Il aura fallu s’enfoncer dans la forêt communale de Marckolsheim, en Alsace, pour découvrir l’espèce en voie d’extinction que nous traquions. Là, au milieu des arbres, dans la froidure, six individus se sont regroupés autour d’un feu le temps d’un casse-croûte. De beaux gabarits. À notre approche, c’est le plus âgé – que l’on reconnaît à ses tempes grisonnantes – qui s’avance. Juste derrière, cinq jeunes. Il devient exceptionnel d’en rencontrer en ces lieux, paraît-il.
Jeunes et bûcherons
Évidemment, la vraie prise de contact ne s’est pas faite sur ce mode zoologique. Pourtant, lors du trajet pour rejoindre la forêt, Patrick Bangert, bûcheron à la retraite et administrateur à la MSA d’Alsace, tenait des propos laissant à penser que nous allions être en présence d’une espèce rare. Ces cinq jeunes, réunis pour une journée de coupe sur le même secteur, sont des bûcherons communaux1. Ils officient sous l’égide de l’agent de l’Office national des forêts (ONF) qui les accompagne. C’est lui qui, en fonction d’un plan parcellaire, détermine les arbres à abattre. Ici, c’est surtout du frêne. « Nous sommes en train de les éradiquer parce qu’ils sont malades », explique ce dernier.
Pour Patrick Bangert, en France, s’il est vrai que les zones forestières s’étendent, elles régressent au niveau sanitaire. « Chez nous, les pins ont pratiquement tous disparu, les charmes aussi et le chêne est en mauvaise situation. Dans certains coins, il dépérit en raison du manque d’eau. Avec le dérèglement climatique, les choses s’enchaînent : pas de pluie, pas d’hiver, pas de neige. La neige, c’est ce qu’il y a de meilleur parce qu’elle s’infiltre tout doucement dans le sol. »
Du côté des Vosges, ce sont les résineux qui sont en train de mourir, victimes de deux phénomènes combinés : un stress hydrique qui affaiblit l’arbre et un insecte, le scolyte, qui en profite. Dans la forêt de Marckolsheim, c’est la chalarose qui est en cause. Ce champignon, originaire de Chine qui a transité par les pays de l’Est, s’attaque aux frênes depuis environ dix ans en France. Et le problème ne cesse de s’amplifier.
Une filière malade
« Ici, certaines zones sont constituées à 40 % de frênes, mais les forestiers n’investissent plus dessus, explique l’ancien bûcheron. Nous avons toujours misé sur la régénération, cependant il n’est pas sûr que cette essence s’adapte et il y a un déséquilibre entre forêt et gibier. Dans ces coins, ce sont les chevreuils, dont la population a explosé ces dernières années, et le daim qui occasionnent des dégâts. » Et quand la forêt tombe malade, c’est toute la filière qui a de la fièvre.
Cet état de dépérissement des arbres a pour conséquence de compliquer considérablement la tâche des bûcherons. Ce que confirme l’agent de l’ONF : « Aujourd’hui, on coupe des arbres qui, s’ils ne sont pas morts, sont en train de dépérir avec des branches sèches. C’est beaucoup plus dangereux. » Branches mortes qui tombent sans prévenir ou qui sautent dans tous les sens quand on abat un arbre, les histoires d’accidents sont malheureusement bien trop nombreuses autour du feu où l’on remballe le casse-croûte.
Un métier, une passion
Loïc, Victor, Nicolas, Florian et Cyril, nos jeunes bûcherons, ont conscience des risques de leur métier. Mais que voulez-vous, c’est une passion. Bûcheron depuis quatre générations ou fils de médecin urgentiste, la réponse est toujours la même : « Depuis tout petit, je ne me voyais pas faire autre chose ». Et quand on aborde la pénibilité, on sent un oscillement entre le déni dû à la jeunesse et la sensibilisation à la prévention. « On se dit qu’on est jeune, que tout va bien. Dans 10, 15 ans, ce ne sera peut-être plus pareil. Mais on essaie de se préserver, et les machines s’allègent. »
Il est certain qu’entre les conditions de travail en début de carrière de Patrick Bangert et celles de nos cinq bûcherons, les choses ont bien évolué. Leur passage à l’école de sylviculture leur a permis d’apprendre les rudiments du métier et notamment les règles de sécurité. Les vêtements de travail se sont considérablement améliorés et protègent toujours mieux leurs utilisateurs. Les préventeurs des caisses d’assurance accidents agricoles d’Alsace et de Moselle se sont impliqués pour faire connaître les bons gestes et les bonnes postures à adopter. Des formations sont mises en place. Et tout cela porte ses fruits, les accidents sont moins fréquents.
Un métier à risque
En revanche, ils sont bien plus graves. Hanche brisée, vertèbre fracturée. Patrick Bangert tient la funeste liste des morts de sa profession et elle est bien longue. Quand on les interroge sur ce paradoxe, les professionnels du secteur sont sans appel. Certes, c’est un métier à risque et il est impossible de tous les éviter mais la voie qu’emprunte la profession tend à les aggraver. Pour Jean-Charles Deininger, chargé de formation à l’ONF, il y a un problème de mixité en âge en France avec une perte de compétence.
« Dans les équipes avec de vieux bûcherons, l’âge et la fatigue compliquent la tâche, décrypte-t-il. Avec celles composées uniquement de jeunes, le manque d’expérience est un facteur de risque. Dans les deux cas, cela occasionne des accidents. L’idéal serait des équipes intergénérationnelles. » Comme cela se faisait avant, les anciens transmettant leur savoir aux plus jeunes. Finies aussi les équipes dont les membres travaillaient toujours ensemble. De nos jours, avec le détachement en forêt, un bûcheron peut être envoyé sur des zones parfois éloignées, avec un risque de fatigue et ne connaître ni le terrain, ni les personnes avec lesquelles il doit travailler.
Bûcherons, l’esprit d’équipe
« Au sein d’une vraie équipe, il y a une certaine intelligence de groupe. Le travail collectif a toute sa place dans le bûcheronnage, c’est même une nécessité, affirme l’expert en santé-sécurité au travail. De plus, il y avait une particularité forestière : lorsqu’elles plantaient, les équipes savaient ce qu’elles allaient entretenir. Aujourd’hui, en ne dépendant plus d’un secteur bien défini, le bûcheron n’est concerné que par une partie du travail. S’il nettoie ou range mal les branches, il n’en voit pas les conséquences. »
Des conséquences souvent dramatiques qui, associées à la pénibilité du travail, font que bien peu profitent de leur retraite en pleine santé. La moyenne d’âge des bûcherons déclarés en inaptitude est de 52 ans. Et ils travaillent en moyenne jusqu’à 62 ans en forêt. Leur salaire est une preuve de leur passion. « Ça fait sept ans que je suis là et le Smic se rapproche de moi », regrette Nicolas, l’un des jeunes. Mais comme le souligne Jean-Charles Deininger : « Une personne qui va au travail, c’est pour gagner sa vie. Pas pour la perdre. Bûcheron est un métier à risque qui n’est pas assez valorisé. »
(1) Embauchés par le syndicat intercommunal à vocation unique (Sivu) qui regroupe Sélestat et 23 autres communes. L’ONF est chargé par le Sivu d’organiser les plans de coupe et les plannings. Il rédige les fiches de chantier et donne les consignes.
Secours en forêt : des points de rencontre au point
Pour améliorer l’organisation des secours lors d’un accident en forêt, la MSA Lorraine, en partenariat avec les acteurs de la forêt publique, privée et des secours lorrains, a mis en place des points de rencontre des secours en forêt.
Ils sont facilement identifiables, couverts par un réseau téléphonique, situés au plus près des chantiers forestiers, faciles d’accès pour les secours en tout temps et toutes circonstances, implantés sur un espace sécurisé, suffisant pour stationner au minimum un véhicule de secours, destinés à couvrir une zone ou l’ensemble d’un massif forestier. À ce jour, plus de 3 300 points de rencontre sont recensés dans les départements de Moselle, Meurthe-et-Moselle, Vosges et Meuse et plus de 29 000 en France.