En voyant l’écriteau posé sur son ventre, on ne peut s’empêcher de penser au clip de Bob Dylan associé au titre Subterranean Homesick Blues. L’auteur-compositeur-interprète et poète américain y fait défiler des pancartes au rythme des paroles de sa chanson.

Sur les jambes de la dame qui collectionne les 90 printemps, ces quelques mots écrits au feutre noir sur fond jaune : « J’ai vaincu le virus ». En fonction de notre âge et des personnes vulnérables dans notre entourage, nous avons tous tendance à plus ou moins fanfaronner devant le Covid-19. Si les décès chez les personnes âgées passent pour être dans « l’ordre des choses », les victoires sur la maladie restent toujours aussi émouvantes. Vous sentez ce frisson qui parcourt l’échine en regardant sa photo ?

« La période de confinement nous a tous mis à rude épreuve, témoigne Sandra Lengert, responsable de la maison d’accueil et de résidence pour l’autonomie (Marpa) La Dunette, à Huningue, dans le Haut-Rhin. Mais ce sont les mesures drastiques et anticipées que nous avons appliquées qui nous ont permis de tenir le coup. » Pour son premier poste de direction, Sandra a vécu le baptême du feu.

Retour en arrière : lundi 16 mars, depuis trois jours déjà, l’établissement respecte l’isolement pour une gastro-entérite. À 4 heures du matin, une résidente chute dans son logement : intervention des pompiers, transport aux urgences pour ce qui semblerait être une fracture du col du fémur, fréquente chez les personnes âgées.

Le lendemain, le diagnostic tombe : une forte suspicion de coronavirus ! Le jour même où le confinement est instauré au niveau national. « Il était évident que cela s’annonçait comme une traînée de poudre », poursuit Sandra.

La Dunette est super chouette

La Dunette est un joli bâtiment en briques rouges, sur deux niveaux, inauguré il y a trois ans. « La mezzanine nous permet de voir et d’entendre ce qui se passe au 1er étage depuis le rez-de-chaussée, et inversement. C’est pratique quand nous devons intervenir rapidement sur une chute, par exemple. »

On dénombre quelque 200 Marpa sur 70 départements en France, pour plus 4 700 seniors accueillis et accompagnés au quotidien comme ici, à Huningue, dans le Haut-Rhin.

La Marpa est située le long de la rive du Rhin. Elle est équipée d’un dispositif de téléassistance relié au personnel. Ses 21 logements, tout d’abord réservés aux Huninguois et –guoises, se remplissent en un an et demi. Elle dispose également d’un meublé d’accueil temporaire.

Elle est gérée par le centre communal d’action sociale (CCAS). La ville de Huningue entre en scène dès l’annonce de la mesure gouverne-mentale d’interdiction de déplacement. Elle met à disposition de l’établissement les équipements de protection individuelle préconisés : surblouses, gel hydroalcoolique, masques, etc. Des dons de particuliers et d’entreprises locales sont également effectués.

L’équipe de La Dunette propose des animations et assure une présence auprès des résidents ; elle confectionne et sert les repas, avec l’aide des résidents ; elle entretient les parties communes. Avec le début du confinement, les choses prennent une autre tournure. « J’ai dû gérer l’anxiété de tout le monde : les résidents, les familles, le personnel », confie Sandra, qui glisse également avoir géré la sienne.

La promenade des Anglais !

Les premiers repas arrivent froids. Le ménage dans les logements, accompli d’ordinaire par des prestataires extérieurs, n’est plus assuré. L’incompréhension s’installe chez les personnes âgées. D’autant plus que dehors, sur le chemin de halage, « C’est la promenade des Anglais ! ». Les promeneurs se succèdent, dans le respect des consignes sanitaires, alors que dans un premier temps, pendant deux semaines, les résidents sont confinés dans leurs logements.

Mais la Marpa s’organise très vite. Et la solidarité aussi. Deux agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) se mobilisent volontairement pour accomplir des missions de désinfection, d’entretien et de préparation des repas, à raison de deux heures par demi-journée. La cantine de l’école prête des chariots et des plateaux.

Le ménage dans les logements et la distribution des médicaments sont désormais assurés par le seul personnel de la Marpa. Deux salariés du CCAS prêtent main-forte pour faire les courses. La Dunette offre trois baguettes par semaine (lundi, mercredi, samedi). Rapidement, le 19 mars, Sandra reçoit le renfort d’une personne : de six équivalents temps plein, les effectifs passent à sept.

Cette nouvelle recrue est dédiée à la convivialité, une des valeurs portées par l’établissement. Tout d’abord en passant dans les logements. Puis le 31 mars, quand les résidents sont enfin autorisés à évoluer dans l’enceinte de l’établissement, en organisant des promenades individuelles, qui deviennent des triplettes, dans le respect des gestes barrières, sur des sorties d’une heure maximum.

Maintien du lien avec la famille

Comme le lien avec les familles des résidents est une des priorités de la Marpa, plusieurs initiatives sont prises. Placées en retrait de deux mètres du grillage de clôture, des barrières mobiles sont installées sur la terrasse qui donne le long du Rhin : à partir du 20 avril, elles autorisent les entrevues entre les proches, situés sur le chemin de halage et les anciens, selon un planning préétabli.


Une semaine plus tard, d’autres moyens et installations sont mis à disposition. La salle informatique est aménagée : quatre tables garnies de plantes vertes, pour former une barrière végétale, assurent le respect des distances interpersonnelles. Les familles entrent par une porte qui donne sur l’extérieur de l’établissement ; le résident, par une porte intérieure.





Toutes les consignes sanitaires individuelles sont scrupuleusement respectées ; une charte est signée. Entre deux visites, les lieux sont entièrement désinfectés. Les rendez-vous de 40 minutes sont pris par téléphone. Pendant ce laps de temps, la confidentialité est garantie.

Dans la salle qui fait d’habitude office de salon de coiffure, un poste informatique permet aux résidents de dialoguer en visioconférence avec leur entourage.

Pendant toute la durée du confinement, la Marpa communique régulièrement avec les référents des familles (mails accompagnés de pièces jointes : photos, protocoles, etc.).
« Si c’était à refaire, nous opterions pour des envois à tous les enfants des résidents car l’information a été parfois mal relayée. »

Aujourd’hui, l’établissement est ouvert aux visiteurs, dans le respect des règles sanitaires. Les résidents sont libres de sortir, en remplissant le registre dédié. « Au cœur de la crise sanitaire, nous sommes revenus à l’essentiel de notre métier : les résidents ont été – et ils restent – une priorité constante. L’équipe a été extrêmement présente au détriment de la vie de famille. »

Le 26 septembre, les résidents de La Dunette prévoient de convier le personnel de la Marpa à une fête où il n’aura rien à faire, simplement pour remercier. Et pour le souvenir aussi, peut-être. La résidente âgée de 94 ans, hospitalisée pour suspicion de fracture du col du fémur, avait finalement contracté le coronavirus. Elle est décédée quelques jours après.


Il ne faut pas le nier, c’était difficile ! Tant qu’on ne l’a pas vécu, il n’est pas évident de se rendre compte à quel point, c’était éprouvant. Bien sûr, à côté de la situation dans les hôpitaux, il faut relativiser. Il faut serrer des dents et attendre que la crise passe. La convivialité a été très bien appréciée mais ce n’était jamais assez pour les résidents. L’agence régionale de santé (ARS) et le conseil départemental nous envoyaient des protocoles toutes les semaines. Or, dans un premier temps, nous sommes classés parmi les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), et souvent ces mesures ont paru démesurées pour les résidents. Dans un second temps, les protocoles autonomie ont été rédigés. Nous avons toujours été en avance en essayant de donner régulièrement une liberté en plus. Pour ne pas sombrer dans la déprime, nous avons fêté Pâques tous ensemble. Des animations ont eu lieu, par des vidéos sur Internet (de la gymnastique douce avec l’association Siel bleu) ou en présentiel, avec l’Académie des arts de Huningue (musique, chant, conte).

Sandra Lengert, directrice de la Marpa La Dunette

Pendant la période de confinement, les préconisations de la fédération nationale des maisons d’accueil et de résidence pour l’autonomie (FNMarpa) ont été les suivantes : les résidents peuvent sortir sur leur terrasse et sur l’emprise foncière de la Marpa. Ils bénéficient d’un soutien psychologique des agents, à bonne distance sauf si ces derniers sont équipés de masques. Les familles, dans les conditions de sortie prescrites par la loi, peuvent venir voir leur proche résident, de l’extérieur de l’établissement et à la distance recommandée par les pouvoirs publics (plus d’un mètre). La direction doit être avertie préalablement de la visite de la famille du résident. Cette recommandation peut être appliquée en tenant compte du contexte local et de la situation de la Marpa. Il ne s’agit pas de promenades à l’extérieur de l’enceinte, bien que celles-ci soient possibles pour les résidents autonomes, dans les conditions prévues par la loi. La Marpa n’est pas un «lieu de privation de liberté», les résidents étant des citoyens comme les autres, même s’ils séjournent dans un établissement médicosocial. Il s’agit de permettre aux familles des contacts à distance avec les résidents, au sein de l’emprise foncière de la Marpa, face à l’appartement du résident par exemple. Ce contact ne peut excéder 30 minutes et les proches visiteurs ne doivent pas dépasser deux personnes. Cette démarche n’est pas possible dans toutes les Marpa, elle dépend de l’autonomie des résidents, de la configuration architecturale, de la situation de l’établissement (effectif en personnel), de la responsabilisation des familles.

Jean-Christophe Billou, responsable des Marpa à la CCMSA