« Quand on me demande quel est mon métier, je réponds : “Je sauve des vies.” » Audrey Jacquot n’est pourtant ni pompier, ni médecin, mais opératrice de téléassistance à la centrale d’écoute de Présence Verte à Ludres, en Lorraine. Depuis dix ans, cette mère de famille célibataire de deux enfants permet à des personnes fragilisées par l’âge, la maladie ou des accidents de la vie de continuer à vivre chez elles, à des travailleurs isolés de rester connectés aux secours en cas de besoin.
« Je suis tombée »
Ce 14 janvier, c’est Marie-Jeanne qui la préoccupe. Elle vient d’appuyer sur son médaillon d’alerte et a donc déclenché l’appel à la centrale d’écoute. Son dossier apparaît sur l’écran de l’opératrice. On peut y lire qu’elle a 95 ans et habite dans le sud de la France. S’affiche également la composition de son réseau de solidarité. « Bonjour Madame, ici Présence Verte, que vous arrive-t-il ? » Problème, à l’autre bout du fil, Jean-Luc Reichmann donne de la voix et couvre presque entièrement celle de la nonagénaire. Nous sommes propulsés directement dans le salon de Marie-Jeanne.
Dans son petit monde, comme dans celui de beaucoup de personnes isolées, la télévision a une place centrale et égrène bruyamment le fil du temps, un rôle joué pendant des siècles par les cloches des églises. Aujourd’hui, c’est Télématin à 6 h 30, Motus à 10 h 45 et Les douze coups de midi, présenté par Jean-Luc Reichmann à 12 heures précises, qui, avec les repas et la visite de l’aide-ménagère, rythment les journées.
Malgré le vacarme, Audrey réussit à comprendre son interlocutrice. « Je suis tombée », dit Marie-Jeanne d’une voix mal assurée.
Réagir en quelques minutes
Au fil des années, l’ouïe d’Audrey s’est aiguisée et s’est familiarisée aux accents des régions de France ou d’ailleurs, aux voix affaiblies par la vieillesse ou la maladie. « Est-ce que vous vous êtes fait mal ? » L’opératrice sait qu’elle a seulement quelques instants pour identifier le problème. Ce jour-là, 99,6 % des 4 500 alarmes reçues à la centrale ont été gérées en moins de 3 minutes. Sa voix est claire, son ton rassurant. Chaque mot prononcé est pesé avec soin.
Elle informe Marie-Jeanne qu’elle met aussitôt en route son réseau de solidarité. Trois appels sur le téléphone portable et sur le fixe des proches qui aboutissent à chaque fois sur les répondeurs. Elle reprend en ligne Marie-Jeanne pour lui dire qu’elle appelle les pompiers.
« J’ai fait installer Présence Verte chez ma grand-mère, confie-t-elle. Elle a 91 ans. Elle a toute sa tête, mais elle vit seule et ça me rassure de la savoir équipée. Pour moi, c’est facile, je parle à nos abonnés comme si je m’adressais à elle, avec la même attention, la même bienveillance et le même respect. Quand le trafic nous le permet, on prend le temps d’échanger avec eux. Des liens se créent. Lorsqu’on apprend leur décès, ça nous fait un coup au cœur. J’ai travaillé à Noël et au Nouvel An. Beaucoup de gens ont passé les fêtes seuls. Certains nous disent qu’ils ont appuyé sur le bouton d’alerte par accident mais on sait que ce n’est pas toujours vrai. Ils avaient besoin de parler à quelqu’un. »
On est fiers de dire qu’on est une centrale d’écoute et pas une centrale d’appel.
« On est fiers de dire qu’on est une centrale d’écoute et pas une centrale d’appel, s’enorgueillit Stéphanie Mangenot, la responsable des deux plateaux de Ludres et de Vandœuvre-lès-Nancy. Les opérateurs n’ont pas de script à suivre. Ce serait de toute façon inutile face à une personne de 90 ans affolée qui vient de faire une chute. » Au mur du vaste open space, pas la moindre trace de classement entre eux, juste une armée de vigies à l’écoute 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ici, on jauge la performance d’une autre façon.
« Chaque opérateur est formé à réagir à une infinité de situations. Mais ce sont bien les qualités d’écoute, de patience et d’adaptabilité que l’on va rechercher en eux, des atouts qui leur permettent de prendre les meilleures décisions pour gérer les urgences auxquelles ils sont confrontés tous les jours. »
De jour …
…comme de nuit.
02:31
Dorian vient de gérer l’évacuation d’un abonné par les pompiers vers l’hôpital. Il se reconcentre en quelques secondes pour répondre à la prochaine alarme.04:38
Lionel rassure M. Blanc. Ce dernier est angoissé et semble désorienté dans la maison où il vit seul.05:12
Éva prend l’appel d’un travailleur isolé. Quelqu’un vient de s’introduire sur son lieu de travail.
– Photos : ©lesateliersdulux.fr