Passer d’agricultrice à actrice ferait un bon thème de film ! Mais pour Maïwène Barthelemy, ça ne relève pas de la fiction. Originaire de Raincourt en Haute-Saône, cette agricultrice en devenir de 22 ans est à l’affiche de Vingt dieux, un long-métrage qui mêle teen movie et récit initiatique.
Courses à moto, bande de copains, bals de villages et premiers émois… Totone, un jeune jurassien insouciant, vit la vie à cent à l’heure. Mais un drame vient tout remettre en question. À 18 ans, il bascule soudainement dans le monde des adultes et doit apprendre à gérer la ferme de son père et à s’occuper de sa petite sœur. Il décide de se lancer dans une épopée aux accents burlesques : fabriquer du comté, la spécialité de la région et remporter la médaille d’or du concours agricole et les 30 000 € qui l’accompagnent.
Portrait touchant
Maïwène Barthelemy incarne Marie-Lise dans ce portrait touchant et réaliste de la jeunesse rurale et agricole. Cette étudiante en Brevet de technicien supérieur agricole (BTSA) productions animales à Vesoul Agro-campus, au moment du casting, a encore du mal à y croire. Jusqu’à aujourd’hui, son seul rapport au cinéma était « de bien aimer aller voir des films », nous explique-t-elle, propulsée récemment dans un autre univers.
En 2022, elle décide de passer un casting sauvage dans son lycée agricole avec une amie. « On a vraiment fait ça pour rire, raconte-t-elle. On n’y croyait ni l’une ni l’autre. » Résultat : elle est retenue pour interpréter Marie-Lise, une jeune fille qui travaille, avec ses deux frères, dans une ferme qui fabrique du comté. En apprentissage au sein du Gaec Guilbert-Morel à Blondefontaine, une exploitation en polyculture-élevage, cette actrice débutante jongle entre son emploi, ses cours et le tournage.
Comme tous les acteurs du film, Maïwène n’avait jamais tourné dans une production, mais ça n’a pas été un frein, bien au contraire… « Louise Courvoisier n’a pas cherché à ce que je joue un rôle. Elle a plutôt pris dans ma personne. Quand j’avais du mal à jouer, elle me disait : « Vas-y, joue-le à la Maïwène ! » Et ça passait ! » Au fur et à mesure, les acteurs se sentent plus en confiance. « La réalisatrice nous a mis à l’aise. Avec Clément – l’acteur principal qui joue Totone –, on avait la trouille aussi bien l’un, l’autre que de l’un et de l’autre. Mais la scénariste a travaillé en fonction de chacun et nous a mis en confiance. » Elle a ainsi pu rester elle-même pour incarner son personnage.
Un rôle sur mesure
Des scènes qui semblent authentiques donc, malgré la fiction. Certaines ont même été filmées en conditions réelles, conséquence notamment d’un tournage qui implique des animaux. Comme cette scène du vêlage, à laquelle Maïwène s’est bien préparée. « C’est compliqué d’avoir la bonne scène au bon moment quand on tourne avec des animaux. Pour celle du vêlage, j’ai beaucoup discuté avec l’agriculteur pour savoir ce que je pouvais faire ou non. J’ai appliqué ses méthodes et ça s’est super bien passé ! Un petit mâle est né. »
Un moyen de mêler son expérience d’agricultrice à celle d’actrice. Les scènes du film parleront également à nombre de personnes connaissant la vie à la campagne. La pudeur, l’aspect « brut de décoffrage », le côté taiseux, l’accent aussi, sont bien présents. D’ailleurs, pour la réalisatrice : « Le comté, l’agriculture et la jeunesse, sont des personnages à part entière du film. » Une manière de représenter le monde rural tel qu’il est, ou plutôt comme Louise Courvoisier l’a connu.
Un choix qui paye puisqu’il correspond également à l’expérience de l’actrice : « Le film représente bien notre jeunesse, explique Maïwène. Après l’école par exemple, on travaille tous à la ferme. » Une carrière d’actrice ? Elle avait peur que le côté bourru de Marie-Lise donne une mauvaise image de l’agriculture. « En fait, le résultat est génial ! Dans ce milieu d’hommes, on passe souvent pour des petits « bonhommes ». Je peux avoir un côté un peu masculin, je m’adapte au monde autour de moi. Mais comme Marie-Lise, j’ai aussi une certaine sensibilité. »
Et pour la suite ? Maïwène compte terminer sa certification en conduite d’élevage bovin lait pour poursuivre en tant que salariée agricole et pourquoi pas s’installer et continuer en parallèle une carrière d’actrice ? Affaire à suivre…
Crédits photo : Ex Nihilo/Laurent Le Crabe/DR
3 questions à Louise Courvoisier, réalisatrice
Pourquoi avoir tourné un film qui se passe dans le milieu agricole, dans le Jura ?
J’ai grandi à Cressia, dans le Jura. Ma famille y a une petite ferme qui fait des céréales. Pour mon premier film, j’ai voulu rendre hommage à ma région. J’ai réuni tous les éléments du territoire : le comté, les agriculteurs, la jeunesse rurale. Ils deviennent des personnages à part entière.
J’ai voulu montrer une bande de gars qui essayent de s’en sortir et ajouter de la légèreté au drame qui les touche. C’est toute mon histoire, les virées à moto, les bals, les copains…Tous les acteurs sont du coin. Nous avons tourné les scènes à Cressia, au Gaec de la Source. L’agriculteur propriétaire de la ferme a même participé au film : il interprète l’ami du père de Totone.
Pourquoi avoir choisi des acteurs non professionnels ?
Je me suis dit que si je prenais des Parisiens, personne n’y croirait. J’avais besoin de sentir qu’ils connaissaient le sujet et le décor. Ils sont arrivés avec leur expérience à eux. C’est important de ne pas tricher. Les acteurs sont proches de leur rôle, des gens qui expriment peu leurs émotions. J’ai voulu montrer le côté taiseux du monde agricole. C’est beau de le mettre dans le film.
Comme moi, les gens du coin ont vécu la mort de près. J’ai des copains qui se sont tués en moto ou qui se sont suicidés. Nous avons un rapport plus frontal à cela que lorsqu’on grandit en ville. À la campagne, on intériorise ; on n’a pas la culture de consulter un psy. Les enterrements se déroulent en petit comité, et ensuite, on n’en parle plus. La mort devient un sujet tabou. Cela m’a marquée.
Quelles sont les réactions de la profession ?
Nous avons parcouru la région pendant deux semaines pour projeter le film dans des salles des fêtes, des cinémas itinérants, faute de vraies salles de cinéma sur place. De nombreux agriculteurs, un peu curieux, sont venus. On les a presque impliqués malgré nous avec un scénario tourné vers le comté. C’était chouette de travailler avec eux et de voir que le film leur appartient aussi. C’est une vraie joie de le partager avec eux.