Impossible de passer à côté des digesteurs de méthanisation, ces nouveaux dômes qui font le gros dos dans nos campagnes ! Selon l’Ademe, l’agence de la transition écologique, on dénombre 1 084 unités opérationnelles en France.
Et ce monument, quand le visite-t-on ?
Suivons donc notre guide, Sandra Boban, conseillère énergie méthanisation à la chambre d’agriculture de la Meuse, qui intervient lors de ce premier webinaire. « La méthanisation est un processus biologique de dégradation de la matière organique par des bactéries naturellement présentes dans les déjections animales. Ces microorganismes travaillent en milieu anaérobie (sans oxygène) et transforment une partie de la matière organique en biogaz. L’autre produit de cette réaction est un résidu organique appelé “digestat”. » Le code rural définit la méthanisation comme une activité agricole à condition qu’au moins 50 % des matières entrantes soient issues d’exploitations agricoles et que le capital de la structure soit détenu majoritairement par des agriculteurs.
Dans un digesteur, mettez des intrants agricoles – effluents d’élevage, lisiers, fumiers, cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive), résidus de culture, etc. – et/ou des déchets d’abattoir, d’industrie agroalimentaire, de collectivité (tontes de pelouse, déchets alimentaires, fraction fermentescible des ordures ménagères) et/ou des boues d’épuration, fermez bien le couvercle et laissez fermenter.
Attention ! Certains des intrants doivent représenter une part minimale de la ration, selon un cahier des charges dédié(1). Il en ressort du biogaz, mélange gazeux composé majoritairement de méthane (CH4). Débarrassé de toutes ses impuretés et transformé en biométhane, il peut être utilisé comme carburant ou être injecté dans le réseau public de gaz naturel.
Par cogénération(2), il peut en outre produire de la chaleur (chauffage, eau chaude) et de l’électricité. Enfin, le digestat – produit digéré contenant de la matière organique non dégradée, de la matière minérale (azote, phosphore, potasse…) et de l’eau – peut être épandu dans les champs en tant que fertilisant.
Bien sûr, les différents substrats ou intrants n’affichent pas le même potentiel méthanogène, c’est-à-dire la quantité de méthane susceptible d’être produite, exprimée en mètres cubes par tonne (m3/t) d’intrants de méthanisation. Narines sensibles s’abstenir ! Il varie de 10 m3/t pour le lisier de porc, par exemple, à 784 m3/t pour l’huile alimentaire, en passant par les pelouses et déchets verts (de 80 à 125 m3/t), les fientes de poules (160 m3/t) ou les résidus de colza (355 m3/t), entre autres.
Certains intrants contiennent beaucoup d’eau (H2O) et donc peu de carbone en proportion. Ils peuvent aussi être riches en azote (N) et soufre (S). C’est le cas des lisiers. Avec N, S et H, et en l’absence d’oxygène (anaérobie), les gaz NH3(ammoniac) et H2S (sulfure d’hydrogène) sont produits. Ces gaz dangereux ont un effet dépressif sur les bactéries méthanisantes, c’est‑à-dire qu’ils les empêchent de produire du méthane.
Le collectif scientifique national méthanisation raisonnable (CSNM) soulève ainsi un premier écueil : « Un méthaniseur ne peut pas fonctionner avec des substrats faiblement méthanogènes […]. Par exemple en Allemagne, les méthaniseurs sont typiquement alimentés par 20 à 30 % de lisiers, 50 % d’ensilage de maïs et 30 à 20 % d’ensilage d’herbe avec tous les problèmes de concurrence à l’agriculture alimentaire que cela pose. »(3)
Choisir le bon procédé
Concernant le digestat, un éclairage s’impose. Il existe différents procédés de méthanisation en fonction de la teneur en matière sèche des intrants et de l’usage du digestat.
La voie liquide est réservée aux matières organiques qui ont une teneur en matière sèche inférieure à 15 %. Elle fournit un digestat liquide, après séparation de phase par presse à vis ou centrifugation – dont l’action est similaire à un engrais organo-minéral – et un digestat solide, dont l’action est similaire à un amendement de fond. La voie sèche est réservée aux matières organiques qui affichent une teneur en matière sèche entre 15 % et 40 %.
Par ailleurs, la méthanisation se déroule à une température voisine de 35-40° C : il s’agit du procédé mésophile. Les procédés thermophiles, eux, s’opèrent à 55° C. Ces derniers diminuent les temps de séjour en digesteur (à 30 jours minimum contre 50 en mésophile) mais les critères biologiques s’avèrent plus difficiles à maîtriser.
Les intérêts du digestat sont nombreux : atténuation des odeurs par rapport à celles des intrants, réduction des germes pathogènes et des graines d’adventices (« mauvaises herbes »), conservation de la valeur amendante de l’humus, amélioration de la valeur fertilisante azotée, fluidification du produit pour une meilleure pénétration dans le sol.
Bien entendu, l’épandage de digestat est soumis à plusieurs règles relatives à la distance par rapport aux habitations, aux lieux accueillant du public et aux cours d’eau, au matériel d’épandage utilisé, à la durée entre l’épandage et l’enfouissement du digestat.
Entre les démarches administratives, celles liées au raccordement et à la vente d’énergie, les montages juridiques et financiers, la formation, la construction et la mise en service, il faut au minimum deux ans et parfois plus de quatre ans pour mener à bien un projet de méthanisation. L’accompagnement peut être mené par un bureau d’études indépendant, une chambre d’agriculture, CER France, une coopérative… En matière de prévention de risques professionnels, ce sont les MSA et les caisses d’assurance-accident agricole (CAAA) en Alsace-Moselle qui sont à même d’intervenir.
(1). Arrêté du 22 octobre 2020 approuvant un cahier des charges pour la mise sur le marché et l’utilisation de digestats de méthanisation d’intrants agricoles et/ou agroalimentaires en tant que matières fertilisantes (www.legifrance.gouv.fr).
(2). La cogénération est la production simultanée de deux formes d’énergie différentes dans la même centrale.
(3). Pour suivre les publications du CSNM : twitter.com/CSNM9.
Prévenir les risques
Cet outil industriel à la main d’agriculteurs pose différents problèmes en termes de maîtrise de la sécurité, de culture du risque, de conception lors des nouveaux projets. Le pôle risque chimique de la CCMSA et l’Institut national de médecine agricole (INMA) avaient mis en lumière les risques à venir concernant les unités de méthanisation lors du symposium INMA 2017 où l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) était intervenu.
Depuis plusieurs années, la thématique « méthanisation » a été intégrée dans le pôle nouvelles technologies de la CCMSA (Jean-Christophe Garnier, Benoit Moreau et Agnès Ratgras). Il s’appuie en particulier sur l’expertise de plusieurs collègues de la CAAA57 et de la MSA Lorraine (David Rivat et Laure Blanpied notamment qui interviennent sur le volet SST dans des formations pour les personnes en charge de concevoir et installer ou piloter ce genre d’unités).
Plusieurs MSA sont de plus en plus sollicitées afin d’accompagner les entreprises agricoles dans le cadre de projets de méthanisation. Une montée en compétence de l’ensemble du réseau (en priorité des services PRP) est indispensable pour savoir comment se positionner pour répondre aux demandes des adhérents ou les accompagner lors de la réflexion sur leur projet d’installation. Afin d’apporter une première réponse, la CCMSA organise un webinaire sur la méthanisation.