Un boulanger, tout le monde connaît. Un paysan, idem. Mais un paysan boulanger, savez-vous ce que c’est ? C’est un agriculteur qui cultive des céréales, produit de la farine, fait son pain et le vend. Les paysans boulangers ont le goût de l’ouvrage bien fait. Au sein du groupe de travail Boulange Paysanne Lorraine, une certaine idée de la boulange cimente les relations des membres : production bio, pains au levain, retour au manuel, limitation de la mécanisation et réflexion sur les conditions de travail.

« La force de notre groupe de paysans boulangers est que l’on va facilement les uns chez les autres, on échange sur nos pratiques. Nous ne sommes pas concurrents. Nous avons une philosophie à partager », assure Laurent Nordemann pendant qu’il prépare la pâte pour la fournée du lendemain.

Les gestes des boulangers

Il est 8 heures à la ferme de la Souleuvre, installée à Preny, un village de Meurthe-et-Moselle de 366 habitants. Si le moulin fonctionne seul et que la boutique est fermée, le fournil, lui, est en pleine activité. Le moment idéal pour Clémence Bonnot, venue scruter les moindres faits et gestes du boulanger et de ses collègues.

Couper la pâte, la peser, façonner les pâtons, les mettre sur une planche et recommencer, 20, 30 fois. Laurent enchaîne les mêmes gestes pendant une vingtaine de minutes. Il s’agit d’être rapide, précis et régulier. Chaque mouvement, chaque installation, est optimisé. Tout du moins pour l’œil de l’observateur lambda. Parce que pour l’étudiante en Master 2 d’Ergonomie et physiologie du travail à l’université de Lorraine, le constat n’est pas le même.

La règle d’or de l’ergonomie ? L’écoute, le dialogue et des solutions faciles à mettre en oeuvre.

Vigilante au moindre détail, elle intervient entre deux manipulations. « Cela ne serait-il pas mieux si le chariot était plus proche ? Vous n’auriez pas à tendre les bras lorsque vous mettez les plaques chargées dessus ! » Laurent s’interrompt deux secondes, réfléchit, esquisse un sourire et acquiesce. « C’est vrai, c’est plus pratique », reconnait-il après avoir déplacé le chariot de quelques centimètres.

Exposition à la poussière, au bruit

Clémence n’a rien d’une inspectrice des travaux finis. Aussi assurée que bienveillante, la jeune femme effectue une étude ergonomique à la demande de cinq entreprises du groupe Boulange Paysanne Lorraine. « Annuellement, nous organisons un moment convivial qui permet de visiter les fournils des uns et des autres et d’aborder une thématique choisie collectivement. Cela donne lieu à des conférences, des formations. Trouver des solutions face aux douleurs et à la fatigue que nous ressentons est le sujet qui est ressorti cette année », explique le boulanger.

Clémence Bonnot enchaîne : « Yoann Michaud, de l’association Bio en Grand Est, anime le groupe. Il a fait parvenir une demande de formation “gestes et postures” à Didier Orivelle, responsable du service de prévention des risques professionnels de la MSA Lorraine. Je venais juste de postuler dans cette caisse pour mon stage de fin d’année en ergonomie. Plutôt qu’une formation, Didier Orivelle leur a donc proposé une étude ergonomique. C’est arrivé comme ça ! » À pain nommé !

Le saviez-vous ?

En fonction du nombre de manipulations, le poids total du pain porté varie entre 16 et 33 fois celui du pain cuit. Pour un pain de 500 grammes, cela fait entre 8 et 16,5 kg. Pour une petite fournée (150 pièces), cela fait entre 1,2 et 2,5 tonnes dans la journée.

Clémence Bonnot, ergonome, analyse chaque posture des paysans boulangers au travail.

Mais l’ergonome a du pain sur la planche et un délai de stage à tenir (l’étude a été réalisée entre février et juillet 2024). Tout d’abord, elle rencontre chaque entreprise pour recueillir ses attentes, ses difficultés et évaluer rapidement son environnement. « J’essaie de comprendre quels rapports ils ont à leur santé, comment ils perçoivent les risques. »

Ensuite, elle observe l’intégralité des étapes du travail des paysans boulangers. Durant ses visites, elle filme leur posture, les interroge sur leurs pratiques, s’intéresse à l’exposition à la poussière et au bruit. Des données qu’il lui faut ensuite analyser pour faire ressortir les risques et mettre en avant ce qui peut en être à l’origine.

Les boulangers ont les solutions

« Ce sont des choses que l’on sait ou que l’on pressent, reconnaît Laurent Nordemann tout en préparant les commandes pendant que le four à bois chauffe. L’importance du port du masque (contre la poussière) est une problématique que l’on s’est déjà posée. Et puis nous l’avons laissée un peu de côté… » Jusqu’à la venue de Clémence Bonnot, qui leur permet de se concentrer sur ces questions.

« Lors de la restitution de ce travail aux participants, je n’ai presque rien préconisé, confie l’ergonome. J’ai simplement dit : là, ça ne va pas, comment peut-on faire ? La discussion s’est engagée entre eux et des problèmes ont été résolus. Je suis crédible à leurs yeux quand il s’agit de détecter un problème de santé. En revanche je le suis moins concernant le remède parce que je ne suis pas du métier. Mais si Hervé, paysan boulanger, dit : “Les bouchons d’oreille, je les porte moi !” Les autres vont recueillir son expérience, lui poser des questions. La force de ce travail est de les avoir fait discuter ensemble. Ils devraient le faire plus souvent car les solutions, ils les ont. »

De certains stages ne reste qu’un monceau de photocopies. En quittant le sien, Clémence Bonnot laisse derrière elle plein de « petites solutions faciles à mettre en place et qui facilitent le quotidien » : installer des roulettes sous un fût, surélever un plan de travail, rallonger un tuyau, favoriser l’entraide lors des ports de charge… Elle laisse surtout cinq boulangers impliqués qui ont décidé de réunir le groupe Boulange Paysanne Lorraine à tour de rôle chez chacun des membres pour faire évaluer « par leurs pairs » l’ergonomie et leur système de production.