C’est une première dans l’histoire de la Sécu : la création d’une nouvelle branche. Pourquoi maintenant, à l’issue d’une crise sanitaire d’ampleur et dans le creux de la vague budgétaire ?

C’est en effet une petite révolution car c’est la première fois depuis 1945 que le Parlement touche à l’architecture de la Sécurité sociale 1. Depuis plus de 10 ans, la création d’une cinquième branche est aussi bien promise par la Gauche que par la Droite. J’ai souhaité porter cet amendement au projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie pour être tout à fait certain que malgré la crise, nous n’allions pas remettre aux calendes grecques ce chantier. Pour le moment, les oppositions nous reprochent de proposer une coquille vide. Mais tous les aspects de la prise en charge de la dépendance ont été multiplement expertisés, traités, tranchés par les rapports successifs. Il n’y a plus qu’à mettre en place des mesures avec les recettes en face. Un rapport doit être rendu au Parlement d’ici le 15 septembre pour nous aider à bâtir ce cinquième risque. Il permettra également d’alimenter le gouvernement et la majorité dans la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2021. Cette décision restera comme une avancée sociale majeure associée au quinquennat d’Emmanuel Macron.

Quel financement envisagez-vous ? 

Comme il est mentionné dans le projet de loi, le besoin de financement de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) a crû fortement. Une augmentation de la dette des régimes obligatoires de sécurité sociale est à prévoir pour les années 2020 et suivantes. Elle devra être résorbée par la caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades). Sa date de fin de remboursement, initialement prévue en 2024, est reportée au 31 décembre 2033. De nouveaux transferts de dettes, pour un montant prévu de 136 milliards d’euros dans le projet de loi ordinaire, accompagnent le projet de loi organique. Le nouvel horizon d’amortissement ainsi déterminé pour la Cades permet également de revoir la part des ressources qui lui sont affectées sans remettre en cause l’apurement de la dette sociale. Dans un premier temps, nous réaffectons 0,15 point de contribution sociale généralisée (CSG) au financement de cette nouvelle branche, à compter de 2024, soit 2,3 milliards d’euros transférés depuis la Cades vers la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), qui gère les fonds dédiés à la dépendance et au handicap. C’est cette dernière qui pilotera la nouvelle branche.

Au plus près des territoires ruraux, la MSA appréhende parfaitement les enjeux du vieillissement et du maintien à domicile des personnes âgées. C’est un nouveau défi pour elle mais je crois qu’elle est prête à le relever, aux côtés de la CNSA.

Thomas Mesnier

Le rapport Libault sur la concertation grand âge et autonomie tablait sur des besoins de financement respectivement de 6,2 et 9,2 milliards d’euros en 2024 et 2030. On est loin du compte. D’autres pistes ? 

Il est encore trop tôt pour en parler mais nous menons, avec mes collègues de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, des travaux en ce sens. Nous souhaitons auditionner des économistes pour confronter les différentes expertises, qu’il appartiendra d’acter ou non politiquement. Dans le contexte actuel, pour ne pas freiner la reprise économique, le président de la République a écarté toute idée d’impôt supplémentaire ou d’augmentation des cotisations sociales. Une concertation sera organisée prochainement pour définir les conditions de financement à plus court terme des mesures qui seront décidées en faveur de la prise en charge du soutien à l’autonomie. D’autres leviers complémentaires ont été évoqués, comme celui relayé par la CFDT, sur la mobilisation des droits de donation et de succession. Il n’y aura pas de tabous : assurances privées, solutions d’épargne avec sortie en rente ou de viager… En arriverons-nous exactement au montant envisagé par le rapport Libault ? Probablement pas. Mais que cela ne nous empêche pas d’engager de belles choses, de structurer des projets.

À quel genre de belles choses pouvons-nous nous attendre ?  

En attendant la loi sur le grand âge et l’autonomie promise pour la fin de l’année, se poseront forcément les questions du financement et du taux d’encadrement des Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ; du maintien à domicile, via les prestataires d’aide et de soins et les professionnels de santé ; de la coordination entre les médecins libéraux, les établissements hospitaliers, les structures médicosociales et les organisations de soins à domicile, ce qui est typiquement la vocation des communautés professionnels territoriales de santé (CPTS) ; de la revalorisation des métiers liés à la dépendance, sur laquelle les accords du Ségur de la santé apportent déjà une réponse ; de l’accompagnement des aidants… Vous le voyez, la liste est ouverte. Nous examinerons également dans l’existant ce qui ne ressort pas du soin. Je pense notamment aux visites de lien social réalisées par les facteurs de La Poste au domicile de personnes âgées. 

Et la MSA, dans ce projet ? 

Forte de son guichet unique, la MSA est un acteur au plus près des territoires ruraux. Elle appréhende parfaitement les enjeux du vieillissement et du maintien à domicile des personnes âgées. C’est un nouveau défi pour elle mais je crois qu’elle est prête à le relever, aux côtés de la CNSA.  

(1). L’ordonnance Jeanneney de 1967 instaure la séparation de la sécurité sociale en branches autonomes : maladie, accidents du travail/maladies professionnelles, famille, retraite, recouvrement.

Le rapport Libault

Remis au gouvernement l’année dernière, le rapport de Dominique Libault, président du haut conseil du financement de la protection sociale, élabore notamment 10 propositions clés pour « passer de la gestion de la dépendance au soutien à l’autonomie ». Parmi elles : la création d’un guichet unique pour les personnes âgées et les aidants dans chaque département, avec la mise en place des maisons des aînés et des aidants ; un plan national pour les métiers du grand âge permettant notamment d’agir à la fois sur une hausse des effectifs, une transformation des modes de management, la prévention des risques professionnels, la montée en compétences à travers une politique de formation ambitieuse, le développement de perspectives de carrière en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge et d’une meilleure structuration de la filière… Ou la mobilisation renforcée du service civique et, demain, du service national universel, pour rompre l’isolement des personnes âgées et favoriser les liens intergénérationnels. L’intégralité du rapport est consultable sur le site solidarites-sante.gouv.fr

Photo : © Assemblée nationale-2020