Agronome, docteur en agroclimatologie, vous faites aussi figure de lanceur d’alerte ?
Je suis un lanceur d’alerte parce que l’agriculture française n’est pas totalement adaptée aux à-coups climatiques dus à l’évolution du climat. Mon objectif est de transmettre directement aux agriculteurs les connaissances scientifiques issues de la recherche. Ce maillon manque cruellement. On possède d’excellent travaux en France mais un transfert insuffisant de ces informations vers les acteurs concernés. C’est là que je me positionne comme lanceur d’alerte, même si c’est plutôt mon entourage qui me définit ainsi. Pour moi, il s’agit d’une démarche de prévention et d’adaptation au climat. L’agroclimatologie est une science dont les résultats sont cruciaux pour la souveraineté alimentaire du pays à l’horizon 2050.
En quoi consiste votre métier ?
Mon cœur de métier porte sur l’étude de l’évolution de la biogéographie, c’est-à-dire les aires de répartition des cultures. Et mon entreprise, AgroClimat 2050, est la seule en France à proposer un modèle de biogéographie consacré aux arbres fruitiers. Nous travaillons déjà sur l’aire de répartition de ces plantations avec une dizaine d’entreprises : des groupements d’agriculteurs (comme les pruneaux d’Agen, les citrons de Menton), des transformateurs, des revendeurs (comme Lidl), le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Je partage en ligne une partie de ces cartes afin d’illustrer en animation l’évolution de la biogéographie des arbres parce que c’est très important.
Un arbre planté maintenant vivra 50 ans. Et ce qui se passe en 2025 aura des retombées jusqu’en 2075. À ce moment-là, le climat sera différent encore. Il faut prendre les bonnes décisions aujourd’hui. Certains agriculteurs anticipent déjà ces changements, détectent certains potentiels économiques, se lancent dans de nouvelles cultures. Ils testent. Ils osent. L’État doit investir maintenant dans ces filières. Le milieu agricole est plus en réflexion sur ces sujets-là et à même d’évoluer que les secteurs, les transformateurs et l’État.
Les initiatives d’agriculteurs sont-elles insuffisantes ?
Ces agriculteurs ne peuvent développer seuls de nouvelles chaîne de production. Une branche agricole implique un tissu économique régional, une logistique, une reconnaissance et des labels : il faut initier la fête de la papaye, de l’avocat, de la banane, des agrumes, lancer une appellation d’origine protégée ou contrôlée, déposer un dossier auprès de l’Union européenne. Le rôle des agriculteurs est de produire, pas de faire de la paperasse administrative.
Déjà sur le terrain, la remontée vers le Nord des espèces qu’on connaît déjà est notable : les abricots remontent vers Dijon, les cerises et les pêches aussi. Les impacts du changement climatique n’y sont pas que négatifs : ils apportent une diversification agricole. La coopérative Dijon Céréales, spécialisée dans la collecte de grains, s’est par exemple récemment lancée dans la production d’abricots. On peut aller de l’avant comme certains agriculteurs le font, regarder les nouvelles cultures auxquelles ils pourraient adhérer dans l’avenir et créer de nouvelles filières selon le territoire.
Et les cultures dans le Sud ?
C’est différent. Dans certaines régions, il ne s’agit pas seulement d’adapter les techniques agricoles — réduire le labour, développer les couverts végétaux ou diversifier les variétés — mais bien de transformer les filières elles-mêmes Ça devient urgent. À part la vigne et l’huile d’olive, tout doit être repensé. C’est très coûteux. Trois ou quatre agriculteurs qui se lancent dans le Var, c’est insuffisant. La transformation doit prendre une autre échelle. Il faut un regroupement, un chapeautage par le ministère de l’Agriculture, par les coopératives. Un vaste plan d’ensemble.
L’agriculture y est-elle possible à long terme ?
Jusqu’en 2050 on aura un climat qui va de plus en plus être celui de l’Espagne. On ne peut pas dire qu’il n’y aura plus d’agriculture dans le Sud. C’est juste que nos filières, nos espèces ne sont pas adaptées. Si on les adapte, on aura de l’agriculture. Après 2050 se pose la question des extrêmes climatiques de l’été. Les projections affichent parfois plus de 45 °C par semaine, avec même des pointes à 50 degrés après 2070. Or, que l’on soit en bio, en conventionnel, en agriculture de conservation des sols, en agroforesterie, s’il fait 50 °C, les végétaux ne sont génétiquement pas préparés à ces températures-là.
La question de la faculté d’adaptation se pose pour le Sud de la France et la partie continentale. La seule façon de d’y arriver c’est de diminuer les gaz à effet de serre et d’arrêter de considérer que l’agriculture est toujours à même de s’adapter et qu’elle pourra toujours produire quels que soient les degrés. C’est faux.
Le bio/conventionnel face au réchauffement climatique : lequel est vertueux ?
Un abricot en bio ou en conventionnel de la même variété gèlera à l’identique en cas de gel. L’avantage du bio, c’est qu’il favorise la vie et la fertilisation organique du sol, ce qui permet de mieux stocker l’eau. Mais c’est dommage de se contenter de cette comparaison parce qu’en réalité, les agricultures les plus adaptées au changement climatique sont l’agroforesterie et l’agriculture de conservation des sols (ACS) : cultiver sous les arbres ou cultiver sur un sol vivant ou les deux ensemble d’ailleurs.
AgroClimat, outil en ligne en développement pour les agriculteurs
Ce site Internet détaille en cartographie l’impact des éléments climatiques sur les cultures. Les agriculteurs peuvent s’y connecter gratuitement et s’en servir comme d’un outil. Ils peuvent visualiser le stress thermique sur les vaches laitières dans la semaine, les risques de perte de lait, un champ de blé, les avortements floraux pour le maraîchage, tous les paramètres qui peuvent impacter le rendement de leurs cultures. Son but : informer les professionnels, semaine après semaine, des risques encourus afin qu’ils puissent anticiper, limiter les pertes et adapter leurs pratiques.