Identifier les étudiants en difficulté
Si les constats sont nationaux, les prises de conscience sont souvent locales : la précarisation des étudiants se passe sous nos yeux. Encore faut-il le voir et agir pour y remédier ! C’est le cas de Nathalie Vaudeville, responsable des travailleurs sociaux de la MSA d’Alsace et maman d’un étudiant de 18 ans. Avec son équipe, déterminée à développer des actions de solidarité, elle tente de prendre contact avec le Crous de la faculté de Mulhouse afin d’approcher ce public, difficile à identifier, du fait de la protection des données personnelles. C’est sans succès. Passer par les parents, adhérents de la MSA, salariés ou exploitant, permet tout juste de se rendre compte que ces derniers ne sont pas au courant de la détresse de leurs enfants. Et pour cause, « les étudiants se taisent sur leur situation parce qu’ils voient leurs parents en difficulté », révèle la responsable. S’impose alors la solution d’aller à leur rencontre sur le terrain. « On s’est rendu au pied des facultés. On a rallié ce qui existe déjà et qui fonctionne très bien : le collectif la communauté solidaire d’Alsace. »
Collecte de denrées alimentaires
Ce groupe rassemble des citoyens de la région, qui indignés de voir les conditions de vie des jeunes se dégrader, agissent concrètement pour les aider efficacement. Ils ont créé une page Facebook qui mobilise chaque jour les troupes autour de la distribution de denrées alimentaires, recrute des bénévoles, indique les zones de collecte de produits, informe sur les urgences du moment. « On s’est rattachés à eux. Et on a mis en place, au niveau de la MSA d’Alsace, une collecte de sacs solidaires contenant l’équivalent d’un repas avec des denrées non périssables, des fournitures scolaires, des produits d’hygiène, une petite douceur : une plaquette de chocolat ou une boîte de thé. » Deux points de collecte sont mis en place : l’un à Colmar, l’autre à Strasbourg.
« Il n’est pas question que nos étudiants continent de mourir de faim et d’être isolés. Il est hors de question que la situation perdure. Je suis très inquiète pour la suite quand on voit le taux d’abandon dans les facultés. Quand je regarde tous ces étudiants souriants, agréables qui ne montrent rien de leur souffrance, je m’interroge pour savoir quelle génération sommes-nous en train de créer. C’est une génération qu’on a laissée crever de faim, aller à la soupe populaire. »
Nathalie Vaudeville, responsable des travailleurs sociaux de la MSA d’Alsace.
Parrainer des étudiants
Parallèlement, la communauté solidaire d’Alsace lance un système de parrainage des étudiants. « L’idée est de les contacter au minimum trois fois par mois parce qu’en dehors de l’aspect alimentaire et financier, ils souffrent aussi d’isolement. Beaucoup ne sortent plus du tout. Ils vivent seul dans un 10 mètres carrés. Il s’agit de veiller sur leurs besoins de première nécessité selon ses moyens, de leur faire des courses si c’est possible », explique Nathalie Vaudeville, elle-même marraine d’une étudiante. La mise en relation se fait sur tirage au sort à partir d’un numéro attribué aux filleuls comme aux familles partantes pour endosser cette responsabilité.
Besoin de liens
Lancé en avril en plein couvre-feu, avec la limite des déplacements en journée à 10 kilomètres, l’opération sacs solidaires au niveau de la MSA démarre doucement. Beaucoup de salariés ne sont pas encore sur site. « Nos bureaux n’ouvrent que sur rendez-vous. Ça prend de l’ampleur petit à petit. Mais j’ai surtout force espoir dans le système de parrainage parce que les jeunes ont besoin de lien, de quelqu’un qui s’intéresse à eux, qui les appelle. »
Détresse de la jeunesse
avec le Covid-19
Des cours en distanciel, une vie sociale réduite au strict minimum, un logement trop exigu pour rendre la routine soutenable, le manque de ressources accru par la disparition des petits boulots, le décrochage scolaire, la crise sanitaire n’en finit pas de distiller ses terribles effets sur les jeunes… Les raisons de broyer du noir ne manquent pas, après un an de vie quasi à l’arrêt, avec pour horizon une rafale d’interrogations. Le dernier rapport Ipsos auprès des 18-24 ans, publié le 28 janvier, ne laisse aucun doute sur le mal-être qui s’est emparé de la jeunesse malmenée dès le premier confinement. « Deux jeunes sur trois estiment que la crise actuelle liée au Covid-19 va avoir des conséquences négatives sur leur propre santé mentale. » D’après l’enquête, « la santé mentale est altérée pour un étudiant sur deux : dépression sévère (16 %), stress (25 %), anxiété (27 %) ou idées suicidaires (11 %) ». Pas étonnant que le 20 janvier dernier, un hashtag #étudiantsendétresse émerge sur Twitter, réagissant au suicide d’un étudiant à Villeneuve-d’Ascq, encore un.
Un point d’accès au droit
« On prépare des permanences d’accès au droit qu’on mettra en place au moment des distributions de sacs solidaire qui ont eu lieu trois fois par semaine. Comme on n’arrive pas à avoir la liste des enfants d’adhérents MSA en difficulté et qu’on n’arrive pas à le savoir par les parents, précise Nathalie Vaudeville, on va faire un point avec eux et apporter cette information à ce moment-là. On s’est rendu compte en effet qu’il y en a qui ne vont plus du tout chez le médecin parce qu’il faut payer la part différentielle. Comme ils n’ont plus d’argent pour manger ils ne consultent plus de médecin, de dentiste, de gynéco etc. »
Précarisation des étudiants
L’ampleur de cette détresse bouleverse Nathalie Vaudeville d’autant que la précarité n’épargne aucune couche sociale. « Les enfants viennent des familles en situation de grande difficulté comme des classes moyenne et supérieure. Les gens qui avaient des revenus confortables se retrouvent en chômage partiel ou ont fermé leur boîte. Ils n’ont plus aucun revenu. » Pour ne pas rajouter aux problèmes des parents, les jeunes gardent le silence.
La fin de l’année universitaire approche. Les cours s’arrêtent fin mai. « Cet été, ils vont être dans la même difficulté financière », s’alarme la travailleuse sociale, jugeant que le retour à la vie normale est encore incertain. Récemment, elle a pris des nouvelles de sa filleule. « Je l’ai interrogée sur le déroulement de ses partiels, comment elle avait vécu les épreuves. Elle m’a confié ses craintes pour après. Je lui ai proposé un coup de main si elle le souhaitait. » Au fil de l’échange, une évidence se fait jour. Pour Nathalie Vaudeville : « Il faut faire en sorte que les gamins ne soient plus seuls. »