Solidarité autour des aînés Agora jardinière Les habitants de Doudeville, petite commune située au cœur du pays de Caux, surnommée la capitale du lin, ont une façon bien à eux de tisser des liens entre les générations. Leur méthode : faire pousser des fleurs délicates, des fruits sucrés et des légumes joufflus mais surtout du vivre-ensemble dans un jardin qui fleure bon la Normandie.

Le symbole de ce lieu bucolique est un bac à plantations ingénieusement conçu sur trois étages pour permettre aux jardiniers – en herbe ou confirmés – de biner côte à côte à tous les âges de la vie. Cet équipement fabriqué par les travailleurs d’un établissement et service d’aide par le travail (Esat) local contribue à rendre l’endroit aussi accueillant pour tous les jardiniers, quels que soient leur âge et leur niveau d’autonomie. Dans les allées du petit parc inauguré le 24 janvier, la fierté se lit sur les visages des habitants, des élus de la commune et des acteurs locaux de la solidarité réunis pour l’occasion autour des représentants de la MSA Haute Normandie. Ils déambulent entre les fleurs, le récupérateur d’eau, le bac à compost, la serre et le cabanon qui sent encore le bois neuf. Il renferme des outils adaptés à la morphologie des adultes et d’autres aux mains d’enfants.

« Notre but en ouvrant aux plus jeunes ce lieu d’abord imaginé pour les aînés est de leur faire découvrir la nature et ses valeurs intrinsèques, assure Fanny Terry, adjointe aux affaires sanitaires et sociales à la mairie de Doudeville. C’est un moyen d’en faire un lieu d’échange et de passage d’expérience d’une génération à l’autre. » Le choix du lieu de l’implantation du jardin est de ce point de vue hautement stratégique. Situé à deux pas de l’école Joseph-Breton, du centre social, de la bibliothèque, du terrain de basket et de l’arrêt de bus, il constitue également un passage obligé pour les parents qui viennent chercher leurs enfants à la sortie des cours. Il permet aux écoliers d’aller ratisser ou de s’essayer au bouturage sans traverser la moindre route. Planté à deux pas du centre ville, il se trouve aussi à portée de promenade de presque tous les habitants et en particulier des aînés de cette commune de 2 500 âmes.

Lutter contre l’isolement

Petit retour en arrière pour comprendre comment l’idée de ce lieu, appelé à devenir une agora jardinière pour la commune entière, a germé dans la tête de ces Normands as de la binette. Fidèle à ses missions, la MSA lutte contre l’isolement et développe les solidarités autour des retraités sur les territoires ruraux isolés. Lors d’une phase de diagnostic en 2013, des besoins sont exprimés en termes de lien social et de mobilité. La part des plus de 75 ans en situation de handicap augmente. Des besoins de coordination entre les acteurs locaux de la solidarité se font jour. Face à ces défis, la MSA Haute-Normandie et la commune de Doudeville signent en janvier 2015 une charte des solidarités autour des aînés pour porter cette démarche sur le territoire de la communauté de communes Plateau de Caux-Fleur de Lin. « L’objectif de la charte est d’abord de renforcer les solidarités et les services en faveur des retraités en mobilisant les partenaires du territoire mais aussi les habitants qui sont les premiers concernés, souligne Grégoire Petit, président de la MSA Haute-Normandie. Nous n’avons pas été seuls à agir pendant ces cinq années : la maison pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer (Maia), le centre local d’information et de coordination (Clic), la Carsat et tous les acteurs de la solidarité, ainsi que de nombreux habitants se sont mobilisés. »

Un outil à disposition de tous les acteurs du territoire

« La création d’un jardin partagé était dès le départ une volonté forte de la part des représentants de la commune, se souvient Rémi Andrzejewski, responsable de l’action sanitaire et sociale à la MSA Haute-Normandie, à l’œuvre depuis le début du dossier. Dans le cadre de la charte, le projet a été repris sur le fond et en particulier sur sa localisation. Il a ainsi été pensé comme un outil à disposition de tous les acteurs du territoire. Son inauguration aujourd’hui est l’aboutissement d’un travail de cinq années jalonnées de nombreuses initiatives dans les domaines intergénérationnels, culturels et de prévention. »

Une forêt d’actions concrètes en faveur des anciens et du vivre-ensemble

L’ouverture du jardin ne doit en effet pas cacher la forêt d’actions concrètes en faveur des anciens et du vivre-ensemble initiées durant toute la période de la charte. Comme l’atelier « Collecte de mémoire » qui s’inspire de cette démarche intergénérationnelle et est à ce titre exemplaire. Son principe : recueillir les souvenirs des habitants du territoire témoins du Débarquement anglo-américain à l’occasion du 70e anniversaire de celui-ci. « Ce projet a permis de construire des passerelles sur le long terme et de renforcer les liens entre les retraités du territoire et le collège. Plusieurs actions de ce type ont depuis été reconduites. »
Des moyens ont été mis à la disposition du Clic, aujourd’hui mieux identifié par la population. Son action se concentrait auparavant sur le territoire de la ville d’Yvetot (située à 15 km). La commune de Doudeville a mis des locaux à disposition pour organiser des permanences. Un équipement informatique nomade (ordinateur et logiciel spécifique) a été financé par la MSA. La coordinatrice est de ce fait plus présente sur le territoire (visites à domicile).
Autre moment phare de la charte : la mobilisation des acteurs locaux autour de l’organisation de la première semaine bleue du territoire. Elle a permis de lancer une dynamique d’échange et de collaboration, mais aussi de mieux repérer les besoins des seniors (démarche d’enquête portée par la MFR de Saint-Valery -en-Caux). La mairie a repris en main son organisation dès 2016.

Par ailleurs, des retraités de la commune ont souhaité construire une action de prévention du bien vieillir innovante « à la carte », à raison de deux séances par thème (une dédiée à l’information, l’autre à la pratique). Des ciné-débats destinés à changer le regard porté par la société sur le vieillissement ont également été organisés et l’association de santé d’éducation et de prévention sur les territoires (Asept) a commencé à y animer des séances de prévention (mémoire, sommeil, équilibre…) alors qu’aucune action de ce type n’avait eu lieu auparavant sur le territoire. Un atelier numérique et informatique à destination des retraités est désormais aussi pérennisé. « On constate aujourd’hui une meilleure articulation entre les acteurs locaux, ce qui permet de donner une dimension intergénérationnelle et pluridisciplinaire à presque tous les projets (concertation entre les élus, les établissements scolaires, l’épicerie sociale, le centre communal d’action sociale [CCAS]…), poursuit Rémi Andrzejewski. Cette collaboration à différentes échelles n’a pas été acquise d’emblée. Il a été nécessaire d’acter un principe de complémentarité, voire de « non-concurrence » entre les partenaires. L’une des plus-values de la charte est de travailler dans la perspective d’une collaboration durable entre les acteurs de la solidarité. Nous lançons des projets mais c’est aux acteurs locaux de s’en emparer et d’en faire quelque chose sur le long terme. »

Au jardin, les actions intergénérationnelles, culturelles et de prévention ont dorénavant un lieu où prendre racine et s’épanouir. « Notre idée est d’aller chercher les plus éloignés au sens propre comme au figuré et de les accueillir ici, assure François-Emmanuel Paton, responsable du centre social et du CCAS de Doudeville. On veut en faire un lieu de transmission de savoir et de savoir-faire entre générations, un espace d’expositions, d’accueil de répit aidants-aidés pour souffler mais aussi un endroit permettant aux bénéficiaires de la banque alimentaire de réapprendre à se nourrir. » Un espace ouvert aussi aux plus exclues des exclus comme les jeunes filles du centre éducatif fermé installé dans la commune pour les sortir de leur environnement dans un cadre rassurant et sécurisé. La terre normande est décidément très fertile en bonnes idées.

Solidarité autour des aînés Agora jardinière Les habitants de Doudeville, petite commune située au cœur du pays de Caux, surnommée la capitale du lin, ont une façon bien à eux de tisser des liens entre les générations. Leur méthode : faire pousser des fleurs délicates, des fruits sucrés et des légumes joufflus mais surtout du vivre-ensemble dans un jardin qui fleure bon la Normandie.
Photos : ©Alexandre Roger/le Bimsa