Mercredi 19 février, 13h55, un minibus aux couleurs bigarrées se gare sur le parking du centre de loisirs de Janailhac, village situé au sud de Limoges. Le lieu et le jour sont stratégiques. Dans cette commune de 535 habitants, un peu isolée, mal desservie par les transports et où la mission locale la plus proche se trouve à environ 15 km, Caroline Cattoire, conseillère en insertion sociale et professionnelle, met en place l’estafette de la Mission locale rurale de la Haute-Vienne.
Elle est venue rencontrer des jeunes. « À Janailhac, nous avons décidé de venir le mercredi après-midi parce que le lieu de permanence se situe à côté du centre de loisirs. Cela offre de la visibilité : c’est un lieu de passage des familles. » Sa cible n’est pourtant ni les enfants qui vont au centre de loisirs, ni les parents qui les accompagnent ; même si ces deniers serviront souvent de vecteur.
Caroline s’adresse en priorité aux jeunes entre 16 et 25 ans (jusqu’à 29 ans pour les personnes en situation de handicap) qui ne peuvent pas se déplacer et qui sont en démarche d’insertion professionnelle et sociale. Un public souvent invisibilisé et difficile à capter. « En cas de décrochage entre 16 et 17 ans, un signalement est fait et il y a obligation de formation. Ce n’est pas le cas pour les jeunes de 18 à 25 ans, et c’est précisément à ce moment-là que nous avons des difficultés à les repérer. »
Le minibus, bureau mobile
En effet, difficile d’effectuer des démarches, de s’informer ou d’être suivi par un conseiller quand vous n’avez pas le permis de conduire, que votre village est desservi une fois par jour par un bus et que la mission locale la plus proche est située à plusieurs kilomètres. « Nous avons beaucoup de jeunes isolés, la mobilité est un gros problème, affirme Caroline. Certains font parfois deux heures à pied pour venir à leur rendez-vous. »
Avec ses 32 points d’accueil (quatre antennes et 28 permanences) pour 175 communes, la mission locale rurale est présente mais des trous subsistent dans la raquette. Caroline et son minibus sont là pour les combler.


« Mon poste a été créé en novembre 2023 dans le cadre de plusieurs appels à projets, dont le dispositif Grandir en milieu rural lancé par la MSA. Il vise à soutenir des actions concrètes en faveur de la revitalisation des territoires ruraux, en mettant l’accent sur le développement local, l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, ainsi que la mobilité dans les zones isolées. On essaie d’aller partout où il y a des jeunes et où l’on peut gagner en visibilité. Le but est de faire connaître au maximum notre offre. » Près de 15 000 km plus tard, la jeune femme de 26 ans a effectué 112 permanences, rencontré 87 maires, plus de 200 personnes (élus, habitants, parents) et une trentaine de jeunes.
« Toi, tu as le même âge que nous »
« Le principe est de faire du repérage, en concertation avec les maires. Ici, à Janailhac, nous avons fixé deux dates tests. Lors de la première permanence, j’ai rencontré une jeune et des parents. C’est toujours un peu la surprise car c’est sans rendez-vous. » C’est un métier de patience, surtout en zone rurale où « les choses prennent du temps ». La nouveauté y est souvent synonyme de méfiance : « Parfois, on me regarde de derrière le rideau, relate la conseillère. Il faut attendre que le bouche-à-oreille se fasse, que la communication passe ».
En 2024, le constat est clair : Caroline a rencontré davantage de parents que de jeunes. « Je vois passer des jeunes en groupe, certains semblent intéressés mais n’osent pas venir me voir. Faire cette démarche n’est pas si simple. Il y a le regard des autres, la peur du jugement. Souvent, ce sont les parents qui les incitent à venir. » Une fois que le jeune a toqué à la porte de son minibus, Caroline dispose d’un atout majeur pour instaurer le dialogue : son âge. En effet, à un an près, elle pourrait être à sa place et cette proximité d’âge facilite grandement la mise en confiance. Ils sont écoutés par une personne qui comprend leurs problématiques, ce qui les change souvent de leur quotidien.
Des sollicitations variées
« Les jeunes sont souvent réduits à des stéréotypes : délinquance, drogues, réseaux sociaux et jeux vidéo. On les perçoit comme un public réticent à s’insérer et à évoluer. C’est ainsi qu’ils sont souvent présentés, constate-t-elle. Il y a un manque de reconnaissance dû à un clivage générationnel. Nos élus locaux, âgés de 60 à 70 ans, me disent souvent : “À notre époque, quand nous avions un emploi, on ne le lâchait pas.” Ils ne comprennent pas pourquoi les jeunes pensent autrement. » Ils pensent différemment car le monde change. Les problématiques ont évolué, se sont amplifiées, multipliées, notamment depuis la crise du Covid.

De plus en plus de colis alimentaires sont distribués dans les antennes, mais « même s’ils en ont besoin, les jeunes ne nous les réclament pas. C’est un public qui a du mal à demander de l’aide », analyse Caroline en réorganisant les boîtes de son minibus contenant des colis alimentaires incluant des kits d’hygiène et de la documentation, qu’elle propose systématiquement.
Les demandes les plus fréquentes concernent l’insertion professionnelle et la mobilité. Elles portent notamment sur des aides au permis de conduire, la recherche d’emploi après une déscolarisation, ainsi que la recherche de lieux d’alternance, d’apprentissage ou de stage. Que ce soit au sein du bus ou de la mission locale, les sollicitations sont variées, mais ces thématiques reviennent régulièrement.
Un accompagnement global
« Nous faisons de l’accompagnement global. On répond également aux questions sur la santé, le logement et les aides sociales. Je peux recevoir un scolaire qui a une question d’ordre administratif ; j’ai même reçu des personnes pour leur retraite. Dans ce cas, mon rôle est de délivrer la première information. S’il doit y avoir un suivi, je fais un premier niveau d’évaluation sur tous les sujets puis je réoriente vers un collègue de secteur. » Ensuite, le jeune est épaulé jusqu’à ce qu’il ait une situation stable (CDI ou CDD de plus de 6 mois).
« Je ne suis pas censée poursuivre l’accompagnement », ajoute la conseillère, qui n’hésite cependant pas à adapter le système en fonction des circonstances. Depuis quelque temps, elle suit un jeune de 24 ans. Dylan cherche un emploi. Il ne peut pas se rendre à la mission locale la plus proche. Il n’a ni le permis, ni les moyens de le passer.
« Toutes les deux semaines, c’est moi qui viens le voir en minibus. Il est ouvert à toutes les missions mais son manque de mobilité le restreint à sa commune de 1 000 habitants. Nous sommes donc en train de mettre en place l’aide au permis, mais encore faut-il trouver une auto-école accessible. Heureusement, quelles que soient les difficultés, nous avons des élus qui ne demandent qu’à dynamiser leur commune et de nombreux jeunes attachés à la ruralité. C’est un cliché de dire qu’il ne s’y passe rien. C’est super dynamique, encore faut-il y mettre les moyens. »
Ce qu’ont fait l’État, les fonds européens (qui soutiennent des projets répondant aux besoins locaux tout en s’inscrivant dans les grands objectifs de l’Union européenne) et la MSA en finançant le minibus.