« Les moines de l’abbaye ? Ce sont de grands bosseurs ! » Le ton est donné. Pour les locaux, les 60 frères cisterciens trappistes de l’abbaye de Sept-Fons, à Diou, dans l’Allier, ont la réputation de travailler dur. Ils font partie de l’ordre cistercien de la Stricte observance, un ordre monastique catholique contemplatif respectant la règle de saint Benoît. Cloîtrés au sein du monastère, ils renoncent au monde extérieur et vivent dans le silence.

Mais en plus de la prière et de l’étude qui rythment leurs journées, ils cultivent aussi la terre. « Ils seront vraiment moines quand ils vivront du travail de leurs mains », stipule ainsi cette règle, plaçant le travail manuel comme l’un des piliers fondamentaux de la vie monastique.

Agriculteurs depuis des centaines d’années

Entre les murs de l’abbaye, ils troquent leur traditionnelle tunique blanche et le scapulaire noir pour le bleu de travail et fabriquent plus d’une centaine de produits qu’ils commercialisent. Dans ce lieu isolé, aux confluents de la Loire et de la Besbre, ils disposent d’une centaine d’hectares sur lesquels ils cultivent notamment du blé, de l’orge et du maïs.

Ils élèvent également un troupeau de vaches laitières pour la production du fameux fromage de Sept-Fons ainsi qu’un jardin potager et des arbres fruitiers qui leur assurent une autosuffisance alimentaire. Grâce au rucher, ils récoltent du miel ou encore de la gelée royale. Une activité florissante, gérée d’une main de maître avec la rigueur d’une gestion professionnelle et qui permet aux moines de subvenir à leurs besoins quotidiens.

Avec 7 millions d’euros de chiffre d’affaires réalisés chaque année, ils peuvent se targuer d’avoir le sens des affaires. Le frère Raphaël, qui nous accueille, en est d’ailleurs le directeur général et s’occupe principalement de la partie lucrative, après avoir été jardinier pendant sept ans. Le père Adam est le cellérier de l’abbaye, et veille à l’économie du monastère.

La Germalyne, produit emblématique

Le produit phare de l’abbaye est la Germalyne, un complément alimentaire issu des germes de blé, célèbre pour ses vertus nutritives. Sa production remonte à loin. « Elle a sûrement été inventée par des moines dans les années 1930, souligne frère Raphaël. Le produit a une très forte valeur nutritionnelle. » Riche en vitamines, Oméga-3, minéraux et en protéines, cette poudre s’ajoute dans les plats comme un complément alimentaire. Ces atouts nutritifs font d’ailleurs dire aux moines qu’elle a sauvé des vies par le passé.

Car l’histoire, celle avec un grand H, s’imbrique dans celle du monastère. Révolution, guerres… elle a traversé les époques. « Durant la Seconde Guerre mondiale, tout était rationné sauf la Germalyne, explique frère Raphaël. Ce superaliment a permis à beaucoup de personnes de survivre. Parmi les nombreux témoignages que l’on a reçus, une dame nous a par exemple écrit qu’elle avait sauvé son mari pendant la guerre. Grâce à la Germalyne qu’elle lui a envoyée, il a tenu le coup. » Depuis, la petite poudre a acquis une grande notoriété… qu’elle n’a jamais perdue.

Ce remède miracle n’a pas fait que sauver des vies, il a aussi préservé l’abbaye de la faillite. Sous l’impulsion de l’abbé Dom Chautard, sa production a relancé l’activité agricole du monastère. Et c’est ainsi que les moines se sont lancés dans des produits diététiques, élargissant la gamme à des aliments pour le petit-déjeuner, des confitures ou encore du miel. La vente se fait via une boutique en ligne, en magasins bios ou grandes surfaces et sur catalogue.

Les moines et l’agriculture

Les moines ont une grande histoire commune avec l’agriculture. D’après frère Raphaël, ils en seraient d’ailleurs les champions. « Ce sont eux qui ont développé des techniques et qui ont permis un essor considérable de l’agronomie dans toute l’Europe. Ils ont été des défricheurs dans un paysage marqué par la forêt ou les marécages. »

Les frères convers, des moines cisterciens dont la vie était dédiée au travail de la terre, ont fortement contribué à développer ces innovations, de leur création vers le XIIe siècle jusqu’à leur disparition officielle en 1965. « À l’abbaye, l’élevage de vaches normandes dans une région dédiée à la race charolaise faisait déjà sensation à l’époque. Les moines gagnaient tous les concours ! » Paradoxal ? Pas tant que ça… Ils sont certes retirés du monde, mais travaillent « pour » le monde. À l’époque, les agriculteurs venaient même se former auprès d’eux.

Une tradition de la formation qui perdure puisque l’abbaye accueille et transmet son savoir-faire à de futurs moines du monde entier qui repartiront dans leurs pays, de nouvelles compétences en poche. Des Sénégalais sont notamment venus se former dans le but de lancer leur fondation.

Une autre communauté a été créée en République tchèque où les frères adaptent leurs productions. «Ils disposent de nombreuses forêts, ce qui leur permet de développer la sylviculture. Ils élèvent également des moutons et des brebis pour produire de la laine, tout en pratiquant un peu de maraîchage pour leur consommation personnelle », observe frère Raphaël. Un projet du même type est en cours au Vietnam. Fondée en 1890 par Sept-Fons, l’abbaye de Latroun, en Israël, devrait quant à elle accueillir neuf moines pour relancer la communauté.

Crédits photo : Sept-Fons/Coline Lucas

Une journée avec les moines

› 3 h 15 : lever

› 3 h 30 : office des matines, première prière de la journée

› Temps de prière et de lecture personnelle

› 6 h 45 : messe

› Certains vont travailler, la plupart étudient

› 9 h 15 : tierce (prière du matin)

› Temps de travail manuel (2 heures)

› 12 h 15 : sexte (prière de midi)

› 12 h 30 : repas

› Temps libre. Pour la petite histoire, saint Benoît, d’origine italienne, a prévu une sieste jusqu’à 14 h 15

› 14 h 30 : none (prière de l’après-midi)

› Temps de travail manuel (2 h 30)

› 17 h 30 : office des vêpres puis prière personnelle

› Repas

› 19 h 30 : dernier office

› 20 heures : coucher.