« Dans une société inclusive, on pense à tout le monde. Il faut se serrer les coudes et avancer ! » Maryse AÏo, référente nationale pour la responsabilité sociale et sociétale à la caisse centrale de la MSA, est venue déterminée, ce 16 novembre à Montauban. Une conférence sur le handicap et les technologies se tient au centre de développement informatique de la MSA. « Nous voulons que l’accessibilité soit facteur de réduction des inégalités, qu’elle favorise la compensation et que le handicap au travail diminue », annonce-t-elle en ouverture.
L’accessibilité numérique en ligne de mire
Une cinquantaine de salariés, pour l’essentiel techniciens, concepteurs et développeurs informatique, sont venus écouter Gérard Uzan, chercheur à l’université Paris 8 dans un laboratoire spécialisé sur les technologies d’assistance aux personnes handicapées et/ou âgées. Il développe un travail plus spécifique sur l’accessibilité numérique.
Une interrogation cruciale à l’heure où Internet est devenu un outil indissociable de notre quotidien. « Cette question se pose maintenant pour tous et partout, déclare le chercheur. 80 % des professionnels utilisent un ordinateur. En dehors du poste de travail immédiat, tous les outils numériques, notamment de formation, de réunion, les documents partagés, etc. doivent être accessibles. Souvent, ils ne le sont pas. »
Côté utilisateurs extérieurs aux organisations ‒ sociétaires, adhérents, clients, etc. ‒, les problèmes d’accessibilité sur le Web sont un facteur d’exclusion supplémentaire, qui peut même aggraver les situations de fragilité : comment bien accomplir ses démarches administratives et, par exemple, bien percevoir ses prestations sociales si l’espace personnel en ligne n’est pas accessible ?
Complexité
« Les personnes les plus gênées sont les aveugles, souligne Gérard Uzan. Ils mettent énormément de temps à trouver l’information sur Internet et à avoir la certitude que celle-ci est ou n’est pas sur la page. Ensuite, il y a les personnes ayant une incapacité intellectuelle. Pour elles, la difficulté vient de la complexité visuelle de la page et la multiplication des actions à mener pour arriver à leurs fins. Enfin, pour les personnes en situation de handicap moteur, la manipulation de la souris ou du smartphone peut être très compliquée. »
Parmi les difficultés classiques : la multitude de raccourcis à mémoriser. Chaque système d’exploitation, application, site internet, assistant numérique… a ses propres raccourcis : « Cela donne des exercices de doigtés impressionnants. Après ça, les handicapés peuvent devenir de bons musiciens ! », plaisante Gérard Uzan, qui regrette, par ailleurs, les contradictions entre règles ergonomiques et règles d’accessibilité. « On préconise un nombre de pages le plus petit possible pour arriver à une information, de préférence inférieur ou égal à trois. Or, pour favoriser l’accessibilité, il faut guider l’utilisateur au maximum et séquencer l’information. »
La continuité de l’accessibilité est enfin un élément fondamental : « Très souvent des sites annoncent qu’ils sont accessibles mais ils sont pleins de défauts. À quoi bon avoir un site accessible, même à 90 %, si, au moment d’arriver à l’information, celle-ci est invisible par la personne au lecteur d’écran ? C’est un peu comme concevoir un bâtiment avec des toilettes adaptées aux handicapés mais que, pour y accéder, il faille grimper un escalier ! »
Nouveau souffle pour l’accessibilité
Aujourd’hui, une obligation réglementaire contraint les organismes délégataires d’une mission de service public, comme la MSA, à se conformer au référentiel général d’accessibilité pour les administrations (voir encadré). « Nos marchés publics et nos développements doivent tenir compte des problèmes d’accessibilité numérique », avance Christophe Jourdain, auditeur en accessibilité numérique.
Les développeurs de la MSA imaginent les scénarios que peuvent rencontrer les personnes handicapées utilisant le site Internet et tentent de mettre en place des solutions dès le lancement des projets informatiques. Une démarche efficace puisqu’elle permet de répondre à un maximum de situations handicapantes et serait, en plus, économique à long terme :
« On considère un surcoût de 5 à 10 % si l’accessibilité est prise en compte dès le début du projet, contre 40 % si on intervient en cours de projet », souligne Christophe Jourdain. Malheureusement, la plupart des entreprises estiment que l’utilisation est trop occasionnelle pour investir dans des solutions.
Des efforts à encourager
« C’est vrai qu’à une époque, des entreprise comme Orange ou Epson ont fait des tentatives dans ce domaine. Mais les tarifications étaient tellement chères que ce n’était pas viable économiquement, concède Gérard Uzan. Aujourd’hui, les prix ont largement baissé et l’augmentation de la fiabilité des connexions permet de repenser le problème autrement. C’est le moment de donner un nouveau souffle à ce type d’initiative. »
Côté administrations, des efforts sont faits, mais ils restent souvent insuffisants : « Les études démarrées en France en 2000 montrent que l’accessibilité des sites Internet est seulement de 5 % pour les sites administratifs, si on considère la page d’accueil et les pages branches de celle-ci. Ensuite, lorsqu’on navigue sur les suivantes, les pages ne sont plus accessibles… »
Interface pour sourds et malentendants
La MSA travaille actuellement sur la mise en place d’une interface qui jouerait le rôle d’intermédiaire entre les personnes sourdes ou malentendantes et les agents de la MSA, sur l’accueil téléphonique et les sites Internet. « Près de 8 % de la population française souffre de problèmes auditifs, affirme Maryse Aïo. Cette réalité étant là, il faut pouvoir favoriser les échanges. »
Le projet vise à mettre en place, avec l’aide d’un prestataire, un service à disposition des ressortissants, partenaires ou fournisseurs sourds ou malentendants, qui leur permettrait, via une plate-forme, de recevoir une réponse orale ou écrite de l’agent MSA. Par le biais d’un smartphone, un traducteur en langue des signes rendrait également possible l’échange et la bonne compréhension. « Ce système sera en test début 2018 en vue d’être déployé à l’ensemble des caisses », annonce Maryse Aïo.
Preuve que le handicap peut aussi être un moteur d’innovations.