasalle de Levier, dans le Doubs, et délégué MSA. Le réalisateur du documentaire Garder mon Gaec en bonne santé a rappelé à tous qu’il fallait « remettre l’humain au centre du projet » et a permis de libérer la parole d’une assistance composée de futurs agriculteurs et de paysans en activité.

« On a fini par en venir aux mains », témoigne Cyril¹, 23 ans. Le récit du divorce de son Gaec, qui lui pourrit la vie depuis trois ans, a particulièrement ému l’assemblée. « C’est parti de rien du tout. Mon associé n’a pas fait le niveau d’huile d’un engin agricole et n’a pas accepté que je le lui dise. » Pour lui qui tente aujourd’hui de tourner la page, la rupture a été douloureuse et les conséquences juridiques et psychologiques nombreuses. Trois ans plus tard, il est retourné vivre chez ses parents et a le projet de se réinstaller, mais pas en Gaec pour l’instant.

« Aujourd’hui, on construit un Gaec aussi rapidement qu’on le défait, poursuit Fabienne Viprey. On dirait un Pacs. Sauf que ce n’est pas un Pacs, c’est un mariage appelé à durer dans le temps. Le truc, justement, c’est de prendre son temps. »  L’union est régie par le droit et formalisée par les articles L.323-1 et suivants du Code rural.

Ainsi, le Gaec est une forme de société civile de personnes. Il a été conçu à l’origine pour permettre l’exercice en commun de l’agriculture « dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations à caractère familial ». Le principe de cette société est que les associés se réunissent pour travailler et vendre la production commune. Longtemps plébiscité par les jeunes qui souhaitent s’installer, il concerne actuellement un quart des formes sociétaires agricoles. Une forme d’association qui, après avoir progressé entre 1990 et 2000, a diminué ces dernières années pour retrouver le niveau d’il y a vingt ans (source Insee).

Tifany, Alexandra et Camille, trois étudiantes en terminale conduite et gestion d’exploitation agricole au lycée Lasalle de Levier, dans le Doubs, plébiscitent la forme d’exploitation en Gaec. – Photos : © Alexandre Roger/le Bimsa.

Pour Tifany, scolarisée en terminale conduite et gestion d’exploitation agricole (CGEA), il n’y a pas de doute, ce sera en Gaec. « Nous, les filles, on est plus vaches que tracteur », prévient la jeune femme. Comprenez moins bonne en mécanique, ce qui reste à prouver. « Alors, pour nous, c’est presque se mettre en Gaec ou rien. »

« On n’est pas dans le monde des Bisounours »

Rodolphe, 17 ans, est plus sûr de lui. Également en terminale CGEA, il ne conçoit l’installation qu’en famille. « Je ne me verrais pas prendre toutes les décisions en commun. Je me vois plus en individuel. » Alexandra n’est pas d’accord : « En individuel, tu te refermes sur toi-même ».  Louis a déjà pris sa décision : « J’aimerais m’installer en Gaec avec mon frère dans un cadre familial car je m’entends bien avec avec lui. »

Après la diffusion du film réalisé localement avec des agriculteurs ayant une expérience réussie ou non en Gaec, le public n’hésite pas à prendre la parole pour témoigner de son expérience : « Mon Gaec a explosé après vingt ans. Mon frère est tombé malade, en dépression suivie d’une tentative de suicide. Et les ennuis se sont accumulés. Pourtant, on le voit quand ça commence à déconner. Mais il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. »

Son voisin se veut plus rassurant : « J’avais un a priori, une crainte, celle de m’installer en Gaec avec ma femme. J’avais peur pour mon couple. Aujourd’hui, ça fait six ans qu’on est associés et ça marche. »

« On n’est pas dans le monde des Bisounours non plus. Une bonne engueulade de temps en temps ça ne fait pas de mal. » Un conseil prononcé par un membre de l’assistance et qui ne s’applique pas qu’au Gaec.

1. Le prénom a été changé.

Psy et paysan

François-Régis Lenoir, docteur en psychologie, référence en matière de risques psychosociaux et dirigeant de la société Puzzle Concept, un cabinet de formation et de prévention de ce type de risques, est aussi un homme attaché à son terroir. Ce chef d’entreprise est également paysan à Remaucourt, près de Rethel, dans les Ardennes.
Même si le Dr Lenoir ne peut plus gérer son exploitation au quotidien, il reste « présent à tous les moments importants de la vie de sa ferme et prend toutes les décisions stratégiques ». Son exploitation de 170 hectares en polycultures (céréales, betterave, colza, luzerne, une partie en bio et une partie en conventionnel), il l’a héritée de son père paysan, son goût des études, de sa mère institutrice. Ce que la psycho a pris de l’agriculture ? « Une respiration, la possibilité d’être dans l’action et dans le concret. » Mais surtout, quand il évoque le malaise paysan, François-Régis Lenoir est crédible. Difficile en effet de lui répondre : « Tu ne peux pas comprendre. » Justement, lui, il peut. « J’ai baigné dans ce milieu depuis tout petit. » Et c’est tant mieux car cela nous permet de bénéficier de ses éclairages de psy-paysan.
« Beaucoup d’agriculteurs souffrent d’une grosse confusion identitaire entre la sphère personnelle et la sphère professionnelle, et d’une véritable obsession vis-à-vis du travail sur la ferme. Ils se font littéralement bouffer par lui. Car le plus souvent, la maison est située sur l’exploitation. À table, avec sa femme, ses enfants, on ne parle que de la ferme. La force du monde paysan est en même temps sa faiblesse : travailler avec des personnes avec lesquelles on a un lien familial et ne plus être capable de différencier les sphères de vie. »

Pour en revenir aux Gaec, le docteur en psychologie et agriculteur est très clair : « Il n’y a pas pour moi d’autres options que de travailler en collectif. Si en amour, on n’implique pas l’autre, ça s’appelle un viol. L’autre devient l’objet. C’est ce qu’il faut à tout prix éviter. Le travail en Gaec implique d’accepter de travailler en équipe. Comprendre que si l’autre pense différemment, il ne pense pas contre moi. On part de l’idée que cela est inné. Pourtant, nous apprenons à aimer, à marcher ou à conduire un tracteur. Il faut aussi apprendre à se taire pour écouter l’autre. » Soit. Bouche cousue.