Didier, Claudia, Maud, Aurélie et Benoît.
« Dans ces moments-là, on broie du noir. On n’a plus envie de rien. Mais ce qui inquiétait le plus mon entourage, c’était que je ne causais plus du tout. » Didier, producteur de céréales et éleveur naisseur de charolais, installé dans l’Auxois, a basculé dans la dépression à la fin de l’année 2015. À cette époque, il se posait alors beaucoup de questions sur l’avenir de son exploitation. « Arrivé à un moment de sa vie, quand on a bâti quelque chose, on se pose la question de sa transmission. » Devait-il se diversifier plutôt que de chercher à s’agrandir ? Devait-il envisager une reconversion en bio ? « Personne ne donne de réponse », constate Didier, qui se sentait très seul face à des enjeux qui le dépassaient.
C’est un délégué de la MSA Bourgogne qui a repéré la situation difficile dans laquelle il se trouvait et qui a mobilisé le service d’action sociale. « Ce qui nous empêche de parler tout de suite, c’est simplement qu’on a honte. » Un travailleur social et une psychologue l’ont accompagné. « Ils appellent ça un burn out, une dépression. » Au-delà des mots, mettre à plat les problèmes a permis à Didier de « retrouver de la clairvoyance » mais surtout « le plaisir de vivre », selon ses propres termes. « Le sport m’y aide. C’est mon échappatoire. »
On est tout le temps sur le fil du rasoir, on peut basculer à tout moment.
Sylvie, sa femme, infirmière dans la vie, a aussi su se montrer forte pendant la tempête. « J’ai senti rapidement que quelque chose n’allait pas, sans pour autant mettre tout de suite des mots dessus », explique-t-elle. Engagé dans une Cuma, Didier a retrouvé la parole et multiplie les occasions de rencontrer d’autres agriculteurs, parce qu’il s’est rendu compte combien il était important de discuter entre pairs et de témoigner aujourd’hui de ce qu’il lui est arrivé. « Beaucoup de collègues sont ou ont été dans la même situation que moi, sans toujours oser en parler, constate-t-il. Être mis sur le banc des accusés par une partie de la société n’est pas une chose facile à vivre. On est traité de pollueur et soupçonné de maltraiter nos animaux, alors qu’on essaie de faire au mieux. On a une telle pression en tant qu’agriculteur, qu’on est tout le temps sur le fil du rasoir et qu’on peut basculer à tout moment. »
« On enchaînait les soucis. Je n’ouvrais plus les courriers », explique Aurélie. La jeune femme est associée avec son mari Benoît dans une ferme de Saône-et-Loire. Le couple s’est installé en Gaec hors cadre familial. La malchance a voulu qu’ils perdent, dès le début et en un an, 80 brebis, victimes de pasteurellose. La chute de revenus a été telle que le couple ne voyait pas d’issue. C’est leur banquier qui les a aidés à sortir la tête de l’eau, en mobilisant l’association Agri’solidarité et la MSA. Une analyse technico- économique de la ferme a permis de « trouver les points forts de l’exploitation pour la relancer, témoigne Benoît. On s’est recentré sur la production bovine ». « Une conseillère en économie sociale et familiale nous a aussi aidés à réorganiser notre budget et à activer tous nos droits au niveau de la MSA », indique Aurélie. « Aujourd’hui, j’ai retrouvé l’envie de faire », dit Benoît. Aurélie aussi. C’est à nouveau une joie d’accueillir des enfants sur l’exploitation, conçue dès le départ comme ferme pédagogique, un lieu où elle voulait, avec Benoît, transmettre sa passion du métier. « Les enfants ne jugent pas. Ils sont ouverts au monde. » C’est leur bouffée d’air frais. « On a l’impression de servir à quelque chose. Et ça, ça fait du bien. »
« J’ai tout voulu gérer de front »
Éleveuse installée dans le Morvan, Claudia s’est retrouvée veuve alors qu’elle était encore jeune, avec cinq enfants à charge. « J’ai tout voulu gérer de front », sans nécessairement avoir le matériel adéquat pour conduire son élevage dans de bonnes conditions. « Tu t’enfermes. Tu t’imagines que tout le monde te juge et que les gens n’attendent qu’une chose, que tu t’écroules. Et là, tu fais n’importe quoi. Je me suis baissée. J’ai entendu un crac. Ça m’a fait mal. Je me suis dit c’est musculaire, ça va passer. » Mais Claudia a tiré sur la corde, jusqu’à ce que son corps lâche, victime de quatre hernies discales.
C’est lorsqu’elle s’est retrouvée en arrêt maladie que le médecin du travail l’a incitée à contacter les travailleurs sociaux de la MSA. Celle-ci est intervenue, avec l’association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) et le service d’accompagnement et de maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (Sameth) pour organiser son maintien dans l’emploi, grâce à une adaptation du poste de travail et au recrutement d’un ouvrier pour l’aider sur l’exploitation. Parmi les investissements réalisés : l’installation d’abreuvoirs automatiques, d’un couloir de contention et d’une barrière césarienne.
Le travailleur social de la MSA a fait le nécessaire pour aider Claudia à monter un dossier pour isoler sa maison, dans laquelle les travaux prévus à l’origine n’avaient jamais été réalisés, et aussi pour financer deux semaines de vacances pour deux de ses enfants. « Il existe des aides. Il faut savoir les accepter, dit-elle aujourd’hui. Il faut savoir mettre sa fierté de côté et dire oui, j’en ai besoin. Il ne faut pas attendre. Ça ne sert à rien, parce que c’est plus facile de descendre une côte que de la remonter. Mais je ne suis pas mal, là. Je suis au milieu. »
« J’en avais ras-le-bol »
Maud était salariée agricole dans l’Yonne. Elle partageait son temps entre deux domaines viticoles. Elle vivait à cette époque une situation conflictuelle avec l’un de ses employeurs, a priori sans issue. « J’en avais ras-le-bol. Je connaissais des difficultés financières et je vivais un grand mal-être, l’impression d’être dans un étau, prisonnière. Ça a duré trois ans. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré quelqu’un de l’accueil de la MSA qui m’a vraiment écoutée et m’a tout de suite comprise et dirigée vers l’équipe sociale. »
Au service social, elle a reçu l’écoute dont elle avait besoin. Elle a intégré un dispositif d’action collective, « L’avenir en soi », un atelier qui permet, par petits groupes (dix personnes environ), en six grandes étapes, de faire le bilan de ses compétences et de bâtir un projet professionnel. Aujourd’hui, Maud travaille à mi-temps dans un domaine viticole et le reste du temps, elle développe sa nouvelle activité d’apicultrice. « Je n’ai jamais été aussi sereine ! », s’exclame-t-elle, un large sourire éclairant à nouveau son visage.
Osez la MSA à vos côtés
« Ce film a été conçu pour que les gens osent évoquer leur situation, car l’expression des difficultés est taboue chez les agriculteurs. Maintenant, il va falloir qu’il vive », prévient Dominique Bossong, président de la MSA de Bourgogne. On va le présenter à tous nos délégués pour qu’ils puissent s’en servir sur tout le territoire. Ils forment avec les travailleurs sociaux et les associations partenaires autant de lanceurs d’alerte indispensables au repérage des personnes en souffrance. Je veux rassurer les gens qui hésiteraient à demander de l’aide, en leur disant que nous sommes tenus au secret et à la confidentialité, je suis et serai toujours intransigeant là-dessus. »
Face à la crise profonde et durable, le conseil d’administration de la caisse régionale a voté un plan d’action en direction des exploitants et des salariés agricoles en situation de fragilité. Il se décline en trois axes : accompagner les exploitants agricoles en difficultés socio-économiques ; favoriser le maintien dans l’emploi des salariés et des exploitants agricoles confrontés à une problématique de santé ; prévenir les risques psychosociaux des actifs agricoles. Chaque année, la caisse mobilise neuf millions d’euros pour l’action sociale qui, outre l’appui aux actifs en situation de fragilité, vise également les jeunes, les familles et les retraités du régime agricole. Pour déployer ses actions, la MSA peut s’appuyer sur ses 24 travailleurs sociaux sectorisés, répartis géographiquement pour couvrir l’ensemble du territoire bourguignon.