Comment décrire l’agriculture urbaine ?

Christine Aubry (AgroParisTech) : Elle se déroule dans la ville ou dans des espaces périurbains. Le cas classique qui illustre les pratiques périurbaines, ce sont les maraîchers réunis en réseau d’associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (Amap). Elles sont bien connues : ces paysans produisent pour des groupes de consommateurs, souvent des urbains. L’agriculture intra-urbaine quant à elle est très diverse.

Qu’en est-il des cultures dans des bâtiments, stations de métro désaffectées, parkings et caves ?

Les exemples de ce type sont nombreux. En réalité, il s’agit d’associations et plus souvent d’entreprises qui récupèrent des locaux peu utilisés pour y cultiver ce qu’on appelait autrefois « les produits de cave », c’est-à-dire des champignons ou des endives, traditionnellement cultivés dans des carrières ou des caves. 

Ce ne sont pas de nouvelles pratiques ?

C’est une résurgence et une remise au goût du jour en milieu urbain de pratiques agricoles qui n’ont rien de nou­velles. Ce qui est nouveau, outre la localisation, ce sont certaines techniques.

Lesquelles ?

Par exemple, les champignons étaient cultivés sur du fumier de cheval ou dans des carrières dans le milieu rural ou périurbain d’antan. Le champignon de Paris se cultivait souvent avec du fumier fournis par les centres équestres de Chantilly ou d’ailleurs. Aujourd’hui, on en fait sur de plus petites surfaces mais de manière intensive. On récupère alors divers résidus sur lesquels on les fait pousser : de la paille récupérée du périurbain, du marc de café des établissements parisiens, différents substrats organiques. Le mode de culture est très proche de ce qui était pratiqué avant. 

C’est ce qu’on appelle l’agriculture « indoor » ?

Oui, et les produits de cave de cette agriculture – champignons, endives, micro-pousses – sont très prisés en milieu urbain. Ils sont favorisés par la proximité avec les consommateurs car leur qualité dépend de leur fraîcheur. La production cible la restauration gas­tronomique. Ce sont là des marchés de niche.

Dans les villes de France et d’ailleurs, en Belgique notamment, ces cultures marchent très bien. Cela a relancé pour partie des produits comme les champignons de Paris, qu’on avait fortement réduits, et a contribué à développer d’autres variété plus rares, comme les pleurotes et le shiitaké.

Les fermes verticales ont-elles de l’avenir en France ?

On trouve peu en France de « indoor » total ou fermes verticales. Ces bâtiments anciens ou rénovés dans lesquels sont produites en environnement contrôlé des plantes sous LED, avec chauffage ou atmosphère enrichie ont été très en vogue dans les années 2015 à 2020. Ces systèmes-là ont cherché à produire de l’alimentaire classique (salades, fraises etc.) en contrôlant la température, la chaleur, la lumière, le CO2.

Ils n’ont pas trouvé leur place en raison de nos modes de production alimentaire plus écono­miques et écologiques. Ils ont presque disparu. Ce qui reste dans ces formes d’agriculture, ce sont les secteurs liés à la cosmétique ou la pharmacie qui four­nissent des matières premières végé­tales où le contrôle de l’environnement prend tout son sens. Ils correspondent à des filières rentables et en tension.

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Comment caractériser alors la serre verticale de Romainville ?

Dans l’exemple de la Cité maraîchère de Romainville, il s’agit d’une serre verticale bâtie dans un quartier en rénova­tion urbaine. Au début, le projet était de concevoir un lieu de production ali­mentaire pour les quartiers. Très vite, on s’est rendu compte qu’il allait coûter très cher. On allait produire des denrées dont les prix sont hors de portée des habitants. Et côté environnement, c’était une aberration.

Il y a alors eu un changement de positionnement. La ferme est devenue un lieu de culture de produits adaptés au milieu et surtout de sensibilisation à l’alimentation et à l’environnement pour les enfants et les adultes. La première vocation des agricultures intra-urbaines, qu’elles soient en serres ou en plein air, en pleine terre ou sur des toits à ciel ouvert, sous forme de jardins collectifs ou de micro-fermes participatives, est d’assurer une fonction de lien social et d’éducation.

Quel en est le modèle économique ? 

En France et en Belgique, je ne connais pas d’agricultures intra-urbaines qui ne vivent que de la production. Elles ont toutes été amenées à développer d’autres marchés. Pour les micro-fermes participatives, il y a toujours une combinaison d’activités.

Le modèle économique est l’hybridation avec tout ce qui tourne autour de l’éducation et de la formation. Beaucoup sont des structures de chantier d’insertion financées aussi pour rendre ce service. Elles proposent également du team building ou consolidation d’équipe, de l’événementiel, des animations culturelles et éducatives. Tout cela est rémunéré.  

La production n’est donc pas l’objectif ? 

Parmi les formes d’agriculture urbaine les plus productives, et qui existent depuis plus d’un siècle, on trouve les jardins ouvriers, les jardins familiaux et les jardins partagés. Les jardins familiaux peuvent mesurer de 150 à 200 m2.

C’est peu à l’échelle agricole, mais cela permet de produire une quantité non négligeable de légumes ou de fruits pour les familles. Ces formes d’agriculture urbaine, bien ancrées historiquement, se réinventent continuellement pour s’adapter à la raréfaction des espaces disponibles.

Les jardins sont-ils à la mode ?

Ils se développent fortement. Les jardins familiaux ou partagés investissent aussi les toits sur des parcelles plus réduites. Les objectifs essentiels restent la production et le lien social. La demande d’autoproduction s’est renforcée après la pandémie de Covid et l’inflation entraînée par l’invasion de l’Ukraine. Les communes, aussi bien en milieu intra-urbain qu’en périphérie des villes de toutes tailles, font face à une forte demande. Ce sont des phénomènes majeurs aujourd’hui.

Les attentes en matière d’alimentation, de proximité et de diversité de production de légumes sont très fortes dans toutes les classes sociales. Malheureusement, elles ne sont pas assez valorisées. Je trouve regrettable que l’on continue à croire que les solutions aux difficultés rencontrées par les agriculteurs pour vivre de leur travail se trouvent dans l’exportation.

Bien sûr il faudra continuer à exporter des céréales et d’autres cultures, mais l’avenir est beaucoup plus à trouver dans le marché urbain où la demande en matière de produits de proximité n’est pas satisfaite.

Vous évoquez des innovations dans les jardins ?

Les anciens jardins, ces micro-fermes participatives, sont des productions essentiellement agroécologiques. On y observe beaucoup d’innovations, notamment au niveau des culture pratiquées. La raison vient du fait que dans les quartiers prioritaires de la ville, il y a une forte population immigrée d’origines diverses. Les personnes travaillent dans leur jardin leur propre culture, dans les deux sens du terme. En tout cas elles essaient.

On retrouve des légumes-feuilles venant d’Asie dans les quartiers où il y a une forte proportion de personnes d’origine asiatique, des amarantes africaines, des christophines dans les jardins où il y a beaucoup de personnes originaires des Antilles, une quantité et une diversité de formes de menthe, de fèves, hallucinantes, là où il y a beaucoup de personnes originaires du Maghreb. Ces lieux démontrent qu’il est possible de cultiver ces plantes en milieu métropolitain, dans un climat qui évolue.

Ces expériences sont extrêmement précieuses pour l’agriculture en général. Il y a une quinzaine d’années, j’avais discuté avec un maraîcher professionnel près de Cergy, dans le Val-d’Oise, qui me disait : « Je n’en peux plus, la petite dame marocaine dans le jardin d’à côté réussit à faire des fèves. Et moi je n’y arrive pas. »

De ce constat a émergé l’idée que c’était possible : lui-aussi pouvait y parvenir et même développer un marché autour de ce produit, à condition que cette jardinière partage ses techniques voire ses graines. Le potentiel de transmission de savoir-faire et de nouveaux produits pour l’agriculture française classique est aujourd’hui sous-estimée. Je suis persuadée que de nombreux projets pourraient se lancer et une multitude de filières pourraient se créer si ces échanges étaient favorisés.

Autre innovation liée à ces agricultures manuelles, très soigneuses, exercées sur de petites surfaces, c’est sur la gestion de l’eau. Elle va de plus en plus nous concerner dans l’avenir. Ce sont différentes techniques là aussi issues d’autres pays qui sont encore plus confrontés à des problèmes de raréfaction de l’eau et qui sont intéressantes à étudier

L’agriculture classique peut-elle y voir son avenir ?

Il faudrait qu’il y ait davantage de passerelles entre les différentes formes d’agriculture. Beaucoup de jeunes passent par des formes agricoles exercées en ville avant de s’installer. C’est ce qui a été à l’origine de leur souhait de devenir agriculteurs.

Dans les installations agricoles, on constate aujourd’hui une forte proportion de nouveaux agriculteurs qui ne sont pas issus du milieu. Une partie d’entre eux viennent de milieux urbains. Il a bien fallu qu’ils rencontrent cet intérêt pour l’agriculture quelque part. Ces formes d’agricultures semblent bien représenter l’une des voies royales de cet éveil.